Le « gros mot » d’Eloïc Peyrache, directeur général d’HEC Paris

Solutions

Un mot pour résumer la philosophie et les valeurs d’HEC Paris ? Pari relevé par Eloïc Peyrache, directeur général de la business school.

A HEC, nous travaillons à la dépolarisation du débat, à la création de ponts entre les cultures, les opinions, les générations, les milieux sociaux, pour trouver les solutions (et non la solution) d’une société apaisée. Si on en revient à l’étymologie, débattre signifie ne pas se battre. Le débat n’est donc pas voué à être violent, il est au contraire propice à l’expression de la diversité des opinions et à la mise en perspective, génératrices de solutions différentes. Face à un problème, on peut adopter une approche critique, qui sous-entend d’attendre beaucoup des autres, de trouver des responsables et, finalement, de tomber dans le y a qu’à, faut qu’on.  Mais la démarche d’HEC est tout autre. Elle consiste à pousser nos étudiants à se demander ce qu’ils peuvent faire à leur niveau, sans attendre qu’on trouve une solution pour eux.

Pour ce faire, nous nous reposons sur quatre grands piliers d’action.

Le savoir d’abord. Créer et diffuser les savoirs aux contacts d’enseignants-chercheurs qui repoussent les frontières de la connaissance est essentiel car, si on n’a pas les outils pour comprendre un problème, on ne peut pas le solutionner.

Les talents ensuite. Mais encore faut-il savoir ce qu’on entend derrière cette notion de talents. Dans une business school comme HEC, celle-ci revêt deux dimensions : parler plusieurs langages (la géopolitique, le Python, l’IA… pour échanger avec des experts sans être expert soi-même) et avoir la capacité de connecter les dots et les personne et ainsi créer du leadership. Un talent c’est celui ou celle qui rend les choses possibles.

Troisième pilier : l’innovation. Une vraie spécificité de l’école, incarnée, entre autres, par notre esprit entrepreneurial qui cultive l’idée de faire partie de la solution en créant des équipes plurielles et talentueuses créant, à leur tour, une dynamique économique et sociale dans le pays. Il ne faut pas oublier qu’HEC est la première école dans le domaine de la French Tech. Nous avons des programmes d’entrepreneuriat technologiques poussés sur l’espace, le quantique etc. Mais en parallèle, nous sommes aussi très engagés dans l’entrepreneuriat social comme l’illustre notamment le programme HEC Stand Up qui s’adresse aux femmes ambitieuses issues des quartiers prioritaires voulant concrétiser leur envie d’entreprendre

En tant qu’institution à but non lucratif, nous inscrivons enfin toujours ces solutions au service du bien commun, de l’ascenseur social, dans une société que nous voulons pacifiée, apaisée, où chacun peut exprimer ses talents et créer du collectif. C’est le cas de nos programmes d’égalité des chances et du concours Eloquencia@HEC par exemple. Nous devons aller de l’avant : si chacun peut faire partie du problème, tous nos étudiants doivent faire partie des solutions, ce qui demande d’être fort sur ces quatre piliers.

Sans oublier qu’il est important que les entreprises soient au cœur de ces solutions : leur poids est colossal dans la société et elles ont le pouvoir de décupler l’impact et la force de ces solutions.  

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« HEC, c’est une machine à changer les destins » – L’interview d’Eloïc Peyrache

20 ans qu’Eloïc Peyrache a franchi les portes d’HEC Paris en tant que professeur. Aujourd’hui directeur général de la business school classée 1e mondiale pour son Master in Management par le Financial Times, il revient sur son engagement et sur ses projets pour cette institution de l’Enseignement supérieur français et international.

Quelle image HEC vous inspirait-elle en 2003 ?

Une image assez classique : celle de la meilleure école de commerce ! C’est quand j’ai passé une journée sur le campus à l’occasion de ma candidature pour y devenir professeur que je me suis vraiment dit wahou. Je connaissais l’école, sa réputation et celle de ses excellents enseignants et élèves, mais je me suis rendu compte ce jour-là du gouffre qui existait entre les autres écoles où j’avais postulé et HEC en termes de qualité et d’engagement du corps professoral. Sans oublier son cadre de vie assez sympathique !

Vous avez ensuite évolué sur plusieurs postes de top management avant de prendre la direction de l’école en 2021. Quelle fierté en retirez-vous ?

