Mobilités, robotique, matériaux, dispositifs médicaux, greentech ou encore industrie 4.0. Parmi les incubateurs des écoles d’ingénieurs, celui d’Arts et Métiers se démarque par sa spécialité : l’accompagnement de projets industriels. Marie Brandewinder, directrice de l’incubateur et directrice de l’innovation, nous présente cette structure unique en son genre.
La touche en plus de votre incubateur ?
L’incubateur d’Arts et Métiers existe depuis 2012, ce qui en fait une structure relativement ancienne ayant accompagné un peu plus de 140 projets. Notre spécificité : l’incubation de projets industriels, innovants et durables. Par industriels, on entend les projets digitaux à destination de l’industrie, comme les services et technologies de compréhension des données pour optimiser les process industriels dans l’usine 4.0 – minoritaires en nombre – et les projets hardware. Si nous accompagnons des projets variés, tous ont une caractéristique commune : la production en série. Cela fait d’eux des produits plus techniques, l’industrialisation étant un savoir-faire long et complexe qui demande beaucoup d’investissements, car une ligne de production est très coûteuse. Ce n’est pas anodin d’incuber des projets industriels car ils ne correspondent pas forcément aux attentes des investisseurs qui souhaitent des revenus et un retour sur investissement rapides. La difficulté va donc être de trouver des financements adaptés à ces profils de projets qui peuvent, eux-aussi, être extrêmement rentables mais demandent plus de temps de développement.
Vous organisez régulièrement des comités d’incubation pour sélectionner les projets à accompagner. Dites-nous en plus sur ce fonctionnement.
Nous organisons en effet cinq comités d’incubation par an. Composés d’une vingtaine de membre dont l’Ademe, l’agence de l’innovation de défense, Dassault, la Mairie de Paris ou la Région Ile-de-France, ils nous permettent d’intégrer entre trois et quatre projets par comité. Nous accompagnons en permanence entre 15 et 20 projets, un flux continu qui fait coexister au sein de l’incubateur des projets avec des maturités très différentes. En tant que directrice, ce n’est pas forcément simple car il faut en tenir compte pour organiser le programme d’interventions et d’expertises que nous proposons aux incubés. Du point de vue de ces derniers, c’est un avantage auquel je tiens, car cela permet la circulation des informations et des expertises entre pairs.
Quid des profils de vos incubés ?
Très peu de porteurs de projets incubés chez nous le sont en sortie d’études. Souvent, ils ont une expérience professionnelle de cinq ou dix ans. Un tiers des projets sont portés par des alumni Arts et Métiers, le reste est porté par des profils d’horizons très variés. Notre objectif : rendre accessible à tous la gestion et l’accompagnement de projets industriels. Dans cette optique, nous avons d’ailleurs 25 % de projets incubés portés par des femmes. C’est une grande fierté d’avoir atteint ce pourcentage, d’autant plus dans le milieu technologique et industriel. Je pense que mon profil n’y est pas pour rien : c’était une démarche volontaire de ma part d’ouvrir l’incubateur au plus grand nombre. J’ai réfléchi à la composition du comité d’incubation et à des accompagnements spécifiques pour les projets portés par des femmes. Dans le milieu de la création d’entreprise, entre 80 et 90 % des levées de fonds sont réalisées par des hommes, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir.
Entre aspects business et techniques, comment structurez-vous votre accompagnement ?
Nous proposons une convention d’incubation de 18 mois – qui peut s’étendre si la phase de conception et de développement prend plus de temps que prévu. Côté business, la première étape est toujours de remettre le plan complètement à plat et de rappeler les contraintes d’industrialisation. En tant qu’incubateur labellisé Fonds Parisien pour l’Innovation par la Ville de Paris et Innov’up Incubation par la Région Ile-de-France, nous proposons à nos incubés des accès privilégiés à des dispositifs de financement. Ils peuvent ainsi obtenir jusqu’à 30 000 euros par la Mairie de Paris et la Région Ile-de-France. Autre dispositif qui nous est propre : un système de prêts d’honneur qui permet d’attribuer 30 000 euros par personne et 60 000 euros par projet maximum.
Et sur la partie industrielle ?
Du fait de l’expertise de l’école, en conception pour l’industrialisation notamment, nous pouvons mettre à disposition des porteurs de projets les ressources techniques du campus Arts et Métiers de Paris tels qu’un atelier de prototypage disposant de machines d’usinage conventionnelles et numériques, un atelier de fabrication additive, des laboratoires de recherche, et une expertise industrielle unique pour proposer un accompagnement capable de traiter ensemble et en cohérence les aspects techniques, industriels et business des projets.
En échange, qu’attendez-vous des porteurs de projets ?
Qu’ils soient enthousiastes ! Qu’ils réussissent à gérer les déceptions, les hauts et les bas aussi, qui sont très fréquents dans l’aventure de la création d’entreprise. Souvent, les incubés arrivent très motivés et ensuite, il y a un moment de creux quand rien ne se passe comme prévu, qu’on refait leur plan de développement… Cela fait partie du jeu de l’incubation. Le chemin est étroit entre l’entêtement et la capacité d’écoute, il faut qu’ils réussissent à placer le curseur au bon endroit et qu’ils soient convaincus de l’aide qu’on va leur apporter.
A l’incubateur des Arts et Métiers, une large palette de projets
Parmi les projets incubés qui ont marqué Marie Brandewinder, la startup Omni et son GlobeTrotter, un système permettant d’accrocher ensemble un fauteuil roulant manuel et une trottinette électrique. « C’est un mécanisme malin et low-tech, en métal, qui permet d’augmenter la mobilité des personnes en fauteuil sans passer par le coût très élevé des fauteuils électriques » explique la directrice de l’incubateur. Mais la structure accompagne aussi des projets plus originaux comme celui, dédié au BTP, d’une borne connectée permettant aux chantiers d’avoir toujours une version à jour des plans pour éviter les erreurs de construction. La robotique est aussi fortement représentée. « Nous avons un projet qui prend à bras le corps le souci d’obsolescence programmée dans les imprimantes à travers une imprimante entièrement démontable et réparable. Un autre système robotisé en développement sera lui dédié à l’aide au diagnostic du cancer de la vessie. Ce sont des supers projets, parfois risqués, que nous pouvons soutenir car nous sommes un incubateur public, ça fait partie de la beauté de l’exercice » conclut Marie Brandewinder.