Barbie est un des films les plus vus de l’histoire du cinéma et certainement un des plus lucratifs : un succès commercial exceptionnel pour un film réalisé par une femme féministe Greta Gerwig. La question relève plutôt de son contenu féministe qui, lui, peine à convaincre. Co-financé par Mattel, qui produit sa propre critique rose bonbon de son produit phare et encouragé par un marketing faramineux, le film illustre parfaitement les outrances du capitalisme néolibéral contemporain. Les représentations des femmes et des hommes y sont exagérément stéréotypées et caricaturales et la dimension de la violence physique y est clairement éludée. Toutefois, une fois ces critiques établies, cette production peut aussi être vue comme une initiation habile aux questions féministes, ou à d’autres notions comme le patriarcat, les rôles sexués ou la masculinité hégémonique. Alors, Barbie est-il un film féministe ?
Le film Barbie prône un discours féministe
La tirade au milieu du film qui dénonce qu’être une femme est impossible résume les discours féministes des dernières décennies, et il s’avère plutôt utile que toutes et tous, nous soyons exposé.e.s à la réalité de ces injonctions. De plus, la diversité des personnages féminins (les Barbies et les femmes du monde réel sont toutes différentes en termes de taille, de poids, de race, d’âge ou de handicap) renvoie à l’idée que plusieurs féminismes cohabitent et qu’il existe beaucoup de chapelles. Les adolescentes rejetant l’image de la Barbie stéréotypée (une « bimbo professionnelle ») aux standards inatteignables représentent cette complexité des courants de pensée féministes. Mais le film insiste aussi sur le fait que le féminisme n’exclut pas la féminité. Au-delà de l’injonction consumériste à la féminité, Barbie montre aussi qu’il est possible de s’habiller en rose, d’aimer le maquillage et les paillettes, et être pilote, astronaute ou présidente. Proposer une alternative à l’appropriation des attributs dits masculins pour qu’une femme devienne puissante est plutôt un message porteur d’espoir.
Patriarcat et domination
De plus, cette satire caricaturale explicite de façon didactique ce que signifie le système patriarcal, notamment lorsque Barbie & Ken arrivent dans le ‘monde réel’, où les rapports femmes-hommes sont régis par le pouvoir (le board de Mattel), les logiques de domination, la chosification des corps féminins et les violences sexistes et sexuelles. Les principaux mécanismes du patriarcat et sa systémique sont dépeints de manière grotesque, comme pour mieux les mettre en lumière et les dénoncer. La nocivité du patriarcat est ainsi abordée, pour les femmes bien sûr (système excluant, harcèlement de rue et violence physique), mais aussi pour les hommes, qui en sont également victimes lorsqu’ils ne s’identifient pas à ses principes (le personnage d’Alan). A cet égard, après l’enthousiasme du début (« t’es un mec et ça suffit »), Ken devient de plus en plus mal à l’aise dans cette position de domination et questionne son intérêt. Ce film est une critique du pouvoir inhérent au patriarcat, envisagé exclusivement comme la soumission des femmes aux hommes.
La masculinité hégémonique
Enfin, l’humour misandre (qui se moque et ridiculise les hommes) est inhabituel au cinéma et a pour fonction de questionner la vision traditionnelle de la masculinité. Dans le monde de Barbieland, les rôles des femmes et des hommes sont inversés. Les femmes dirigent et dictent les règles, et les hommes y sont dépeints comme de naïves plantes vertes décérébrées. Dans le monde réel, la virilité caricaturale est moquée et les normes masculines raillées. Ces scènes interrogent l’identité masculine hégémonique et ses attributs stéréotypés (haut statut professionnel, voiture de sport, pouvoir écrasant, rationalité), encore peu questionnés aujourd’hui. Elles montrent comment la masculinité hégémonique légitime et nourrit cette société patriarcale. En effet, tandis qu’à Barbieland, les Barbies utilisent leur pouvoir pour réaliser leurs rêves, décider et devenir des femmes libres et épanouies, elles ne soumettent pas les hommes à travailler pour elles, ni ne les violentent ; à l’inverse, les Ken, en imposant le patriarcat à Barbieland (seconde partie du film) ne peuvent s’empêcher de dominer, rabaisser et de se faire servir par les femmes. Cette asymétrie fait ressortir l’injustice de ce système et ses inégalités consubstantielles. Et même si l’on peut regretter que le film ne montre pas la réalité du patriarcat et ses manifestations les plus violentes et mortelles, il nous interroge sur son intériorisation profonde dans nos schémas mentaux et comportementaux. Les Barbies sont comme lobotomisées et « programmées » lorsque le patriarcat s’installe à Barbieland et les Ken asservissent, malmènent et font la guerre. La réussite du film tient en grande partie à cette réflexion : le système patriarcal est une organisation ancestrale qui nous a programmé.e.s culturellement et socialement pour certains rôles, sources d’inégalités ; et ce n’est qu’en questionnant ces rôles et ses attributs (« les choses liées à toi ne sont pas toi » dit Barbie à Ken en conclusion) qu’un autre système plus équitable, plus équilibré entre les deux sexes, est possible. Cette réflexion nous invite à réfléchir -femmes et hommes- à nos propres conditionnements ordinaires, notre héritage, nos automatismes afin d’en prendre conscience, de les questionner et d’oser s’en émanciper.
Barbie instille un féminisme inclusif et inspirant
Ce film continue de susciter de nombreux débats et il est légitime de se demander si un film de super héros caricatural avec une virilité stéréotypée génère autant de discussions, s’il est autant l’objet de critiques d’être le vecteur ultime de la violence et de la domination masculine et source d’inégalités. Le Film Barbie manque certainement de finesse et d’acidité dans son analyse des hiérarchies genrées mais il a le mérite de faire passer des messages à un large public : aux femmes de dépasser des normes androcentrées pour oser créer leurs propres modèles, aux hommes de questionner leurs conditionnements et la masculinité dominatrice pour construire un monde plus juste et inclusif. C’est peut-être cela le vrai message du film… et ça c’est un féminisme inspirant !
L’auteur est Sabrina Tanquerel Professeur Associé en Gestion RH- Développement Personnel, Référente égalité CGE, EM Normandie