J’en retire surtout un sens de la responsabilité. Je n’aime pas le statu quo et mon driver à la tête de l’école est de réfléchir sans cesse à comment accroitre significativement l’impact de cette institution au service de la France et de la société en général. De fait, quatre grands piliers se trouvent au cœur de cette responsabilité qui est la nôtre. D’abord, affirmer HEC comme un haut de lieu de talents, au pluriel. Car si l’excellence de nos élèves est toujours au centre de nos actions, celle-ci est multidimensionnelle. Elle implique des talents venant de toute la France et du monde entier, qui pensent et regardent les choses différemment. C’est fantastique d’y parvenir mais c’est un énorme défi quotidien de réaffirmer que nous sommes un lieu de rencontre et de respect entre nos étudiants, dans leur pluralité, entre celles et ceux qui, nous l’espérons contribueront à la paix demain. Autre pilier : l’impact de nos professeurs. HEC est un lieu de création de savoir dont la diversité est juste énorme : nous travaillons aussi bien sur les enjeux de développement durable que sur les questions d’immigration ou les biais des algorithmes. Et ces travaux que nous produisons doivent sortir du monde de la recherche pour irriguer la société, alimenter le débat public et éclairer les décideurs. Troisièmement, HEC s’illustre comme une plateforme d’entrepreneuriat et d’innovation extraordinaire : lorsque j’ai créé l’incubateur, il tenait dans un petit bureau… et aujourd’hui c’est le plus gros de Station F ! HEC c’est 25 % des licornes françaises, 20 % du Next 40 et la première école en termes de lauréats de la French Tech, c’est très excitant.

Qu’en est-il de l’impact, votre quatrième pilier ?

Nous mettons l’impact au cœur de notre institution, avec la conviction que l’éducation est au service de l’ascenseur social. Nous voulons envoyer un message d’excellence et d’ouverture et on ne fait pas semblant ! Preuve en est, l’incroyable finale de la dernière édition d’Eloquentia@HEC (900 personnes réunies à La Cigale !), une initiative qui permet à des jeunes de décupler leur confiance en eux : ils se disent si HEC me dit que je peux y arriver, je suis obligé d’y croire aussi. Nous mettons aussi notre expertise en matière d’entrepreneuriat au service de l’ascenseur social via le programme HEC Stand Up du HEC Innovation & Entrepreneurship Center, soutenu par la Fondation HEC. Celui-ci s’adresse aux femmes ambitieuses issues des quartiers prioritaires qui veulent concrétiser leur envie d’entreprendre. Plus de 300 femmes ont déjà été certifiées.

Dans cette dynamique, votre récente refonte du curriculum de la Grande Ecole est résolument axée sustainability. Quelle est la différence HEC en la matière ?

Certains sujets ne doivent pas être source de différenciation et celui-ci en fait partie. Lorsque nous avons créé un master en développement durable en 2003, il s’agissait à l’époque d’un élément différenciant, mais aujourd’hui, ces thématiques doivent être le cœur de tous nos sujets et j’espère que c’est le cas pour tout le monde ! En revanche, c’est dans le comment que ça se joue. A ce titre, nous avons récemment recruté François Gemenne (membre du GIEC ndlr.), comme professeur titulaire, nous avons initié un cours obligatoire sur les limites planétaires, intégré cette dynamique dans tous les cours pour permettre à nos étudiants d’apprendre à parler le langage DD&RS, entre autres. Mais surtout, nous sommes très attachés au débat sur les solutions, car il n’existe pas de solution unique sur des sujets aussi complexes. Notre rôle est d’exposer nos étudiants à toutes les solutions possibles pour que chacun puisse se faire une opinion basée sur des faits et une approche scientifique des sujets.

Ces thématiques influent aussi bien sûr sur l’évolution du campus : comment imaginez-vous le campus HEC du futur ?

Plus le digital se développe, plus il faut concevoir un campus comme un lieu de vie et d’expériences structurantes. Le campus HEC du futur est donc un campus avec des bâtiment iconiques, encore plus connecté, et qui intègre une forte dimension durable. Un campus où la nature regagne ses droits – on peut imaginer des petits amphis en extérieur par exemple – et qui fait place au photovoltaïque, à la récupération des eaux, à l’énergie circulaire etc. Nous avons sélectionné quatre consortiums qui nous proposeront leurs projets fin 2024.

Quid des débats qui ont animé l’annonce du Bachelor of Arts & Science avec la Bocconi. Pourquoi cette annonce alors même qu’en juin dernier vous défendiez la particularité d’HEC de ne pas proposer de bachelor ?

