A chaque tendance son langage. La vague de la french tech et de ses startupers innovants n’échappe pas à la règle. Scalability, POC, business angel, hackathon, amorçage, tiers-lieu, hackerspace, juhaag et autre disruption sont entrés dans le langage courant. Pourtant ces vocables restent encore mystérieux pour certains d’entre nous. Avec précision et humour, les auditeurs de l’Institut des Hautes Etudes pour l’Innovation et l’Entrepreneuriat (IHEIE) de Paris Sciences et Lettres les décryptent dans leur Petit dictionnaire illustré de l’innovation et de l’entrepreneuriat. Sous la houlette du fondateur et directeur de l’Institut, Cédric Denis-Rémis, 24 mots ou concepts sont décortiqués, replacés dans leur environnement mais aussi illustrés par l’artiste Matthieu Chiara.
Pourquoi décrypter les codes de la communauté des startupers maintenant ?
Cédric Denis-Rémis : Au sein de notre programme executive de l’IHEIE (MINES ParisTech sous l’égide de PSL), nous faisons travailler les auditeurs sur un projet commun. Ils ont souhaité explorer la terminologie de l’innovation et de l’entrepreneuriat, domaines propices à l’émergence de nouveaux mots, notamment des anglicismes (comme Makers ou FabLab) et des néologismes (comme Ubérisation). Ils ont aussi souhaité une présentation sous forme de lexique. L’an prochain nous ferons travailler la promotion sur un deuxième opus, car la langue des startupers est très riche ! Il paraîtra fin 2018 et concernera beaucoup l’IA. Avec Olivier Bertrand, Médaille de bronze du CNRS, nous avons codirigé l’ouvrage et encadré les auditeurs dans ce projet. Nous les avons laissé chercher ce qui les intéressait et surtout exprimer leur inventivité.
Pourquoi l’humour pour éclairer ces mots sous un angle décalé ?
Cédric Denis-Rémis : Pour prendre du recul, faire sourire sur les petits travers de la communauté des innovateurs et startupers. Nous proposons trois définitions, deux sérieuses et une cocasse (voir encadré ci-dessous ndlr). Aujourd’hui tout est innovation et entrepreneuriat. Les auditeurs ont souhaité faire preuve d’esprit critique. Ils ont voulu souligner les limites de cette effervescence. Les dynamiques d’innovation et d’entrepreneuriat sont une très bonne chose, mais il ne faut pas tomber dans l’angélisme.
Humour et esprit de dérision
Capital risque : Equivalent des paris hippiques modernes. Dans la course effrénée au développement, les investisseurs – jockeys – tentent d’optimiser la trajectoire de leur startup – monture. Les chutes sont nombreuses.
Crowdfunding : Moyen détourné de faire financer une idée loufoque par les autres.
Disruption : Mot viral utilisé pour s’afficher comme barbare créatif et en rupture constante avec les conventions ou pour se revendiquer d’une stratégie de choc.
FabLab : Legoland pour adultes où les rêves deviennent réalité, et les licornes mécaniques galopent sur des lasers arc-en-ciel.
Hackathon : Tour de magie consistant à utiliser de manière légale des cerveaux frais, le week-end et la nuit, à des coûts défiants ceux des pays en voie de développement et sans mouvements sociaux.
Ubérisation : Renvoie au monde (béni) des grandes métropoles mondiales. Il n’existe pas de traduction pour ce terme dans les patois locaux des territoires périphériques.
Comment le dictionnaire a-t-il pris forme ?
Cédric Denis-Rémis : Notre programme s’inscrit dans PSL. Il était donc primordial que ce travail incarne la pluridisciplinarité de nos membres et formations. Chaque mot est présenté sous la forme de trois définitions, dans l’évolution de son acception au fil de l’histoire et est replacé dans ses usages et son contexte dans la partie lexiculture. Enfin, la dimension créative et artistique de PSL est mise à l’honneur au travers des illustrations de Matthieu.
Comment avez-vous travaillé les illustrations ?
Matthieu Chiara : Cédric m’a donné carte blanche. Comme pour tous mes dessins, je me suis renseigné sur l’univers à illustrer pour éviter les contresens. L’innovation et l’entrepreneuriat me sont en effet assez étrangers. J’ai aimé m’immerger dans ce monde. Ce type de dessin demande quelque chose d’immédiat, comme un dessin de presse, un peu de texte pour rehausser le propos. J’ai proposé différents degrés de lecture pour rythmer, des variations autour du mot à illustrer dans le registre de l’humour.
Quelle est la vocation de l’ouvrage ?
Cédric Denis-Rémis : Nous avons voulu un format de livre original, un ouvrage ludique et sans prétention pour faire entrer le grand public dans nos univers. A partir du moment où un mot entre dans le langage courant, on part du postulat que tout le monde connaît le sens des mots, par exemple la différence entre incubateur et accélérateur. Mais éclairés sous les angles historiques, de leurs usages selon les contextes, ils prennent un autre sens.