Gérard Detourbet, Directeur Général du programme A Entry, nouvelle plateforme de l’Alliance Renault- Nissan destinée aux marchés émergents : « La moitié de nos fournisseurs se situent à moins de 15 km de notre usine. »
Gérard Detourbet, Directeur Général du programme A Entry, nouvelle plateforme de l’Alliance Renault- Nissan destinée aux marchés émergents : « La moitié de nos fournisseurs se situent à moins de 15 km de notre usine. »

L’Alliance Renault-Nissan à la conquête de l’Inde !

Dévoilé le 20 mai dernier à Chennai ex Madras, ville du sud de l’Inde, où Renault et Nissan peaufinent leur rapprochement global, le mini cross over urbain Kwid y sera commercialisé cet automne à partir de 4 200 euros dans le deuxième pays le plus peuplé du monde. Rencontre avec Gérard Detourbet, papa de la gamme mondiale Entry (Logan et dérivés) qui a pris entièrement en charge début 2012 les commandes de ce second projet « de rupture » et d’innovation conceptuelle à la tête d’une équipe de 350 personnes en mode start-up.

Gérard Detourbet, Directeur Général du programme A Entry, nouvelle plateforme de l’Alliance Renault- Nissan destinée aux marchés émergents : « La moitié de nos fournisseurs se situent à moins de 15 km de notre usine. »
Gérard Detourbet, Directeur Général du programme A Entry, nouvelle plateforme de l’Alliance Renault- Nissan destinée aux marchés émergents : « La moitié de nos fournisseurs se situent à moins de 15 km de notre usine. »

Fort de votre expérience réussie avec la gamme mondiale des véhicules « Entry », composée entre autres de Logan, Sandero et Duster, pourquoi avoir accepté de relever le challenge de « cette voiture qui, dixit Carlos Ghosn, va changer la donne en Inde et dans le monde » ?
Je devais partir en retraite fin 2012, mais lorsque ce projet inédit, tenter un remake de Logan pour l’Alliance, s’est présenté, avec cette fois encore la gageure de diviser nos coûts de fabrication par deux, j’ai accepté car on ne refuse de tenter, une fois de plus, de repousser les frontières de l’optimisation coût/valeur et cette fois en partant d’une page blanche. Dans un premier temps, l’objectif était de démontrer que l’on pouvait créer deux nouveaux véhicules l’un pour Renault et l’autre pour Datsun sur une nouvelle plate-forme avec un nouveau moteur trois cylindres et une nouvelle boite de vitesses de façon profitable. Cette tâche nous a occupé tout le début de l’année 2012. Cette démonstration étant faite, nous avons créé l’entité de développement en Inde mi-2012 pour réaliser le projet : KWID en est la première réalisation. Dès le départ, pour Renault-Nissan, la logique était de créer une nouvelle catégorie de véhicules permettant, dans certains marchés particulièrement compétitifs, de rentrer des produits à la fois vendables, désirables et profitables. Dans le cas de l’Inde, les compétiteurs sont Maruti Suzuki, Hyundai et dans une plus faible mesure Tata qui dominent le marché ; KWID est en rupture par rapport à eux tant sur le plan stylistique que sur les aspects des caractéristiques et du contenu. Un autre trait de ce genre de projet est le volume à produire : nécessairement gros, il permet l’établissement et/ou la croissance du réseau de vente, qui consolidera les ventes des autres voitures de la marque. C’est le côté vertueux de rentrer par le bas pour ouvrir des marchés, le coin dans le tronc d’arbre qui permet de fissurer le système.

 

« La simplicité fait gagner beaucoup d’argent ! »

Quel est le secret pour concevoir une petite voiture peu chère mais profitable ?
Je savais, par expérience, que si l’on reprenait les méthodes de travail habituellement pratiquées par Nissan ou Renault, nous n’aboutirions pas. Relever ce défi nécessitait de partir d’une feuille blanche et j’ai demandé à pouvoir mettre en place ma propre organisation lorsque le système de conception fine et d’industrialisation a été lancé mi-2012. Il fallait s’organiser avec des modes de pensée, de fonctionnement et de management différents. On a poussé plus à fond un certain nombre de méthodes en utilisant le « Jugaad », c’est-à-dire le système d’innovation frugale indien (où comment faire plus avec moins). A l’exception de quelques pièces (des bielles, des injecteurs et des capteurs électroniques) la voiture est faite à 98 % avec des pièces fabriquées en Inde. Chaque pièce qui a été dessinée (ou redessinée) a été pensée pour s’adapter aux modes de production indiens, avec un gros travail en amont auprès de nos fournisseurs locaux qui ont fait des efforts d’adaptation et rogné sur toutes les dépenses. Nous savions devoir aller chercher le mieux du local pour obtenir les coûts objectifs. Et la route fut difficile : les premières consolidations des retours fournisseurs étaient à 40 % au-dessus de l’objectif. Chaque roupie a été un champ de bataille…

