Avant de partir en Inde, je ne pensais pas que mon prénom serait un vrai problème pour moi. Pourtant, après quelques jours dans ce pays et plusieurs écorchages, j’ai rapidement compris que s’appeler Jean‐Baptiste au pays de Gandhi ne serait pas une mince affaire.
Ma première intuition fut de reprendre l’abréviation de mon prénom : JB. Prononcé à l’anglaise, ça donne jay bee. Malheureusement, mes espoirs furent tout aussi rapidement refroidis lorsqu’une amie m’appela dès le lendemain zay bee. Sans doute car elle était musulmane. En effet, les musulmans du nord de l’Inde parlent ourdou, une langue qui comprend une lettre similaire à notre « z » mais pas de « j ». Au contraire en hindi, le « z » n’existe pas. Ces problèmes linguistiques resurgirent lorsque j’essayais d’imposer Jean. Le son « ean » n’a aucune existence en hindi, ni en ourdou ni dans aucune langue parlée en Inde. Drôle d’impression que celle d’être en dehors du champ linguistique d’un pays qui compte malgré tout 22 langues officielles et des centaines d’autres.
Par la suite, je me tournais vers une version anglicisée de mon prénom. Jean-Baptiste devenait John, simple à prononcer et connu de tous. Mais en Inde, pas de référence à John F. Kennedy ou John Lennon. Non, ce prénom, quand il évoquait quelque chose, nombreux vendeurs et employés, un sourire sincère et envieux s’affichant sur leurs visages lorsqu’ils prononçaient ce nom. A certaines occasions, je pris le costume de Johnny, voire Jonny. Et qu’importe si ces prénoms n’ont rien de français. Pour tous ces gens, j’étais de toute façon le blanc, l’étranger (une de mes amies ne m’appelait-elle pas « French boy »), cette créature peu commune et souvent crédule qui déclenche l’hilarité des enfants, le sourire gêné des femmes et la bienveillance des anciens.
Finalement, après plusieurs mois en Inde, j’ai finalement abandonné le français ou l’anglais pour l’hindi. Sachant qu’une petite minorité seulement de la population parle anglais, c’était le seul moyen pour moi d’essayer de briser la glace de la différence, d’être appréhendé non plus comme le touriste de passage mais bien comme l’étranger qui s’installe et vit aux rythmes des pulsations de la vie indienne. Un de mes prénoms officiels parmi mes amis du college est devenu Jabbo, dont la résonance rappelle l’affection portée par la mère à son fils. Mon sentiment d’intégration fut également flatté lorsque plusieurs personnes me désignèrent par uncle. Mot anglais, il est utilisé en Inde pour désigner tout homme adulte. Enfin, mon voyage linguistique atteignit son acmé à Mathura, la ville sacrée de Krishna, le long du Gange, dans l’Uttar Pradesh. Ce jour-là, un vieil ascète m’appela baba-ji, un surnom mêlant tendresse et respect, donné aux sages et ermites. Ironie du destin, baba-ji était le nom qu’utilisait un ami rencontré mon premier jour en Inde pour désigner son guru. Pendant des semaines, ce nom avait résonné en moi, animant avec lui l’image d’un vieil homme barbu vêtu d’orange (la couleur de l’hindouisme), prêchant la sagesse des textes sacrés anciens. Je ne sais pas si j’étais moi aussi devenu, aux yeux du vieil ascète, une sorte de baba-ji ou s’il se moquait gentiment de moi. Et je ne le saurai jamais. Mais cette quête pour mon nom a finalement été révélatrice. En cherchant à me définir formellement, par une marque de convention sociale, j’ai été amené à changer de prénoms à de nombreuses reprises. Cette multiplicité de noms est en fait le visage d’une Inde changeante et polymorphe. Mon prénom change au gré des humeurs et des sentiments des gens. Et c’est seulement en étant emporté par ce flot d’émotions sensibles que l’on peut espérer en apprendre plus sur cette mosaïque de civilisations, de cultures, d’identités qu’est l’Inde.
Je retourne dans ce pays cher à mon coeur dans quelques semaines. Cette fois, promis, je ne chercherai pas à choisir un prénom unique et définitif. Appelez-moi comme vous voulez !
Jean-Baptiste Imatte (promo 2014)