Quatre ans après la déclaration de l’égalité entre les femmes et les hommes « Grande cause du quinquennat », Elisabeth Moreno, Ministre délégué auprès du Premier ministre, chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, la Diversité et l’Egalité des chances fait le bilan des actions du Gouvernement. Propos recueillis par Clarisse Watine
De quelles avancées êtes-vous la plus fière ?
C’est la première fois dans l’histoire de notre pays que l’égalité entre les femmes et les hommes est décrétée grande cause du quinquennat par le Président de la République. Le travail à mener est tellement immense qu’il doit être conduit collectivement. C’est pourquoi le Gouvernement travaille en étroite synergie avec les associations, les parlementaires et les élus locaux. Depuis 2017, un véritable changement culturel s’est opéré dans notre société. Parce qu’il ne saurait y avoir de véritable égalité entre les femmes et les hommes sans lutter résolument contre toutes les formes de violences faites aux femmes, le Président de la République en a fait le premier pilier de la Grande cause du quinquennat.
Cette ambition s’est traduite de manière très concrète. Quatre lois ont été votées en quatre ans et, aujourd’hui, 100 % des 46 mesures issues du Grenelle des violences conjugales sont engagées.
Parmi elles, je pense notamment à :
- l’extension des horaires du 3919, la ligne nationale d’écoute et d’orientation des victimes, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7
- l’augmentation de 60 % des places d’hébergement dédiées aux victimes de violences
- l’ouverture de 30 centres de prise en charge des auteurs de violences dans l’Hexagone et en Outre-mer
- le déploiement de 300 intervenants sociaux dans les gendarmeries et les commissariats
- la levée du secret médical en cas de danger immédiat pour les victimes
- la prise de plainte pour violences conjugales directement à l’hôpital
- la prise en compte des enfants, victimes directes des violences
Ces mesures extrêmement concrètes s’appuient sur un effort budgétaire sans précédent : + 40 % en 2021. Au total, le budget dédié à l’égalité a quasiment doublé en cinq ans.
Aussi, parce que comme l’écrivit Gisèle Halimi, l’indépendance économique des femmes est la clé de leur libération, je me réjouis que le Gouvernement ait mis en place en 2018 l’index de l’égalité professionnelle ; un outil de transparence pour lutter contre les inégalités salariales qui subsistent entre les femmes et les hommes.
En 2020, 102 féminicides conjugaux ont encore été recensés. Comment faire baisser ce chiffre ?
Le combat que nous menons contre ce fléau est un combat de chaque instant car un féminicide sera toujours un féminicide de trop. C’est pourquoi, nous ne devons jamais baisser la garde et devons rester constamment vigilants. Les féminicides effroyables de Mérignac et d’Hayange ont bouleversé notre société toute entière. Dans ce contexte, le 29 juin dernier, le Premier ministre a décidé le 9 juin dernier de mettre en place six nouvelles mesures et des moyens supplémentaires pour mieux protéger les victimes, mieux suivre les auteurs de violences et mieux coordonner les acteurs engagés à l’échelle nationale et sur le terrain.
Pour mieux protéger les victimes, 3 000 téléphones grave danger seront mis à disposition des juridictions d’ici novembre. Mieux protéger les victimes, c’est aussi renforcer le déploiement des bracelets anti-rapprochement. Depuis décembre 2020, le Gouvernement a mis à disposition des juridictions 1 000 bracelets. Un plan de renforcement pour accroître leur recours a été mis en place par le Garde des Sceaux. L’enjeu réside désormais dans leur déploiement et leur utilisation. Éric Dupond-Moretti a également œuvré à augmenter le nombre d’ordonnances de protection qui protègent les femmes victimes de violences conjugales, indépendamment de toute plainte. Et les résultats sont au rendez-vous puisque nous avons enregistré une augmentation de 62 % de demandes entre septembre 2018 septembre 2020.
