Des leaders humains inclusifs pour mieux manager la crise

Dillon Shook pour Unsplash
Dillon Shook pour Unsplash

La pandémie de Covid-19 rappelle que dans un environnement disruptif les crises vont inévitablement croître en fréquence et en intensité. Face aux crises externes, qu’elles soient économiques ou sanitaires, les individus et les organisations devront s’adapter pour surmonter des chocs brutaux.

 

Le philosophe des sciences américain Nicolas Taleb rappelle que les systèmes qui ne se renforcent pas lorsqu’ils sont soumis aux chocs externes sont fragiles et qu’ils disparaitront au profit des systèmes antifragiles. Face à l’incapacité de prédire l’imprévisible, la crise du Covid-19 questionne plus largement sur les systèmes d’adaptation organisationnels et humains qui permettront de surmonter ces chocs. L’étude que nous menons in vivo depuis le début de la crise permet d’identifier les process d’adaptation des managers à cette situation inédite.

 

Une nouvelle expérience humaine au-delà d’une gestion de crise

Qu’ils/elles soient responsables de service, d’équipe ou en fonction de direction, la crise impose aux managers de se positionner comme leaders. Beaucoup doivent s’adapter à l’urgence et l’incertitude quand leurs dirigeants n’étaient pas prêts ou leur organisation insuffisamment préparée. La prise de décision se veut rapide et directive, souvent complexe, mais toujours dans une volonté de protéger en premier lieu les collaborateurs/rices et l’intérêt de l’organisation. Tou.te.s révèlent une exceptionnelle agilité indispensable à l’adaptation des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des contradictions paradoxales propres au climat d’incertitude et d’instabilité.

Au-delà des problématiques fortes de gestion de crise, les managers vivent une nouvelle expérience humaine. La nouveauté pour ces managers c’est de devoir généraliser la gestion des peurs chez l’ensemble des membres de l’équipe et ainsi devoir développer une vigilance accrue vis-à-vis de leurs souffrances personnelles. Alors qu’une gestion de crise classique conduit à plus de directivité et de centralisation, celle du Covid place la considération pour autrui au cœur du management. Bon nombre de managers sont amenés à revoir leurs méthodes et techniques habituelles en se positionnant spontanément comme des leaders à l’écoute, exemplaires, faisant fi de leurs propres peurs.

 

La distance sociale renforce le management de proximité

Le confinement et la distanciation sociale pour les secteurs en activité, comme la distribution alimentaire ou le médical, provoquent de fait un éloignement physique avec les équipes. Paradoxalement, cet éloignement renforce le management de proximité.

Pour gérer la distance, les managers mettent en place des rituels d’équipe afin d’entretenir la continuité des liens sociaux. Bon nombre organisent des réunions d’équipe virtuelles quotidiennes qui constituent de véritables « bouffées d’oxygène » et des « points d’ancrage de l’activité ». Ces réunions, qui n’étaient pas ritualisées avant le confinement, ponctuent désormais la vie au travail. Elles permettent d’organiser l’activité mais également de « prendre des nouvelles » de chacun.e, ce qui n’était pas toujours leur fonction avant la crise. Elles incarnent alors un puissant outil de management qui permet à la fois de repérer les problématiques individuelles, de diffuser de l’information tout en rassérénant car « libérer la parole, rassurer encore, est plus que jamais nécessaire. ».

Dans ce cadre de distanciation physique, les managers de terrain peuvent se trouver en perte de repères. La situation questionne la nature même de la relation entre le manager et ses subordonnés. Il convient d’accepter la part d’informel qui s’installe et d’accroître le degré de confiance réciproque.

Un management plus inclusif de la diversité des situations au travail

Un des grands enjeux révélés par la crise consiste à manager la diversité accrue des approches individuelles du travail. Certaines personnes se sont surinvesties dans leurs missions, à domicile ou sur leur lieu de travail, voire sont allées au-delà des attendus. D’autres ont réduit leur investissement en raison de contraintes personnelles fortes, vivant mal la distanciation ou ne parvenant pas à recréer un cadre de travail. La situation complexe qui mêle la vie personnelle à la vie professionnelle requiert une agilité dont tout un chacun n’est pas capable. Le manager est alors poussé à s’inscrire dans une démarche inclusive qui vise à reconnaître l’unicité de ses collaborateurs/rices. Cette approche suppose non seulement d’être à l’écoute des besoins exprimés et d’apporter des réponses personnalisées, mais également de mettre en valeur l’expertise et les idées de chacun.e. Ce surcroit de reconnaissance existentielle permet parallèlement de prendre conscience de talents cachés au sein de l’équipe qui constituent autant de forces sur lesquelles il faudra s’appuyer pour l’avenir.

Le manager inclusif se préoccupe également de faire « société » (ensemble) dans le quotidien perturbé de son équipe. En effet, le confinement et les mesures post-confinement ont provoqué des inégalités de situation entre notamment les cadres en télétravail, qui maîtrisent les outils, face à des employés moins à l’aise ou sous-équipés. D’autres inégalités émergent entre employés qui doivent se rendre physiquement sur le lieu de travail contrairement à d’autres qui peuvent télétravailler. Cette diversité de situations, couplée aux peurs individuelles, constitue un risque pour la cohésion d’équipe. Elle peut générer un sentiment d’iniquité de traitement pouvant s’avérer source de tensions voire de conflits.

En conclusion, la crise actuelle en raison de son caractère exceptionnel va certainement transformer de manière durable les relations au travail en diminuant les frontières entre la vie personnelle et professionnelle. Elle conduit les managers à se comporter comme des leaders et à renforcer un management centré sur l’humain. L’approche inclusive permet autant d’identifier les difficultés individuelles pour y pallier que de révéler des talents ignorés tout en cherchant à préserver le collectif. La poursuite de cette étude permettra de comprendre si ces nouvelles modalités perdureront après la crise et transformeront durablement le management vers des approches plus humaines et libérées.

 

 

Les Auteurs sont

© Gilles Lefrancq

Dr Maryline Meyer, Enseignante-chercheure Montpellier Business School

Laboratoire Montpellier Recherche en Management

m.meyer@montpellier-bs.com

© Gilles Lefrancq

Dr Julien Granata

Enseignant-chercheur Montpellier Business School

Laboratoire Montpellier Recherche en Management

j.granata@montpellier-bs.com

 

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