L’urgence sanitaire serait-elle en passe d’effacer l’urgence climatique ? Garder le cap d’une feuille de route ambitieuse élaborée dans le « monde d’avant » ou la mettre en pause pour relancer l’économie « d’après » en restant sur ses acquis ? L’heure est-elle à la relance durable ? Les pistes de nos experts.
Alors que le Gouvernement a publié le 23 avril dernier le décret d’application de la Programmation pluriannuelle de l’énergie « sans en faire varier les objectifs », la transition écologique semble bel et bien engagée. Avec un objectif en ligne de mire : la neutralité carbone d’ici 2050. Un décret publié alors même que la pollution mondiale baisse drastiquement et de façon totalement inédite grâce au confinement. Selon une étude publiée le 29 avril par le Center for Research on Energy and Clean Air (CREA), on observe en effet une diminution d’environ 40 % du niveau moyen de dioxyde d’azote et de 10 % du niveau de la pollution à particules. Environ 11 000 décès auraient ainsi été évités en Europe depuis la mi-mars 2020.
Les objectifs de la feuille de route énergétique
Une réduction de 16.5 % de la consommation finale d’énergie en 2028 par rapport à 2012
Une réduction de 30 % des gaz à effet de serre issus de la combustion d’énergie en 2028 (par rapport à 2016)
Doubler les capacités de production d’électricité renouvelable en 2028 (par rapport à 2017)
Fermer 14 réacteurs nucléaires d’ici 2035
Un impact positif sur l’environnement, mais une situation de crise inédite pour le monde économique, notamment pour des secteurs industriels très pourvoyeurs d’emplois (automobile, aéronautique) mais aussi particulièrement générateurs de pollution.
Ecologie vs Economie : le match ?
Mais alors starter d’une relance durable ou simple parenthèse : comment interpréter l’impact du Covid-19 sur l’environnement ? « Il est probable qu’à moyen terme les activités reprennent et qu’il ne s’agisse là que d’une « petite pause » dans le ralentissement des émissions de gaz à effet de serre. Certains industriels arguent même que suite à cette crise l’environnement ne serait plus la priorité. Autrement dit, le Covid-19 pourrait être un argument pour évincer l’environnement des enjeux globaux » craint Sébastien Bourdin, professeur en géographie économique et doyen délégué de la faculté EM Normandie.
Un électrochoc ?
Constat partagé par Pierre Baret, professeur au sein d’Excelia Group et Directeur de l’Institut de la responsabilité sociétale par l’innovation (IRSI). « En quelques semaines, le monde a été capable d’investir des centaines de milliards pour essayer de prévenir et de juguler la crise sanitaire du Covid19 alors même qu’on n’investit presque rien sur des pollutions avec impact sanitaire très important. Référons nous par exemple aux conséquences sanitaires de la pollution de l’air : 48 000 décès prématurés sont liés à la mauvaise qualité de l’air chaque année en France et 2 millions en Chine. Cette pandémie c’est aussi l’aboutissement de pratiques non responsables usitées depuis des années. Soit la situation actuelle va servir d’électrochoc, soit elle coûtera si cher que les décideurs repartiront coûte que coûte, quitte à s’assoir sur certains enjeux sociaux et environnementaux. »
Réapprendre la sobriété
Et pourtant, le confinement a permis à de nombreux Français de repenser leurs pratiques quotidiennes. « Les consommateurs se sont rendus compte qu’ils pouvaient avoir des comportements plus sobres, comme en atteste l’explosion de la consommation de produits locaux et bios par exemple » précise Sébastien Bourdin. Mais cet élan de consommation plus responsable s’annonce-t-il pérenne ? « A l’échelle des individus j’ai envie de croire que cela va modifier les comportements de manière durable. Encore faut-il avoir les moyens financiers de faire ce choix responsable, mais plus onéreux » estime-t-il. Le rôle du politique s’avère ainsi crucial. « Accompagner ceux qui ont envie de consommer autrement mais qui n’en ont pas forcément les moyens permettrait non seulement d’œuvrer pour la planète, mais aussi de lutter contre les inégalités sociales ». Pierre Baret voit d’ailleurs « cette certaine reprise en main de l’Etat, du politique, sur l’économique d’un œil positif. La vocation de l’Etat est d’être garant de l’intérêt général et donc de se projeter sur un long terme que les marchés financiers ne prennent pas forcément en compte. »
Et du côté des entreprises ?
Alors que l’Union Européenne a signé un New Green Deal très ambitieux, quelle sera la place de la finance durable dans le monde d’après ? « Du côté des industries extrêmement touchées par la crise (pétrole, automobile, aéronautique…) on pense en priorité à l’emploi. Pour limiter la casse on appelle à retarder, voire à geler la feuille de route durable, alors même que de nombreuses études prouvent que les entreprises qui ne considèrent pas la RSE comme un coût mais comme un investissement connaissent des bénéfices supérieurs aux autres » indique le professeur d’EM Normandie. Un investissement d’autant plus nécessaire pour gagner la guerre des talents. « Si les étudiants des années 90 étaient assez indifférents aux questions environnementales, une prise de conscience a commencé à s’enclenché dans les années 2000, où nous avons monté le premier cours de RSE dans le PGE d’une business school. Et progressivement leurs questionnements se sont affinés. Pour beaucoup, la prise en compte des enjeux RSE par les entreprises est un acquis et la question est plutôt de savoir comment elles s‘y prennent. Une entreprise qui serait connue pour ses pratiques non responsables aurait du mal à recruter aujourd’hui » conclut Pierre Baret.
Des copeaux de bois pour lutter contre le Covid-19 ?
Les équipes de scientifiques d’AgroParisTech (URD ABI) et de l’Université de Reims Champagne Ardenne (UMR ICMR) travaillent sur la molécule phare de la start-up australienne Circa Group, la Levoglucosenone. Produite par pyrolyse à partir de déchets de la filière bois, cette molécule peut ensuite être transformée par un procédé durable de chimie verte développé et breveté par l’URD ABI d’AgroParisTech, puis par des procédés chimiques plus classiques, en ribonolactone. Un intermédiaire chimique d’intérêt pour la synthèse des composés biologiquement actifs (antiviraux, anti-inflammatoires et anti-cancéreux). Une nouvelle voie de production par des alternatives plus durables vouée à servir l’ensemble de la communauté des chercheurs travaillant dans le domaine des antiviraux et donc des traitements potentiels du coronavirus.