Discriminations : le faux-ami de la complémentarité

Fondée sur une approche différentialiste, la mise en valeur de la complémentarité entre hommes et femmes au sein des organisations n’est pas sans risque : cette argumentation peut en effet contribuer, de manière assez perverse, à accentuer les stéréotypes et préjugés qu’elle souhaite combattre, à l’opposé de l’effet recherché.

A titre d’exemple, on peut lire ici ou là que : « La femme a un très beau potentiel relationnel, elle est plutôt dans la conviction que dans « l’imposition ». Le leadership au féminin s’inscrit davantage dans l’humain et l’équilibre. C’est la complémentarité qui permettra l’efficacité dans les entreprises. » (1). Ou encore : « La femme veut aller de l’avant, est plus habitée, plus passionnée, moins cynique et est capable d’obtenir une forte adhésion… Ce n’est pas un animal politique à sang froid, comme l’homme. Elle est beaucoup plus concrète, portée sur les résultats. Elle est fidèle, loyale et intègre envers l’entreprise, contribue à faire grandir les leaders… » (2). Avouons-le : la puissance des stéréotypes sur les hommes et les femmes, profondément inscrits dans notre culture, font que ces propos n’étonnent que rarement et apparaissent leplus souvent comme de louables tentatives d’ouvrir une plus grande place aux femmes dans les organisations. Pourtant, à vanter la sensibilité des femmes et leur plus grande attention aux autres, ou leur compétences d’exécution, on pourra contribuer, sans le vouloir, à justifier leur concentration dans les services de communication et de relations humaines.
Ou dans des postes subalternes. Ou encore à expliquer leur rareté au sein des directions opérationnelles, financières, de la stratégie ou du produit et plus généralement aux postes à hautes responsabilités et forte image. La notion de complémentarité, en voulant reconnaître aux femmes des qualités professionnelles spécifiques, aboutit souvent à un nouveau sexisme, qui, s’il est généralement bienveillant comme le note Brigitte Grésy (3), n’en est pas moins encore et toujours un sexisme, certes moins visible, mais plus subtil et donc peut-être plus dangereux que celui qu’il souhaite abolir. L’ambivalence de cette notion de complémentarité peut aussi se rencontrer dans la promotion d’autres diversités, comme par exemple la diversité sociale ou des origines. Dans ce domaine, on peut en effet facilement adopter, sans y prendre garde, un discours qui tangente la condescendance sociale ou le racisme. De la même manière, en cherchant à valoriser l’apport des seniors, nous pouvons aboutir à ne leur réserver que des emplois de transmission, ou d’accompagnement, les écartant sans le vouloir de postes à fortes dynamiques personnelles. I.e. pour le handicap, l’orientation sexuelle, etc.
Nous pensons que si la diversité est un bien en soi, par le brassage de cultures, d’expériences et de perceptions qu’elle amène, l’argument de la complémentarité entre catégories de personnes peut au contraire être contre-productif, car il stigmatise les comportements et enferme les individus dans les représentations. Il s’oppose à la prise en compte de la singularité de chacun, sur laquelle s’appuie toute véritable lutte contre les discriminations. Il fait fi des compétences, qui fondent d’abord et avant tout l’appartenance à une organisation. Il ne contribue pas à rendre les entreprises plus efficaces, mais  reproduit, en les déplaçant sans les modifier fondamentalement, les barrières sexistes àun égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités.
Nous pensons préférable de se concentrer sur la notion de « lutte contre les discriminations », plus concrète et opérationnelle. La lutte contre les discriminations s’appuie sur la loi, et sur le bénéfice qu’une organisation retire à éliminer les barrières à l’expression des compétences. En somme, elle demande à supprimer tous les plafonds de verre, pour toutes les personnes dont les compétences ne sont pas reconnues en raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

(1) Alix de Saint Denis, Les Echos « Femmes et hommes leaders, une complémentarité durable pour les entreprises » 20/02/12
(2) Helena Foures, Les Echos « Le leadership féminin est une richesse pour l’entreprise » 13/12/2010
(3) Brigitte Grésy, « Petit traité contre le sexisme ordinaire », Albin Michel

 

Antoine de Gabrielli

 

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