« Godassier* » passionné et plus généralement grand amoureux du commerce, François Feijoo a repris l’enseigne mythique André, l’a dépoussiérée et remise sur les rails du succès. L’occasion rêvée d’échanger avec un dirigeant averti et humaniste voyant dans l’entreprise une formidable aventure humaine et ayant fait du lien le secret de son leadership.
François Feijoo commence toujours par faire effectuer à ses visiteurs le tour du propriétaire : l’étage d’une tour de la Défense entièrement consacré à la marque André. Visite extrêmement révélatrice puisqu’à côté du showroom consacré à la future collection, des centaines de paires de chaussures côtoient les ordinateurs sur lesquels s’affairent ses équipes. « Depuis un an, je ne fais que ça. Exclusivement ! ». Sous-entendu : m’occuper de redresser André, marque iconique qu’il a reprise l’an dernier. Après l’avoir déjà « sauvée » une première fois, en 2005, pour en faire de nouveau un leader. « Quand j’ai eu le dossier de reprise sous les yeux, j’y ai retrouvé le nom de tous ces collaborateurs avec qui j’avais travaillé pendant huit ans ! C’était réglé : un capitaine n’abandonne pas son équipe » explique-t-il en souvenir des terrains de rugby où il portait déjà le brassard de capitaine.
Tradition ET Innovation
« J‘adore le commerce ! s’exclame d’ailleurs régulièrement François Feijoo. C’est pour cette raison que j’ai été un temps président de la Fédération française du retail Procos. Or le commerce, c’est d’abord la rencontre, le partage. Et aujourd’hui, cette dimension relationnelle s’effectue de plus en plus souvent en ligne. L’urgence était donc de remettre André en contact étroit avec l’époque. » Une affaire que cet entrepreneur, qui n’en est pas à son premier sauvetage, a mené tambour battant… récompenses du e-commerce à l’appui. « Voici André connecté, parfait. Mais attention à ne pas lâcher la proie pour l’ombre ! Comme nous l’a rappelé cette crise si brutalement : au centre de tout se trouve le réel, l’humain. Et c’est encore plus vrai quand on parle chaussure, un produit ayant très peu évolué au fil des siècles. Le digital, c’est important, mais la qualité de l’accueil en magasin comme celle du produit le sont tout autant : un pied dans chaque chaussure… on avance ! » C’est pour cette raison que même ceux qui travaillent au CRM sont conviés à faire un tour en boutique. « Leur vrai métier ne consiste pas à gérer de la data, mais à mieux connaître le client. Savoir comment se déroule l’activité commerciale constitue donc un point de départ essentiel pour eux. »
Une belle aventure humaine
Heureux d’avoir sauvé plusieurs centaines d’emplois et cette marque si chère à son cœur de « godassier », François Feijoo reste lucide. « Côté notoriété, André demeure André, « Le chausseur sachant chausser », une référence. Mais côté business, on repart de plus bas, en petite équipe, dans une ambiance startup qui favorise la polyvalence et la solidarité. Le cadre idéal pour que s’épanouissent de jeunes talents. J’ai souhaité également resserrer les liens avec tout l’écosystème : équipes, fournisseurs… Que j’ai appelé régulièrement quand tout était fermé. Je me suis aussi rendu en Espagne et au Portugal, dans les usines. La première chose que j’ai faite en reprenant André étant de cesser la fabrication en Asie. J’ai besoin de savoir qui fabrique mes chaussures. Et comment ».
Du lien !
Du « lien » (un des mots fétiche de ce passionné d’étymologie, voir encadré), François Feijoo en crée constamment. En invitant les jeunes créateurs à exposer dans ses boutiques (« on a tous besoin d’un coup de pouce »). En nouant des partenariats avec Agnès B ou Antik Batik. En arpentant également le plateau de l’entreprise, nez au vent. « Du temps perdu ? Bien au contraire. Il y a toujours quelqu’un qui cherche une info ou à être conforté. Je règle ainsi les problèmes à la base. Et l’ambiance, collective, suit. On peut être exigeant – et il le faut – mais mon principe de base reste de traiter l’autre comme je souhaite être traité. Symétrie des attentions qui fonctionne parfaitement et dont le dernier bénéficiaire est toujours le client. » Pas étonnant alors d’apprendre que le dirigeant connaît chaque employé par son prénom et fait partie de ces chefs d’entreprise convaincus qu’un de leurs rôles majeurs est de faire grandir leurs collaborateurs.