 

Pouvez-vous revenir sur votre parcours pour le moins insolite qui vous a mené des bancs de la faculté ?
Comme ce n’était pas forcément très simple d’enseigner en université dans les années post-soixante-huitardes, j’ai décidé de regarder ailleurs. A l’époque, les mathématiciens ne « s’achetaient » pas et n’étaient pas courtisés dans le monde de l’entreprise. Cependant Renault avait l’habitude chaque année de faire rentrer dans son sein quelques dizaines de profils « différents » comparés aux ingénieurs des arts , voire centraliens et polytechniciens qui constituaient le gros des troupes. Ensuite la greffe prenait ou ne prenait pas… J’ai fait mon trou au département des études en 1972 et m’y suis trouvé bien malgré une rupture de mes modes de fonctionnement majeurs, passant de l’intelligence universitaire plutôt solitaire à une logique différente, plus opérationnelle mais surtout destinée à faire marcher des systèmes et des hommes. On m’a proposé un poste en usine à Sandouville alors que je n’étais pas du tout un homme de process ou de méthodes. Je suis devenu responsable de la tôlerie de la R 25, puis patron des méthodes de l’usine, des méthodes centrales, de la direction mécanique, etc. Un parcours où j’ai pu piloter tous les secteurs techniques. L’avantage d’une grande entreprise comme Renault, c’est d’autoriser la construction et l’accumulation de compétences et, au moins au début de carrière, de le faire en fonction de ses aspirations personnelles.

 

Quel est votre principal moteur et mode de management ?
Je ne sais pas faire deux fois la même chose et rester dans des bornes déterminées. Cela vient probablement du fait que j’étais mathématicien théoricien avant d’intégrer le monde industriel. En tant que chercheur, vous êtes toujours en train d’essayer de trouver quelque chose de nouveau. J’ai été formé comme cela et j’ai gardé cette habitude. En fait, je n’ai pas peur de prendre des risques, évalués et raisonnés. J’essaie toujours d’aller au-delà, de pousser les équipes au-delà de ce qu’elles ont l’habitude de faire, pousser les méthodes et réduire les temps au-delà de ce que d’autres jugent « raisonnable », etc. Lorsque j’ai constitué mon équipe commando indienne, j’ai appelé un certain nombre d’éléments déjà formatés à mes méthodes de travail, des gens qui savent et qui ont des méthodes de travail collectives. Un manager doit bien s’entourer. De plus je ne laisse jamais personne dans la quiétude en donnant des objectifs difficiles mais cependant raisonnablement atteignables. Lorsqu’on a fait Logan, on a divisé les coûts par deux. En Inde, on redivise par plus de deux. Il faut être en rupture sur les objectifs et obliger les individus et les équipes à se dépasser. Même si la cible semble difficile à atteindre et peut engendrer au début des moments de perte de confiance, il s’avère que le travail paie et que les résultats arrivent. En se focalisant sur l’objectif et en se faisant un peu mal, chaque jour amène un petit succès, les pierres se rajoutent à l’édifice et on approche du sommet. En fait, de micro-succès en micro-succès, le système s’auto-alimente pour devenir un vrai gros succès !

 

Un conseil aux jeunes ingénieurs qui seraient tentés de vous rejoindre ?
Partenaires de puis 1999, Renault et Nissan constituent le quatrième groupe mondial sans pour autant être intégrés. Pour quelqu’un qui a envie de s’exprimer, cette co-entreprise complètement internationale offre de multiples opportunités de carrière aux jeunes diplômés dans un univers automobile en pleine mutation. On fabrique des voitures de toutes gammes extrêmement différentes selon les lieux, les marques, etc. Le groupe Renault a prévu le recrutement de 1 000 personnes en France d’ici à fin 2015, dont la moitié en usine et l’autre moitié dans le tertiaire et l’ingénierie. Il existe des passerelles entre les deux entreprises.

 

B. B.

 

Contact : http://group.renault.com/travailler/chez/renault