Comment être ingénieur au temps du Covid ? C’est la question à laquelle l’économiste et écrivain Jacques Attali a accepté de répondre lors d’un webinar le 5 novembre 2020 pour les étudiants de l’école d’ingénieurs du numérique ESIEA. Retranscription.
Les conférences DDC (Digital, Durable et Citoyen) de l’ESIEA sont destinées à alimenter la réflexion des étudiants de 5e année sur leur futur rôle d’ingénieur. Objectif : devenir des acteurs responsables de la transformation de la société dans laquelle ils vivront. Une société dont l’ordre économique établi est en ce moment bouleversé par la Covid-19. C’est le sujet du dernier webinar animé par Jacques Attali : « Etre ingénieur au temps du Covid et de l’économie de la vie ».
Demain commence aujourd’hui
« Posez-vous la question suivante : que sera le monde dans 50 ans ? » C’est ainsi que Jacques Attali commence son discours aux étudiants de l’ESIEA. Changements démographiques, problématiques climatiques, complications de santé et d’hygiène… Le monde dans 50 ans s’annonce bien différent de ce qu’il est aujourd’hui. D’après l’économiste, « c’est le monde d’après-demain qui détermine le monde aujourd’hui. » Les enjeux sociaux, écologiques et démocratiques de demain doivent être pris en considération dès aujourd’hui. C’est d’autant plus vrai en cette période particulière, marquée par la crise sanitaire liée à l’épidémie de coronavirus. « Cette crise est le reflet de toutes nos difficultés à gérer un monde stable et précis », estime Jacques Attali. En première ligne dans le suivi et la résolution de la pandémie : les médecins… et les ingénieurs !
La crise : un révélateur
« Cette crise a été révélatrice de l’importance de certains domaines. Une des plus grandes tendances de l’humanité : transformer les services en objets artificiels, en objets industriels. Des exemples : la presse, la musique, la santé, l’éducation, le jeu… Cette tendance s’est à nouveau révélée essentielle à la survie de l’Homme. » L’ingénieur, figure emblématique de l’industrie et de l’innovation, est ainsi au cœur de l’Évolution avec un grand E. « C’est grâce aux ingénieurs que cela est possible » va-t-il jusqu’à dire. L’écrivain met cependant en garde : « A trop artificialiser la nature, on commence à en voir les premières conséquences néfastes sur notre environnement. Ingénieurs, faites attention : vous avez de grands pouvoirs et vous devez vous en servir à bon escient pour éviter certaines menaces qui planent sur l’Humanité. »
Pas de santé sans ingés
Les ingénieurs doivent donc prendre conscience de leur responsabilité. Comme faire bon usage des nouvelles technologies, notamment dans le domaine de l’artificialisation de la vie. « Il y a de plus en plus d’artéfacts dans le domaine de la santé, les médecins ont besoin de machine pour exercer. » Et qui conçoit ces machines ? Les ingénieurs. Ils font indéniablement partie des métiers les plus fondamentaux de demain. Un des plus grands secteurs du futur selon Jacques Attali : le biomimétisme. « C’est la façon dont l’Homme est capable d’imiter la nature pour trouver des protocoles innovants et utiliser des matériaux plus performants, comme dans l’étude des oiseaux pour adapter les ailes d’avion, des fourmis pour leur gestion des trajectoires ou encore des animaux capables de se rendre invisibles pour créer de nouveaux camouflages. »
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L’économie de la vie
Mais peu importe le domaine d’ingénierie, Jacques Attali conseille à tous les étudiants de s’inscrire avant tout dans l’économie de la vie, dans une société positive. « Une société positive est une société utile aux futures générations. Quoi de plus important ? Est-ce que la vie vaut la peine d’être vécue si nous ne sommes pas utiles au monde ? Demandez-vous toujours comment vous rendre utile et devenez des ingénieurs positifs ! » Comment ? En se concentrant sur certains domaines d’activités, ceux qu’il appelle les secteurs de l’économie de la vie : « la santé, l’hygiène, l’éducation, la culture, la recherche fondamentale, le digital, la grande distribution, la sécurité, l’hospitalité, les énergies propres… » Pour preuve : le besoin de ces secteurs s’est fait ressentir pendant la crise Covid.
Devenir un ingénieur positif
« Nous ne reviendrons pas au monde d’avant. » Jacques Attali est formel. « Et même si nous y revenons, ce serait une erreur ! Pensez aux Années Folles qui ont conduit au krach boursier de 1929, à la montée du nazisme et du fascisme et à l’inévitable Deuxième Guerre Mondiale. » Mais il se veut rassurant et se sent lui-même rassuré face aux élèves-ingénieurs à qui il accorde toute sa considération. « Les ingénieurs sont les combattants d’avant-garde de ce nouveau monde », croit-il dur comme fer. Capacité à se remettre en question, goût du progrès, ouverture d’esprit, tolérance, adaptabilité, altruisme… Ils ont toutes les compétences et les valeurs nécessaires pour relever les défis du « monde d’après ». Son dernier mot aux étudiants de l’ESIEA ? « Créez-vous les conditions pour devenir vous-mêmes et continuez d’apprendre en faisant plusieurs sports, en voyageant, en lisant de la littérature, en jouant d’un instrument… Car c’est ainsi que vous deviendrez des ingénieurs positifs et que vous trouverez du plaisir à rendre les autres heureux… tout comme moi j’ai trouvé du plaisir à parler avec vous. »
Qui est Jacques Attali ?
Jacques Attali est aujourd’hui professeur d’économie dans de nombreuses universités françaises, après avoir été le conseiller spécial du président français François Mitterrand pendant 10 ans. Il a fondé quatre institutions internationales : Action contre la faim, Eureka, BERD et Positive Planet. Editorialiste pour le magazine français Les Echos, il a également publié plus 80 livres vendus à 10 millions d’exemplaires et traduits en 22 langues. Ses principaux domaines de recherche et d’écriture sont les différentes dimensions du futur : technologies, économie, idéologies, géopolitique, valeurs.