De ne pas proposer de bachelor en business ! Ce bachelor avec la Bocconi répond à notre mission d’enrichir nos talents et d’internationaliser le post-bac – le seul segment qui ne l’était pas à HEC – avec l’objectif de recruter essentiellement des candidats européens. Et j’insiste sur ce point : il ne s’agit pas de recruter des candidats français sur un bachelor en business. A celles et ceux qui veulent étudier le business en France, je leur dis d’aller en prépa ! Pendant les deux à trois ans suivant le bac, il est en effet essentiel de faire des arts libéraux, d’avoir une formation généraliste pour mieux comprendre le monde demain. Si vous voulez étudier le business, il faut en effet pouvoir vous appuyer sur un socle très fort de connaissances qui vont vous structurer pour mieux comprendre des sujets complexes. D’autant qu’aujourd’hui la prépa constitue en réalité les deux premiers étages d’un programme en cinq ans : faire une prépa, c’est s’assurer d’intégrer une école et c’est déjà très rassurant. Notre message est donc clair : on ne fait pas et on ne fera pas de bachelor in business mais nous laissons la possibilité aux internationaux de nous rejoindre en master ou en bachelor, mais sur d’autres thématiques que le business.

#Iconique : quel souvenir associerez-vous toujours à vos années HEC ?

Si je paraphrasais Edouard Baer dans Astérix, je dirais qu’HEC, c’est avant tout des rencontres. J’adore échanger avec les élèves, les professeurs, les membres de notre communauté. Et certains événements, comme l’incendie qui a récemment touché notre amphithéâtre, permettent de mesurer la force de notre collectif. Je ne peux pas associer HEC à un seul souvenir mais à 10 000 souvenirs : les élèves qui chantent sur les Lacs du Connemara, la diplomation d’un des membres de Magic System qui s’est terminée en mini-concert, la finale d’Eloquenci@HEC à la Cigale… et tant d’autres. Mais surtout, je garde ancré ce lien, teinté de responsabilité. Celle de se rappeler qu’HEC est un lieu qui peut transformer beaucoup de choses et qu’il faut prendre les bonnes décisions.  HEC c’est une machine à changer les destins et si on y arrive… c’est assez fort !

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HEC Paris : les doers en action ! – L’interview du Dean Eloïc Peyrache

La cérémonie de remise des diplômes 2022 à HEC a été marquée par un plaidoyer appelant les étudiants et alumni de l’institution à s’interroger sur leur impact sur la société et l’environnement. Eloïc Peyrache, directeur d’HEC Paris détaille la façon avec laquelle l’école répond concrètement à cet appel. Interview réalisée en décembre 2022

Pourquoi avez-vous apprécié cet « appel à l’engagement » des étudiants d’HEC ?

On parle souvent de l’éco-anxiété de la jeunesse, mais on évoque généralement plus les problèmes que les solutions. Or, HEC est une école orientée solution qui valorise l’esprit entrepreneur au service de la société. Et ce discours de nos étudiants est un appel à mettre en œuvre cet esprit et à travailler aux solutions. J’ai aussi apprécié qu’il appelle au partage de la charge mentale sur le changement climatique qui, il faut le rappeler, ne revient pas uniquement à la jeunesse ! Nous faisons tous partie du problème environnemental et nous devons, collectivement, être au cœur de la solution.

Mais comment passer à l’action justement ?

Pour agir il faut d’abord comprendre. Un étudiant de business school est ancré dans une dynamique de « rendre les choses possibles », d’être dans la mise en œuvre : il n’est pas juste un penseur, il a un côté très doer dans sa capacité à connecter une diversité de profils et à les mettre en action. Mais pour cela, il doit parler plusieurs langage (Python, IA, data, climat etc.) et comprendre en quoi les sujets dont on parle ont un impact sur notre monde et sur l’entreprise. Si nous formons nos étudiants au business, notre formation est résolument orientée solution et, point important, sur la pluralité des solutions. Car HEC est un lieu où on est dans le débat et où on confronte les points de vue en permanence !

Cela nécessite aussi de changer ceux qui font le monde. Concrètement comment favorisez-vous la diversité à HEC ?

Convaincus que l’éducation est au centre de l’ascenseur social, nous multiplions les actions en ce sens depuis plusieurs années : tutorat de lycéens pour nourrir leur réflexion sur leur orientation, renforcer leurs connaissances, les aider à prendre confiance en leur potentiel et leurs capacités, lancement d’Eloquentia@HEC (premier concours national de prise de parole en public dédié aux lycéens lancé en 2018), accompagnement d’élèves de prépas pour renforcer leurs chances de réussite au concours etc. Parallèlement, la modification de notre concours d’entrée a déjà eu des effets significatifs. Pour preuve, nous avons eu 13 % d’admis boursiers supplémentaires cette année. Car oui, l’excellence va avec la diversité. La bonification a fait débat certes. Mais il est établi que les boursiers « carrés » ont deux fois de chance de réussir que les « carrés » non boursiers. Or, lorsque les boursiers cubent cet écart se réduit : ils n’ont pas forcément eu les mêmes chances au départ mais il leur faut juste une année de plus pour exprimer tout leur potentiel. Nous n’avons donc voulu ni les pénaliser ni les avantager, mais les mettre sur la même ligne de départ que les autres.

