C’est la fonction même des objets connectés de capter des données personnelles, partager l’intimité de son utilisateur et agir sur un mode autonome. Donc effectivement, les objets connectés mettent nos vies privées à l’épreuve ! Pour les fabricants, ne considérer que les aspects technologiques au détriment des questions éthiques de vie privée risquerait de mener au rejet de l’objet connecté. Dès la phase de conception, l’objet devrait être construit dans la perspective d’une connectivité respectueuse.
Un objet connecté qui attire autant qu’il repousse
L’engouement par les particuliers pour les objets connectés est fort, les innovations technologiques élargissent le champ des possibles : sécurité (smart home), performance (montre connectée, santé connectée), facilité (assistant vocal), etc. Ainsi, une étude internationale récente (Internet Society, mai 2019) révèle ainsi que 2/3 des foyers (Australie, Canada, Etats-Unis, France, Japon et Royaume Uni) possèdent au moins un objet connecté. Et pourtant, ces objets connectés sont craints pour leur capacité à assurer sécurité et confidentialité des données collectées par l’objet (plus de 70 % des personnes interrogées, Internet Society).
La puissance de la connectivité au cœur des questions de vie privée
Le contexte paradoxal d’un objet connecté qui attire autant qu’il repousse s’explique par la puissance de la connectivité de l’objet : collecte massive de données grâce aux capteurs, caméras, micros, etc. dont sont équipés les objets, algorithmes qui produisent de la connaissance au service du client, décisions et actions exécutées par l’objet à l’issue du traitement des données, interface conversationnelle entre l’objet et l’utilisateur ou d’autres objets.
Les risques de violation de la vie privée sont ainsi intrinsèques aux objets connectés
Oui, les objets connectés mettent nos vies privées à l’épreuve ! Quels sont les principaux problèmes ? Quelles sont les pistes de solutions pour les fabricants ?
Les robots aspirateurs n’aspirent pas que de la poussière
Les critiques les plus vives à l’égard des objets connectés concernent le droit à maintenir secrets certains aspects de la vie privée et à contrôler leur divulgation : la collecte et l’utilisation des données personnelles sont le nœud du problème.
Ainsi, les robots aspirateurs n’aspirent pas que de la poussière ! Pour réaliser efficacement leur tâche ménagère, les aspirateurs collectent des informations leur permettant de retracer le plan du domicile, la surface, l’agencement des pièces, etc. Les appareils sont dotés de caméras de façon à reconnaître les meubles et autres objets. Ces informations pourraient être exploitées à l’insu de son propriétaire par des algorithmes qui déduiraient le nombre de personnes au foyer, la présence d’enfants, et autres informations relatives à une vie très intime. En 2017, le CEO de Rombat, fabricant de robots aspirateurs, annonçait qu’il envisageait la commercialisation des données collectées par les aspirateurs. Il s’est vite rétracté face aux vives réactions des consommateurs et des médias, ainsi qu’à la prise de position inverse de son concurrent principal. Avec cette déclaration, Rombat perdait ce qui est le plus précieux, la confiance de ses clients. L’épisode en lui-même a été utile puisqu’il a abouti à une prise de conscience concrétisée dans la dernière gamme de robots aspirateurs (automne 2020) : présence d’un gros voyant lumineux informant en temps réel de la captation des données ; temps restreint de stockage des images enregistrées sur l’objet même et aucun stockage dans le cloud ; interface permettant à l’utilisateur d’accéder facilement à la nature des données collectées et à désactiver si besoin.
Mais laisse-moi tranquille, je veux écouter mon émission !
Il nous est tous arrivé en voiture d’être agacé par la voix du GPS qui coupe soudainement la radio pour énoncer une information. L’émission vous passionne, « Mais laisse-moi tranquille, je veux écouter mon émission ! » Ne pas être perturbé dans son quotidien, avoir le droit d’être laissé seul : la tranquillité est une autre dimension de la vie privée et la déconnection devrait être un droit. Ainsi, les objets devraient être munis d’une commande activable à tout moment pour déconnecter facilement et instantanément l’objet à la demande de l’utilisateur. Un robot-aspirateur devrait ainsi faciliter la programmation et la personnalisation des moments et espaces de travail (par exemple, déconnection programmée dès que le propriétaire rentre chez lui et activation par échange d’informations entre le robot et la serrure connectée lorsqu’il quitte le domicile).
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Mais, ce n’est pas mon chemin, je ne veux pas passer par là !
Décider sur sa propre vie, son identité, ses préférences, le choix de ses activités, la capacité à se gouverner soi-même, bref la souveraineté de chacun sur sa propre personne est une facette essentielle de la vie privée. En laissant des objets décider et agir pour nous, c’est une part d’autonomie individuelle que nous perdons. Et si on ne souhaite pas passer par le chemin suggéré (imposé ?) par le GPS, c’est notre droit, un point c’est tout.
Paradoxalement, l’autonomie de l’objet rend son propriétaire dépendant. C’est l’une des raisons pour lesquelles de nombreux médecins diététiciens ne prescrivent pas de trackers de fitness partant du principe qu’une personne en surpoids doit est responsable de son régime. Une recherche scientifique publiée dans la revue JAMA en 2016 confirme cela : les personnes obèses qui suivent un régime et notent dans un carnet leur activité physique perdent 2 kilos de plus que celles qui utilisent une montre connectée.
L’équation est ici compliquée à résoudre pour les fabricants et la meilleure des solutions serait d’inclure différents niveaux d’autonomie personnalisables selon les besoins de l’utilisateur.
Une connectivité respectueuse du secret, de la quiétude et de l’autonomie de son utilisateur : voici les clés essentielles d’une relation de confiance avec les utilisateurs d’objets connectés.
Sandrine Macé, Professeur, ESCP, Directeur Scientifique de la Chaire IoT et responsable de l’option IoT