Depuis quelques années, de nombreux dirigeants d’entreprises, consultants, gourous en management voire des académiques soutiennent que l’épanouissement des salariés au travail passe essentiellement par des innovations managériales. La solution semble toute trouvée : faire des salariés leur propre manager !
Récemment dans la presse économique, le professeur Gary Hamel, de la prestigieuse London Business School, a renouvelé l’idée centrale de son dernier ouvrage La fin du management pour avancer que la « catégorie des ‘managers’ va bientôt disparaître ». Selon lui, dans un futur proche, « les tâches de management seront distribuées plus équitablement entre tous les employés ». Ainsi, les entreprises visant à se libérer cherchent à réduire de façon significative le management intermédiaire. Parfois, on cherche même à la supprimer complètement. Voici donc la clé du bonheur au travail… ou pas.
A date, aucune étude scientifique n’a pu démontrer une stricte corrélation entre l’adoption de telles innovations managériales et le bien-être des employés. Le lien positif entre ces initiatives et la performance économique et sociale des entreprises n’est d’ailleurs pas démontré. Pourquoi ?
Coordination horizontale ou verticale ?
Sans prétendre quantifier financièrement ce que coûtent ces transformations, il apparaît toutefois qu’elles nécessitent des efforts importants de la part des salariés en termes d’implication dans ces nouvelles façons de travailler et de coopérer au quotidien. Ces efforts peuvent parfois « coûter » à tout à chacun. Ils supposent de s’engager davantage pour que la mission de l’entreprise se réalise, ce qui peut au bout du compte nuire au niveau de satisfaction des salariés.
En prônant la coordination horizontale en équipe plutôt que hiérarchique, et donc verticale, ces innovations managériales transforment les formes d’interaction entre les salariés d’une même équipe. Concrètement, alors que les managers ont notamment pour mission de définir le cadre de réalisation du travail et d’arbitrer le cas échéant, l’autogestion gérée par des salariés de même statut rend souvent plus fragiles les solidarités préexistantes dans les équipes. Un tel changement peut accroitre le sentiment d’isolement de chacun et mettre à mal la notion de bonheur au travail.
Ces innovations managériales reposent sur le postulat que chacun accepte de partager ses informations avec autrui. Or, il est bien connu que la détention d’informations et de connaissances s’avère être une source importante de pouvoir en entreprise. Au final, ce bouleversement culturel peut renforcer la dimension politique des organisations en favorisant des jeux d’alliances et de compromis. Bien souvent, une telle ambiance nuit directement au bien-être des salariés, mais aussi à la performance économique.
Gagner en agilité et en réactivité
Libéré des contraintes organisationnelles du passé, le salarié est censé atteindre un niveau supérieur de satisfaction. Pourtant, cette ‘libération’ exige que chaque salarié sorte de sa routine et engage un travail de réflexion sur les process afin de gagner en agilité et en réactivité. Il ne faut pas sous-estimer l’exigence d’un tel travail ainsi que les efforts et le temps à y consacrer, surtout en ce qui concerne des employés pour lesquels une telle approche est complétement nouvelle. De nombreux salariés ayant vécu cette situation indiquent « qu’ils repartent désormais avec du travail à la maison ». Ce n’est pas forcément la meilleure recette du bonheur…
Il s’avère que toutes ces démarches pour décentraliser la prise de décision au niveau opérationnel augmentent in fine la charge de travail, mais aussi le niveau de responsabilité de chacun. Ainsi, les salariés ont souvent le sentiment de « faire le travail du chef », mais sans la contrepartie du statut ou de la rémunération. Comment s’y retrouver ?
Au final, instaurer une plus grande implication des salariés opérationnels dans la co-construction de l’organisation fait naître de nouvelles attentes qui modifient la relation de chacun à son emploi. Puisque la nature du travail demandé a évolué, la nature des engagements de l’organisation à l’égard des employés (prime, carrière, sécurité d’emploi, rémunération) doit également évoluer. Le grand risque, c’est que cette évolution génère de la frustration, puis un désengagement. C’est à ce prix qu’un nouveau pacte social favorisant performance économique et bonheur au travail pourra émerger dans nos entreprises !