Les idées recues sur le leadership sont légions. Elles concernent tant le profil des leaders que les méthodes de management ou encore les attentes des salariés vis-à-vis de leurs responsables. Si les stéréotypes se renouvellent, un néo-leadership se dessine, humaniste et partagé. – Par Ariane Despierres-Féry
Si vous demandez à CHRIS WORLEY, ENSEIGNANT CHERCHEUR MEMBRE FONDATEUR DU CENTRE DE LEADERSHIP ET EFFICACITÉ ORGANISATIONNELLE DE NEOMA BUSINESS SCHOOL, si la question du leadership reste d’actualité, il vous répondra que « le nombre de conversations et publications sur ce thème nous dit l’importance du sujet ! Dans les entreprises, on s’interroge en permanence sur ce que devrait être le leadership, sur comment développer des leaders… »
« Le leadership n’est pas une position hiérarchique »
L’organisation traditionnelle et hiérarchique des entreprises a produit le premier des stéréotypes : les leaders sont au sommet de l’entreprise, ils la dirigent. « Il y a confusion entre dirigeant et leader, même si de nombreux dirigeants sont aussi de bons leaders ! » Cette confusion a des effets délétères alors que les entreprises doivent faire face à des changements rapides et profonds. « Les organisations centralisant le leadership peinent à prendre un temps d’avance face à ces évolutions et à en faire des opportunités pour l’organisation et ses hommes », constate le professeur. Pour évoluer, l’entreprise a besoin de plus de leaders, considérant et gérant les changements à tous les niveaux de l’organisation. L’enjeu est donc de favoriser le développement de compétences de leadership chez plus de personnes.
« Le leadership n’est pas un trait individuel »
Si le leadership est considéré comme une qualité individuelle, le bon leader est celui qui se place en position d’aider de manière à faire progresser l’organisation. Mais pour Chris Worley, « le leadership n’est pas un trait individuel, c’est une capacité de l’organisation. Le leadership assimilé à une position hiérarchique est mort ! Déjà nous constatons que les entreprises les plus performantes et agiles sont celles qui ont déployé un leadership d’un nouveau genre : collectif et réciproque. »
Céder du pouvoir
Environ 20 % des entreprises proposent ce type de leadership à l’instar de Danone, Unilever, Eli ou encore Brioche Pasquier. « Dans ce modèle il faut partager le leadership, donc le pouvoir. Et nombre de dirigeants ne sont pas encore prêts à le céder. Nous parlons ici d’un changement culturel qui viendra des premiers concernés. » Le renouvellement des générations aux manettes des entreprises est une autre clé pour faire progresser cette vision du leadership, plus prisée des Millennials que des baby-boomers…
Un leadership collectif et réciproque
Le leadership collectif est fondé sur une autre conception de l’entreprise et la mise en place coordonnée de nouveaux process. « Il exige une aptitude à introduire et accepter l’influence de sources multiples, ascendantes et latérales dans un système encore largement fondé sur une influence descendante. Ce leadership consiste donc à développer de nouveaux comportements et à créer l’environnement dans lequel ils peuvent s’épanouir. »
QUEL LEADER EST L’INGÉNIEUR ?
RÉPONSES D’ALAIN SCHMITT, directeur de Mines Albi
« Bénéficier d’une formation de haut niveau donne des droits et des devoirs. Le premier devoir de nos diplômés est de se montrer responsables dans leurs entreprises et dans la société. »
Leaders du capital humain
Cette responsabilité passe notamment par une gestion exemplaire des hommes et des femmes. Mines d’Albi a ainsi mis en place une sensibilisation obligatoire pour tous ses élèves au management de la diversité : le Programme d’excellence diversité, développé en complément de la Cordée de la réussite Osez l’excellence. Les élèves-ingénieurs tuteurs de la Cordée et ayant rédigé un mémoire sur cette expérience d’ouverture sociale bénéficient en outre d’une certification reconnue par l’Etat. Fin 2015, Mines d’Albi a été la première école primée aux Victoires des leaders du capital humain dans la catégorie secteur public (ex-aequo avec le CNRS). Cette initiative a également été citée en exemple par Gérard Mestrallet (dont le groupe ENGIE est partenaire du programme) lors du colloque de la CGE en mai 2016. Fort de ces reconnaissances, le programme a maintenant vocation à essaimer dans l’enseignement supérieur.
Ingénieur humaniste, le mineur est un leader ouvert à la diversité, attentif à l’autre et au collectif
Alain Schmitt se dit très fier d’avoir été distingué pour un programme qui incarne les valeurs pédagogiques de l’école. « Nous formons des ingénieurs très solides aux plans scientifique et technique qui sont aussi des gens apportant un savoir-être dans l’entreprise. Notre tradition humaniste s’est encore renforcée avec l’ouverture multiculturelle de l’école et des emplois de nos diplômés. Etablir une relation de confiance et efficace avec l’autre, c’est d’abord comprendre qu’il existe plusieurs vérités et qu’elles peuvent coexister. Si l’on s’arrête à son propre point de vue, on ne peut pas travailler avec l’autre et encore moins l’encadrer. »
LE MANAGEMENT HUMANISTE EST UNE NÉCESSITÉ
TROIS QUESTIONS à ALAIN SOURISSEAU,
auteur de Les leviers de la performance pérenne chez Eyrolles et conseil de dirigeants.
Comment l’accélération contextuelle affectant les prix, les marchés et les technologies, change-t’elle le rôle du dirigeant ?
L’économie stable qui laissait du temps pour réfléchir et agir est révolue. La démarche de transformation est vitale pour fonder une performance pérenne. Le dirigeant est désormais le transformateur d’un organisme architecturé et vivant. Il adapte sa structure, son système de pilotage et sa gouvernance en permanence. Tel le médecin du corps social de l’entreprise, le leader mène la transformation en trois étapes : le diagnostic, l’ordonnance et la mise en oeuvre de la transformation en l’accompagnant.
Comment réussir cet ajustement perpétuel ?
Autrefois, l’humanisme d’un dirigeant était un plus. Dans un contexte de transformations profondes, c’est devenu une nécessité, ce dont les entreprises ont besoin. Plus le leader est humain et empathique, plus il est pertinent pour faire changer les choses. Cela relève de la culture managériale et doit donc être déployé à tous les niveaux. Toute personne en responsabilité est un facteur d’efficacité dans la chaine managériale.
« Le leader humaniste fonctionne sur une base de données relationnelles et non plus sur un système hiérarchique »
Qu’est-ce que le management humaniste ?
L’humanisme est un facteur non quantifiable. On peut apprendre à parler en public, à se mettre en relation avec les autres ; mais on n’apprend pas le goût des autres et de la rencontre ; le sens du service, l’envie de résoudre des problèmes et d’aider. Le management humaniste est un management charismatique en opposition au management de commandement. Le management humaniste privilégie l’obligation de résultats à l’obligation de moyens.
« Le management humaniste, c’est se mettre à la place de l’autre, c’est lutter contre la rigidité des rapports. »