La société comme le rapport au travail ont profondément changé au cours des vingt dernières années. L’effritement des collectifs (politiques, syndicaux et de métiers) et la montée de l’individualisme d’une part, les exigences fortement accrues de compétitivité et de réactivité d’autre part, ont rendu obsolètes aussi bien les modèles existants de l’action publique que les modes de gestion des entreprises. Tous deux demeurent en effet encore souvent indifférenciés et descendants. Or, il s’exprime partout une demande de dialogue et de prise en compte des situations personnelles : citoyens comme salariés rejettent les politiques standardisées ou autoritaires. Dans l’entreprise, s’il est demandé aux salariés plus d’implication, d’efficacité et d’attention aux relations de clientèle, ces derniers attendent en retour, dans une logique de réciprocité, une entreprise plus soucieuse de leurs besoins et attentes. Les entreprises sont donc confrontées à deux défis proprement stratégiques au plan humain : d’une part, être visibles et attractives sur le marché du travail et, d’autre part, se prémunir d’éventuelles mauvaises pratiques en interne. Ceci explique leur tentation de mobiliser l’esprit et les techniques du marketing pour redynamiser leurs politiques RH et managériales. Les firmes ont en effet intérêt à améliorer leur « image employeur » et ensuite à convaincre leurs « prospects » (candidats) de l’intérêt de les rejoindre. De même, en interne, elles doivent mieux connaître leurs salariés et prendre en compte leurs attentes.
L’objectif du marketing RH est donc d’attirer puis de conserver les « talents », comme la marque commerciale vise un double objectif, de conquête et de fidélisation. Comme tout marketing, ses atouts résident a priori dans une stratégie de l’offre efficace qui permetde mieux répondre aux attentes des « cibles », à partir de leur meilleure compréhension de leurs comportements. L’enjeu d’une telle stratégie, pour réussir, est de parvenir à ce que soient rapprochées les trois « images » de l’entreprise : celle voulue par les dirigeants, celle vécue par les salariés et celle perçue par les publics externes. Alors, le marketing RH devient-il le nouveau logiciel de la gestion humaine et sociale des entreprises ? En fait, si elle est parée de nombreuses séductions, cette approche souffre de réelles faiblesses. En premier lieu, si le marketing RH est à même d’optimiser l’attractivité et le recrutement des entreprises, il semble peu efficace à l’égard des salariés. Le lien salariés/ employeur n’est en effet pas assimilable à celui existant entre le client et l’entreprise, au coeur du marketing. Il s’agit au contraire d’une relation de subordination, par définition inégale : le salarié est un client largement captif. En second lieu, le marketing RH prétend de facto gommer les divergences et les conflits d’intérêt : il suffirait d’identifier les besoins et les attentes de chacun et d’y répondre. L’expérience et l’analyse stratégique montrent au contraire que les dirigeants sont en permanence confrontés à des arbitrages à réaliser entre des positions ou des intérêts concurrents entre les divers acteurs de l’entreprise, comme le modélise d’ailleurs explicitement aujourd’hui la théorie des Parties Prenantes. Il ne suffit donc pas, comme l’ont démontré Michel Crozier et Erhard Friedberg, de demander aux salariés ce qu’ils pensent ou ce qu’ils veulent afin de trouver les solutions à mettre en oeuvre. Exigeante, l’écoute est en fait bien plus un diagnostic approfondi, fondé sur la confrontation des informations et des points de vue, utile pour refonder des politiques. Indispensable pour moderniser son « image employeur » sur les marchés du travail, le marketing RH semble en revanche peu adapté aux enjeux internes à l’entreprise. La superficialité de nombre de démarches marketing RH (sur la reconnaissance non monétaire, par exemple, déconnectée des dynamiques sociales réelles) devrait inciter les dirigeants à la plus grande prudence.
Par Jean-Marc Le Gall, Conseil en stratégies sociales, professeur associé au CELSA (Universi té de Paris Sorbonne). Il a récemment publié « L’entreprise irréprochable – réciprocité, responsabilité, démocratie », Collection Humanités du Collège des Bernardins, Desclée de Brouwer, 2011.