Nous allons également créer un fichier des personnes condamnées pour des violences conjugales afin de faciliter le partage d’informations entre les forces de l’ordre et les services de la justice. Ce fichier sera actualisé en fonction des actions conduites par les services de police et de gendarmerie et des mesures prononcées par la justice. Il favorisera ainsi la vision d’ensemble et la détection des signaux faibles, permettant la prise de mesures d’accompagnement, de prévention ou de protection. Enfin, le renforcement de la coordination territoriale et notre engagement au plus près des victimes constituent des priorités absolues, à laquelle nous attachons la plus haute importance. Mettre en œuvre des dispositifs c’est bien ; s’assurer qu’ils fonctionnent sur le terrain c’est mieux.
Les prochains combats que vous comptez mener ?
Il nous reste moins de 200 jours pour agir et j’agirai jusqu’au dernier. Parce qu’il s’agit de vies humaines, nous devons rester absolument concentrés. Mon rôle est de veiller à l’exécution rigoureuse de l’ensemble des mesures prises pour écouter, protéger et accompagner les victimes de violences. En parallèle de la lutte contre ce fléau, deux propositions de loi actuellement au Parlement constituent mes chevaux de bataille. Je pense à la proposition de loi Rixain-Castaner sur l’égalité économique et professionnelle qui, après avoir été adoptée à l’unanimité en première lecture à l’Assemblée nationale, sera prochainement examinée au Sénat. Ce texte historique est selon moi une étape importante pour toutes les femmes et pour notre société toute entière.
Je pense également à la proposition de loi de Laurence Vanceunebrock interdisant les thérapies de conversion, elle-aussi adoptée tout récemment à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Autres chantiers importants des prochains mois : la création d’un index de l’inclusion et de la diversité qui sondera le niveau d’inclusion et de diversité d’une organisation publique ou privée, via une enquête collaborateurs. Cet outil aidera les dirigeants et les DRH à engager des mesures correctives pour que leur organisation soit un meilleur reflet de notre société. Enfin, je lancerai prochainement le nouveau Plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme
Gratuité de la contraception jusqu’à 25 ans, lutte contre la précarité menstruelle, PMA pour toutes… Pourquoi s’engager sur des sujets si « intimes » pour les jeunes femmes ?
Il n’y a pas de petites batailles dans le combat que je mène pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Chaque année, ce sont 130 000 jeunes filles qui manquent l’école régulièrement à cause de la précarité menstruelle. Il s’agit d’un enjeu de dignité mais aussi d’égalité des chances. L’engagement budgétaire de l’État pour lutter contre ce fléau a été porté à 13 millions € et, depuis la rentrée scolaire, les protections hygiéniques sont gratuites pour les étudiantes. Aucun autre Gouvernement ne s’était jusqu’alors emparé de ce tabou.
La gratuité de la contraception jusqu’à 25 ans, combat que je mène avec Olivier Veran, constitue également une avancée pour les droits des femmes ainsi qu’un acte de solidarité pour notre jeunesse. Les 18-25 ans sont en effet, d’une part, les plus exposées aux risques liés à l’absence de contraception et, d’autre part, dans une situation socio-économique qui, bien souvent, justifie cette gratuité. Enfin, la PMA pour toutes les femmes était un engagement important d’Emmanuel Macron et nous l’avons concrétisé le 29 juin dernier. C’est un acte d’égalité et de justice sociale qui va changer la vie de très nombreuses femmes et familles. Nous pouvons collectivement être fiers de cette avancée.
« Je déplore que le CAC 40 demeure un club de mecs en costumes gris » avez-vous déclaré. Mais concrètement, comment faire pour augmenter le nombre de femmes à la tête des plus grandes entreprises ?
Des choses concrètes ont été entreprises mais nous devons aller plus loin sur ce sujet. Prenons par exemple la loi Copé-Zimmermann qui a instauré des quotas de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises françaises. Grâce à elle, nous sommes passés en dix ans de 9 % à 45 % et la France est devenue championne d’Europe en la matière.