Ensemble, c’est tout
« Une entreprise est avant tout une somme de personnes. Et avant d’être hiérarchique, un lien est toujours humain. Cent fois je reprends mon bâton de pèlerin pour donner à chacun : informaticien, responsable de boutique, vendeur (qui évoluera !) le sens de ce qu’on fait, où on va et pourquoi on peut être fiers de nos produits et de leur qualité. Et puis je me tais, j’écoute… combien de suggestions ai-je ainsi récolté ? On parle beaucoup de « bonheur au travail ». Pourquoi pas. Me concernant, j’essaie déjà de créer les conditions pour que les gens prennent du plaisir à faire leur job. Car pour autant qu’ils se trouvent à leur place, ce plaisir va murir et devenir passion. Quelque chose de bien plus profond et fort qui vous porte et vous comble. » Les petits moments de grâce de François Feijoo ? Quand un ancien collaborateur (de chez André, San Marina ou Minelli…) le croise des années plus tard et le remercie de l’avoir « boosté, guidé, fait grandir ». « Et le contraire est tout aussi vrai : vive le reverse-mentoring ! On oppose trop les jeunes et les anciens. On oppose trop tout. Parce que si nous, on sait ce qui était vrai hier, les plus jeunes, eux, incarnent déjà demain. Le vrai succès nait de l’alliance. »
* Godassier : membre du club très fermé de l’ordre de Saint Crépin réunissant des spécialistes passionnés de la chaussure.
« Parler d’intelligence collective est un pléonasme ! »
L’agilité : innée ou acquise pour François Feijoo ? « Innée ET acquise. Et j’ai, oui, la prétention de dire que je suis plutôt agile. Mes parents, émigrés de Galice, ont souvent dû s’adapter et m’ont transmis cela. L’agilité repose avant tout sur le bon sens, valeur capitale, bêtement dénigrée. Bon sens = observation + minimum de réflexion, à la lumière de son expérience personnelle concrète. Ensuite, bien sûr, cette agilité se cultive, jusqu’à vous amener à vous tenir à l’écoute des signaux faibles et à savoir les interpréter. » Et côté influence, le dirigeant « souhaite amener ses collaborateurs à éprouver de l’intérêt, voire de la passion pour leur métier. Les aider à progresser, à apprendre, s’épanouir et, tout simplement, à devenir meilleurs… à tous les sens du terme. » Quant à l’intelligence collective, voici un magnifique pléonasme. Quand on a compris que le mot intelligence (étymologiquement : inter-ligare) signifie « créer du lien, relier » on sait qu’il s’agit de la même chose. D’où vient notre talent soi-disant personnel ? Pas uniquement de nous mais aussi de tout ce qui nous a été transmis. Impossible d’exprimer ce talent sans les autres. Ne serait-ce que pour avoir un « retour ». Ce sont toujours les autres qui nous révèlent et nous aident à croître. »
Comment bien choisir sa boite ? Le conseil du boss d’André !
« Mon conseil est simple. Se demander si les valeurs de cette entreprise sont en adéquation avec votre ressenti, vos propres valeurs ? Tout est là, sachant qu’il existe toujours une entreprise à son image. Et que même si l’époque est difficile, on rencontre de nos jours une quantité de dirigeants centré sur l’humain ainsi que d’entreprise axées RSE. Ce qui, par rapport au passé, est une vraie, une magnifique révolution ! »
Chiffres clés
- 250 collaborateurs
- 80 magasins
- CA : 40 millions € par an
Contact : www.andre.fr
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