Depuis plusieurs années, le terme New Space s’est développé dans la littérature spécialisée pour trouver sa place dans les journaux grands publics. Si le terme est énigmatique, il est pourtant au centre du bouleversement qui prend place dans l’univers aérospatial. Pour mieux comprendre ce qui se cache derrière ce terme et cette nouvelle dynamique, nous avons interrogé Béatrice Escudier, professeur et coordinatrice des affaires spatiales de l’ISAE Supaero et directrice du Centre spatial universitaire de Toulouse (CSUT). « Il s’agit en réalité d’une nouvelle manière de traiter de l’espace et de développer des missions. Derrière cette expression se cache une réflexion portée sur les matériaux, mais aussi sur les business models qui deviennent hybrides, à la croisée des grands groupes, des PME et des startups. »
Destination : l’avenir
Avec la création de ce nouveau business spatial, de nombreux enjeux ont émergé. Et si certains pays, comme les États-Unis, créent déjà une force armée de l’espace, les principaux défis de l’espace commencent en réalité sur Terre. Car avant d’aller explorer les confins de l’infini, la conquête spatiale nous permet d’en savoir plus sur notre planète. « L’enjeu clé ? Imaginer la suite de notre vie sur Terre. Les satellites ont une vision globale sur les changements climatiques qui va nous permettre d’en savoir plus sur ce qui nous attend et d’explorer des moyens de changer notre futur », explique Béatrice Escudier.
Pour une orbite plus propre
L’espace, c’est aussi des enjeux technologiques pour réussir les vols habités et relever un défi écologique de taille. Car oui, l’industrie aérospatiale est très polluante ! Les débris spatiaux sont une des problématiques du secteur. Si des entreprises, comme SpaceX, entendent les réduire en construisant des fusées réutilisables, d’autres organisations imaginent des « garages de l’espace ». Aujourd’hui, le constat est simple, lorsqu’un satellite tombe en panne, deux choix se posent : rester en orbite pour toujours ou revenir sur Terre et finir sa vie dans l’océan. « Les entreprises cherchent à pérenniser leurs investissements. Avec l’orbit servicing, on pourrait imaginer un moyen d’anticiper les pannes et de réparer certains objets. La complexité réside dans le réseau de satellites. Souvent, ils ne fonctionnent pas seuls. On peut imaginer des solutions pour les désorbiter facilement et les faire redescendre sur la Terre », précise la directrice de CSUT. Un projet sur lequel travaille ce centre toulousain. L’enjeu : la création de nanosatellites qui étudient, depuis juillet, le comportement des objets spatiaux lors de leur retour sur Terre et plus particulièrement l’effet du frottement atmosphérique.
Leader de la course aux étoiles
Si l’industrie évolue, les formations doivent aussi bien sûr s’adapter. Si Béatrice Escudier constate un bon niveau académique en France, elle insiste sur les ajustements inévitables à apporter aux cursus ingénieurs en matière d’aérospatial. « Pour diplômer les futurs acteurs de l’industrie, il faut conserver ce socle scientifique solide, mais ouvrir les étudiants à de nouveaux points de vue. Pour s’emparer d’enjeux planétaires comme celui de l’aérospatial, il faut être sensible aux problématiques politiques et juridiques. » Alors la France est-elle bien capable de rivaliser avec les États-Unis ou la Chine ? « Notre atout réside dans notre passé avec l’espace. Nous avons des acteurs industriels à la pointe de leur art qui démontrent une réelle motivation, tout comme les jeunes diplômés. Nous sommes également accompagnés d’organismes leaders comme le CNES ou l’ESA. Pour ceux qui aiment le challenge, c’est l’univers idéal ! »
3 questions à André-Hubert Roussel, CEO d’ArianeGroup
La France, bon élève de la conquête spatiale ? Bien sûr. Nous avons su créer toutes les technologies nécessaires pour participer à des missions internationales, grâce à une politique spatiale très engagée et grâce à la volonté de notre industrie française. Nous sommes leaders sur de nombreux secteurs comme l’observation, la production de lanceurs ou sur les télécommunications. Mais il y a une accélération de l’innovation, portée par le New Space, et nous devons poursuivre nos efforts. Comment se prépare le lancement de votre nouvelle fusée Ariane 6, prévu pour 2020 ? Ariane 6 est le fruit de nombreuses innovations industrielles. Notre ambition ? Rendre l’accès à l’espace plus abordable. Et nous avons réussi à réduire les coûts de lancement de moitié, grâce notamment à des nouveaux procédés de soudure sans matériaux, appelés friction stir. Nous avons également innové en matière de traitement de surface des fusées. Auparavant, nous utilisions des bains chimiques, mais désormais nous sommes passés à une technique par laser, beaucoup plus propre. Comment imaginez-vous l’industrie dans 10 ans ? Nous nous définissons comme des space enablers. Nous construisons les véhicules qui nous permettront d’aller à la conquête de l’espace et surtout d’en revenir. Parmi nos projets, nous travaillons avec l’ESA pour envoyer un robot sur la Lune afin d’étudier les ressources disponibles pour établir une base permanente sur cet astre. Dans le futur, il y aura une réelle économie développée en matière aérospatiale, avec une police, mais aussi des services de maintenance et de ravitaillement.
L’Afrique à la conquête de l’espace !
Devenu un véritable hub technologique ces dernières années, il était naturel pour ce continent de s’intéresser à la course aux étoiles. Cette dynamique lancée par l’Afrique du Sud, pionnière en 1999, a très vite été poursuivie par les autres pays. Alors qu’en 2018, ArianeGroup lançait le deuxième satellite du Maroc dans l’espace, le Kenya propulsait son tout premier appareil d’observation dans l’espace. Et si l’Afrique ne s’est lancée que récemment dans le domaine aérospatial, elle a très vite compris les atouts d’une telle industrie. En 2013 déjà, l’agence spatiale sud-africaine a pu mobiliser ses satellites lors des grandes inondations qui avaient touché la Nation arc-en-ciel. Quant au premier appareil envoyé par le Kenya, il aide déjà la population à obtenir de précieuses informations, notamment pour mieux gérer les sécheresses qui frappent le pays. Mais pour rester compétitif dans cet univers, la coopération est clé ! Pour atteindre ses objectifs fixés d’envoyer un homme dans l’espace d’ici 2030, le Kenya devra travailler avec ses homologues. C’est pourquoi l’Union africaine a décidé cette année de lancer une agence pour mettre en commun les moyens de tous les acteurs du continent ! L’Afrique, nouveau géant de la conquête aérospatiale ? Affaire à suivre…