Comment le président Macron a-t-il ravivé le concept de légitimité ?

concept de légitimité
crédits Unsplash / Junior Eddie

Rarement un concept n’aura connu un regain de popularité aussi rapide et inattendu que celui de légitimité. En effet, dans le cadre de la réforme des retraites et différents mouvements qui ont suivi, le Président de la République, qui avait rassemblé le 21 mars dernier les parlementaires de la majorité à l’Elysées, a estimé que « la foule, quelle qu’elle soit, n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime souverain à travers ses élus. »

A travers l’emploi du 49.3, le gouvernement a vanté la légalité du processus démocratique. Selon le Président, « quand on croit à cet ordre démocratique et républicain, l’émeute ne l’emporte pas sur les représentants du peuple ».  Mais que vaut l’utilisation du 49.3 si on ne lui accorde aucune légitimité ?

Historique du concept de légitimité

Comme l’explique Zelditch (2001), « la légitimité est un des problèmes les plus anciens de l’histoire intellectuelle des civilisations occidentales. Son histoire s’étend sur plus de vingt-quatre siècles. » Le développement historique du concept de légitimité a suivi un mouvement pendulaire qui balance entre coercition, contrainte et conflit d’un côté et adhésion, conformité et consensus d’un autre.

L’approche étymologique met l’accent sur la conformité à la loi et à la norme. Le terme légitimité dérive du terme latin « lex-legis » ou « legitimus » qui signifie « la loi ». Il exprime donc une conformité avec les normes légales depuis l’époque Romaine. L’approche contextuelle renvoie à la notion de pouvoir. Bien que le terme de légitimité n’existe pas en grec ancien, le concept est présent. Il permet d’assurer la stabilité du pouvoir. Cependant, le pouvoir repose sur la coercition chez Thucydide alors qu’il repose sur le consensus chez Aristote et Platon (La République).

Pour Machiavel (1532) et Rousseau (1762), la légitimité est un pré-requis à tout ordre social. La stabilité politique est liée à la légitimité du gouvernement, c’est-à-dire à son acceptation volontaire. Cependant, Machiavel considère que les processus de légitimation sont purement instrumentaux et stratégiques car ils sont fondés sur des intérêts personnels rationnels. Dans le Léviathan de Hobbes (1651), l’autorité représente la source première de légitimité et du pouvoir politique.

Weber a étudié la manière dont les règles culturelles (les coutumes, les lois et régulations) définissent les structures sociales et gouvernent les comportements sociaux. Il est à l’origine du concept « d’ordre légitime ». Weber (1995) a identifié trois caractéristiques qui permettent de valider la légitimité : le caractère rationnel (ex : la domination légale), le caractère traditionnel (ex : féodalisme, autorité patriarcale) et le caractère charismatique (ex : un leader).

La notion contemporaine de la légitimité trouve ses racines au XVIIe siècle. La légitimité se définit comme le « caractère de ce qui est fondé en droit ou de ce qui est conforme à l’équité, à la raison, aux règles établies, à la tradition » (Dictionnaire de l’Académie Française, 1986). Ainsi, apparaît le caractère multidimensionnel du concept de légitimité. La légitimité n’appartient plus seulement à la sphère légale, mais aussi aux multiples dimensions qui régissent la vie des acteurs sociaux : la justice, les normes, les valeurs et les croyances qui peuvent exister au sein d’une société.

Comment se construit la légitimité ? Légitimité conférée vs. Légitimité acquise

Deux grandes approches de la légitimité co-existent.

Selon la première approche, la légitimité est conférée par différentes parties prenantes, notamment dans une perspective (néo)instititonnelle. Just like beauty, legitimacy lies in the eyes of beholder – Tout comme la beauté, la légitimité n’existe que dans l’oeil de celui qui la confère. La déclaration d’Emmanuel Macron a bien évidemment déclenché un tollé. Mieux, elle permet d’identifier les forces en présence, autrement dit les parties prenantes qui confèrent différents types ou incarnent différentes sources de légitimité. D’un côté, on trouve le gouvernement ou encore la majorité, principalement composée des élus parlementaires ou sénateurs. D’un autre côté, on retrouve les opposants à la réforme, que ce soit l’intersyndicale, les opposants politiques. On trouve aussi une partie de la population. Chacun se réclame d’un type de légitimité. D’autres sources de légitimité co-existent, notamment les acteurs de la sphère économique ou sociale, mais aussi les media.

Une deuxième approche de la légitimité est plus stratégique. La légitimité n’est pas conférée, elle s’acquière ou se construit. Chaque partie prenante peut engager des actions pour s’accaparer une légitimité perdue. Les manifestants appellent à des grèves reconductibles. A coup d’ordures non ramassées, de dépôts pétroliers bloqués, ou encore de trafic ferroviaire bloqué, la foule a parlé. Les manifestations et tensions sur le territoire n’ont cessé depuis ces dernières semaines. Par ailleurs, En invitant l’intersyndicale le 5 avril, le gouvernement cherche à réparer sa légitimité.

La frontière entre le légitime et l’illégitime

En cherchant à expliciter ses propos, le président Macron a par suite indiqué que « en démocratie, ça n’est pas parce qu’un texte passe à très peu de voix qu’il est illégitime. » Comment trancher ce qui est légitime ou illégitime ? Selon la théorie néo-institutionnelle, il existe trois grands types de légitimité : régulatrice (ou légale), normative (ou sociale) et cognitive. Le pilier réglementaire correspond aux institutions réglementaires, les règles et lois qui existent. Le 49.3 est légal, en est-il pour autant légitime ? Selon le rapporteur spécial des Nations unies Michel Forst « certaines actions illégales sont parfois légitimes. » Le pilier normatif représente la conformité aux normes et valeurs sociales. Ainsi, certains défenseurs ou adversaires pourraient rattacher l’utilisation du 49.3 à des systèmes valeurs, notamment les valeurs républicaines ou démocratiques. Comme l’indiqué le président Macron, la priorité est de « ne pas laisser une sorte d’inversion des valeurs s’installer », et que « le texte va poursuivre le chemin démocratique. » Le pilier cognitif-culturel représente la dimension de la légitimité « allant-de-soi » à travers l’adoption de cadres de référence communs. Bien que reposant sur le pilier légal, l’utilisation du 49.3 a largement fait réagir, et a questionné la légitimité de la foule, également auprès des plus jeunes. Le référendum apparaitrait alors comme le pilier cognitif de la légitimité.

Que retenir ?

Tout d’abord, la légitimité est un concept multi-dimensionnel complexe. Comme l’explique le président Macron, « il y a des légitimités qui existent » … même s’il termine son propos en « (le peuple) il se dote de responsables qui ont une légitimité politique, un président de la République, des parlementaires, qui sont élus par lui ». Une légitimité incontestée reposerait donc sur le juste équilibre des différents piliers qui la composent. Depuis son premier mandat, Macron avait également remis au goût du jour le concept de souveraineté, notamment en plaidant pour une « souveraineté numérique européenne », et en indiquant que « La souveraineté sanitaire et industrielle sera l’un des piliers du plan de relance » à la suite de la pandémie. La légitimité populaire étant souveraine, elle représente la légitimité ou autorité suprême qui surpasse toutes les autres. Comme l’explique l’historien Jean Guarrigues, le président Macron « a négligé une autre légitimité qui la dépasse dans la tradition française héritée de 1789 et des révolutions du XIXe siècle : celle de la souveraineté populaire. »

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Crédits Thomas Leclerc – EM Normandie

Par Sylvaine Castellano, EM Normandie Business School

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