Nos traces numériques sont une source intarissable de data pour les marketeurs mais aussi une mine à exploiter pour les cyber-escrocs. Infobésité, promotions intrusives, traque de nos comportements, quelles sont les dérives du monde numérique et comment les contrer ? Jean-Paul Aimetti, professeur émérite au CNAM, livre son analyse et ses solutions dans NO DATA, Quelle liberté dans un monde numérique ?*
L’univers de la data est peuplé de promesses et de dangers. C’est surtout au bon sens et à la vigilance qu’appelle le professeur Aimetti. « La prise de conscience est indispensable alors que se développent à grande vitesse les géants de la donnée avec une emprise grandissante sur nos comportements, et demain peut-être nos pensées. »
Gouvernés par les géants du web
Les GAFAMAT (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Alibaba, Tencent) affichent sans complexe leur volonté d’être omniprésents pour capter et influencer nos vies quotidiennes. L’hégémonie se veut rassurante et déployée au profit de l’amélioration de nos conditions de vie, mais déjà nos libertés sont restreintes.
Harcèlement marketing
Achats en ligne, géolocalisation permanente, scan de nos messages sur les réseaux, les algorithmes nous pistent. « Cela se traduit en temps réel par de la publicité intrusive sur nos écrans. »
Ces promotions s’accompagnent bien souvent d’un marketing irresponsable. « Le bouton de demande de désinscription est parfois introuvable, les marques tiennent un double langage sur la confidentialité, les mises-à-jour sont intempestives sans parler de l’obsolescence programmée. Ce sont tous les vecteurs d’une utilisation non-éthique de nos données. » La tendance est à la hausse avec le développement effréné des objets connectés.
La donnée est aussi une mine pour les cyber-escrocs. La cybercriminalité prend de multiples visages : harcèlement, fake news, vol de coordonnées bancaires, usurpation d’identité, virus avec ou sans rançon, attaques de sites ou de systèmes d’entreprises…
Contrer le Big brother numérique par la loi
La législation européenne évolue le 25 mai 2018 en réponse aux évolutions technologiques : big data, IoT, IA. « Ce règlement sur la protection de la donnée impose de demander le consentement pour la capture des données et le opt in (inscription aux newsletters et promotions), il apporte de nouveaux droits à l’effacement, à la portabilité des données, et consolide les obligations d’information. Une sanction pouvant aller jusqu’à 4 % du CA du fraudeur est aussi mise en place. »
Résister à la vague numérique
« En attendant que les géants du web comprennent qu’un marketing responsable peut être rentable, les solutions pour préserver les libertés sont entre les mains des citoyens. »
Le professeur Aimetti préconise la mise en place de contre-feux individuels :
Se contraindre à la déconnexion pour ne pas céder à l’infobésité et à la pression sociale
Stocker ses données sur un disque dur plutôt que sur le cloud
Utiliser prudemment les médias et les réseaux sociaux
Surveiller et améliorer son e-réputation (via par ex. Google Alerts, faire supprimer les informations nuisant à son image)
Installer des logiciels protecteurs … sans pour autant tout miser sur eux (ex : openpgp.vie-privee.org)
Former dès l’enfance au bon usage des réseaux et aux logiciels protecteurs
Ne pas répondre aux messages suspects
Et de contre-feux collectifs :
Alerter et signaler tout contenu suspicieux
Utiliser les plateformes d’expression et d’action collaboratives (ex : change.org, avaaz.org, ActionCivile.com, weclaim.com)
Boycotter les produits et services des acteurs non-éthiques
« Le cœur de notre liberté dans un monde numérique tient dans notre capacité à interrompre la chaîne de cause à effet. Cela passe d’une part par le droit à l’oubli effectif, et d’autre part par la demande de consentement systématique, respectée et renouvelée dès qu’il y a un changement de règlement. Le reste est de notre ressort en tant que personne et citoyen. »
*NO DATA, Quelle liberté dans un monde numérique ? 2017, chez Descartes & Cie, 15 €.
Le professeur a présenté son analyse devant des étudiants de l’IPAG Business School fin 2017.