En art comme en entrepreneuriat, la création n’est rien sans la destruction

Pour Sylvain Bureau l’enjeu majeur de la créativité est la capacité à détruire pour créer et concrétiser ses idées.

La créativité est trop souvent limitée à la seule fabrique d’idées originales. C’est un leurre. Les idées ne sont rien. Tout le monde peut avoir des idées. Non, l’enjeu premier, c’est la capacité à détruire pour créer et concrétiser ses idées.

Détruire pour créer : l’enseignement des artistes

Les grands créateurs sont aussi de grands destructeurs. Prenez Picasso : il a beaucoup appris auprès de son père, Jose Ruiz Blasco, professeur de peinture, mais très vite il repousse son académisme. En 1901, il va même jusqu’à abandonner son nom pour ne garder que celui de sa mère, Picasso ! S’il remet en cause ce qu’il a acquis, il est aussi capable de détruire ce qu’il crée. Pour lui, « un tableau est une somme de destructions ». A chaque toile, il construit et déconstruit la composition, les traits, les couleurs.

Les artistes cassent aussi les valeurs qui font l’évidence d’une époque. Picasso et Braque soutenus par des marchands d’art comme Berthe Weil, se sont nourris des grands peintres (notamment Cézanne) mais ils ont également attaqué les célébrités de leur temps. Dans leur atelier du Bateau-Lavoir à Montmartre, on raconte que Picasso avait accroché une œuvre de Matisse qu’il utilisait comme cible pour ses fléchettes ! Au-delà de l’anecdote, cette destruction des normes fabrique l’obsolescence de courants artistiques établis au profit de nouvelles pratiques inédites comme le Cubisme. Mais si, en art, la création fonctionne avec son pendant, la destruction, comment la favoriser dans l’entreprise ?

Favoriser la destructivité dans l’entreprise

Beaucoup d’entreprises refusent ces dynamiques de destruction. Prenons simplement deux exemples. Quel manager est prêt à piloter des portefeuilles de projets aux objectifs flous et où le taux d’échecs avoisine les 80 % ? Qui accepte l’ambiguïté, l’erreur, le bricolage ? Hélas, trop peu de dirigeants. Pourtant, pour créer des innovations de rupture, ces postures sont incontournables. Autre exemple, beaucoup de directions rêvent de créer des licornes (entreprise disruptives de moins de 10 ans avec une valorisation d’au moins un milliard), mais elles préfèrent le faire sans perturber la hiérarchie en place ni l’activité historique. C’est un peu comme si une entreprise de transports en calèche voulait créer une entreprise automobile sans questionner ses compétences et ses valeurs. Cela est pour le moins paradoxal.

Pour encourager la destructivité, je vous propose trois actions fortes. D’abord, ne pas gérer l’innovation de rupture comme on gère l’activité courante. Les managers compétents pour optimiser l’existant ne sont pas les mieux placés pour piloter l’exploration de nouveaux modèles d’affaires. Leur expertise c’est l’optimisation, la rentabilité certaine ; pas l’émergence, pas le « peut-être » ! A chaque univers, son modèle de gestion et ses professionnels. Ensuite, il est indispensable d’accepter l’incompétence, le non-savoir, le non-utile. En effet, comment fabriquer du nouveau qui serait, dès le début, parfait ? Pour y parvenir, il faut un cadre exigeant et bienveillant. Il faut demander des prototypes, la création de partenariats ou de tests utilisateurs, mais il faut aussi faire confiance, laisser les porteurs de projet s’exprimer avec leurs convictions, leurs passions ! Enfin, il faut construire la transition entre le passé et l’avenir, entre l’exploration et l’exploitation avec des systèmes de gestion qui assurent le passage d’un modèle à l’autre. Axel Springer ou Toyota illustrent ces pratiques et peuvent vous servir d’exemples emblématiques. 

Pour créer, apprenez à détruire. Optimiser le probable est largement insuffisant ; surtout pour relever le défi de la transition écologique. Accepter la fragilité, la fébrilité des créateurs qui détruisent nos certitudes pour créer de l’improbable, voilà de quoi assurer la fertilité de projets qui ouvriront notre avenir.

Sylvain Bureau, Professeur à ESCP Business School, co-fondateur de l’Art Thinking Collective et de l’Institut Jean-Baptiste Say pour l’entrepreneuriat.

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