Quelles actions ciblez-vous à l’attention de celles et ceux qui se sentent géographiquement éloignés d’HEC et qui pensent que cette école leur est inaccessible ?

50 % de nos étudiants viennent de province et il est important que les prépas régionales soient performances et attractives pour attirer les très bons étudiants. Les internats d’excellence sont d’ailleurs une des clés pour y parvenir. Car il ne faut pas oublier qu’une fois qu’on est admis en prépa, on est sûr d’avoir une école, des perspectives et un super job à la clé. Sans oublier que faire une prépa c’est passionnant ! Le bashing c’est facile, encourager les jeunes à l’effort, à l’envie, à la découverte de choses extraordinaires un peu moins, mais tellement plus porteur. Nous travaillons tous ensemble avec la CDEFM sur ce sujet car la prépa c’est notre joyau commun à tous : il faut le chérir et l’accompagner.

Fort de ces succès, vous souhaitez aujourd’hui aller plus loin et promouvoir la diversité à l’international.

Engagés depuis de nombreuses années sur la diversité sociale en France, nous sommes en effet mûrs aujourd’hui pour développer notre ambition de diversité sociale au-delà de nos frontières. Pour changer des destins à l’international, nous avons déjà lancé trois grandes initiatives :

Le programme Imagine, au travers duquel nous allouons des bourses à des talents issus de pays en guerre. Ce programme répond à une transformation massive pour nous. HEC est une marque connue dans le monde : généralement, on postule pour y entrer et on est sélectionné ou pas. Dans les pays en guerre, ce processus de sélection ne marche pas : c’est à nous d’aller chercher les talents. Pour ce faire, nous travaillons avec les institutions locales, des ONG, des services militaires et diplomatiques sur place pour les trouver. Nous avons lancé ce programme au lendemain du retour au pouvoir des talibans en Afghanistan et nous tenions à ce que la première bénéficiaire de ce programme soit une jeune femme afghane. Elles ont finalement été deux : l’une était dans un camp de réfugiés en Allemagne mais la seconde était toujours en Afghanistan et il a fallu l’extrader. Aujourd’hui, ce programme concerne aussi des étudiants syriens, ukrainiens… des profils d’excellence très forts qui ne seraient jamais venus ici et dont les destins peuvent être transformés demain parce qu’ils seront passés par HEC. Parmi les autres dimensions de ce programme : l’accompagnement à distance des startups de pays en guerre, la création de cursus académiques dédiés comme Business & Peace dans la Grande Ecole, et le développement d’une association Imagine pour animer le campus autour de toutes ces initiatives.

Le Programme Pact Afrique, au travers duquel nous accompagnons des élèves d’institutions de référence en Afrique dans le but de leur permettre de nous rejoindre en admission parallèle. Et dans l’espoir, bien sûr, qu’ils mettent ensuite leurs compétences au service du développement de leur pays d’origine.

Les bourses. La Fondation et de nombreux particuliers et grands patrons s’engagent à nos côtés, même s’ils ne sont pas alumni d’HEC. A l’image de Rodolphe Saadé, PDG du Groupe CGE-CGM qui s’est engagé sur 10 ans à financer 20 bourses par an pour des étudiants libanais. Nous avons pour ambition d’atteindre les 25 % d’étudiants boursiers sur critères sociaux en France et à l’international.

Pour changer le monde, il faut aussi changer la façon d’enseigner : quelques indices sur votre prochaine curriculum review ?

Nous souhaitons multiplier les allers-retours et les alliances entre la salle de cours et terrain et ce, dès le début de la formation. Nous allons développer pas mal d’actions autour de l’introspection et faire monter en puissance le volet « compréhension du monde au-delà du business ». Nous voulons aussi travailler autour de la rencontre. Notre campus rassemble des étudiants issus de 133 nationalités, des étudiants qui seront amenés à avoir des responsabilités dans le monde. En créant aujourd’hui sur nos campus une communauté soudée, consciente de la richesse de l’altérité, nous avons espoir que nos diplômés soient, demain, engagés à œuvrer à plus de paix dans le monde.