Alors oui : les quotas fonctionnent et sont nécessaires pour briser les plafonds de verre, les stéréotypes et préjugés prégnants dans notre société. Il est absolument nécessaire que les femmes aient voix au chapitre dans les instances dirigeantes des entreprises. C’est ainsi que nous ferons bouger les lignes. C’est l’esprit de la proposition de loi Rixain-Castaner qui prévoit d’imposer 30 % de femmes dans les postes à responsabilité d’ici à 2027 dans les entreprises de plus de 1 000 salariés. La loi et les quotas permettent à notre société de se transformer plus rapidement. Par ailleurs, pour lutter contre les biais de genre en amont, ce texte prévoit la création d’un index de l’égalité dans les établissements d’enseignement du supérieur et 30 % de femmes dans les jurys de sélection aux grandes écoles.
Pourquoi cela concerne-t-il aussi les hommes ?
La parité n’est pas une question de charité mais d’efficacité et de justice sociale. De nombreuses études ne cessent de souligner qu’une entreprise plus mixte est une entreprise à la fois plus attractive et plus compétitive. Parité rime donc avec performance. Il ne s’agit pas seulement de cocher une case dans un rapport RSE à la fin de l’année mais de déployer des politiques de long terme. Pour cela, il faut non seulement l’engagement des responsables RH et des managers, mais aussi et surtout des dirigeants d’entreprise. Une entreprise mixte est plus innovante et plus créative, donc plus performance dans la durée. Et je suis convaincue que les entreprises qui réussiront demain seront les entreprises les plus citoyennes et inclusives.
Le sexisme n’est plus une fatalité en 2021 : la preuve ?
Je veux vous le dire avec force et avec une conviction fondée sur mon expérience de trente ans dans le monde de l’entreprise : le talent et l’engagement n’ont pas de genre. Il n’y a pas de métier réservé aux hommes pas plus qu’il n’y a d’études réservées aux garçons et vice-versa. Nous avons dans notre pays, énormément de femmes talentueuses et déterminées qui réussissent de surcroît dans des univers dits parfois « masculins ». Il faut faire tomber ces barrières et mettre en lumière des rôles modèles inspirantes. Je pense par exemple à Djihène Abdellilah, enseignante à la Sorbonne et championne de France de MMA, à Pascale Dubois, première femme à diriger les CRS, à Nathalie Roret, première femme à la tête de l’École nationale de la magistrature, ou encore à Dominique Arbiol, première femme à diriger l’École de l’Air et de l’Espace. Les exemples de ce type sont légion et doivent nous inspirer. Pour les filles mais aussi pour les garçons. Je crois profondément aux rôles modèles ainsi qu’au rôle de l’éducation dans la lutte contre les stéréotypes, qui continuent, encore aujourd’hui, à priver de nombreuses jeunes filles talentueuses de leurs rêves et de leurs ambitions.
À quel moment de votre vie avez-vous réalisé que la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes serait votre combat ?
J’ai grandi dans une famille modeste qui était également très patriarcale et j’ai mis du temps à m’extraire des carcans dans lesquels mes parents et ma famille voulaient m’enfermer pour conquérir in fine mes « petits bouts de liberté » pour reprendre les mots de Gisèle Halimi. Comme de très nombreuses femmes de par le monde, j’ai donc dû me battre pour briser les chaînes qui entouraient ma condition de fille et de femme. Une fois manager j’ai constaté les inégalités de traitement, les promotions loupées, les écarts de salaire, le manque de confiance des femmes conduisant à des opportunités sacrifiées, etc. C’est pour toutes ces raisons que j’ai décidé de m’engager pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
Un message à celles qui veulent suivre votre exemple?
Je leur dirais que chaque personne a du talent ou un don. Trouvez le vôtre, trouvez ce que vous aimez, ce qui vous inspire, ce qui fait du sens pour vous et battez-vous pour réaliser vos rêves. Ne laissez personne vous dire que cela n’est pas pour vous ou que vous n’y parviendrez pas. Puis formez-vous, apprenez en permanence, entourez-vous de personnes qui croient en vous, de mentors et vous y arriverez. Et enfin, pensez à cette citation de Nelson Mandela : « cela semble toujours impossible, jusqu’à ce qu’on le fasse ».
Qui sont vos modèles ?
Beaucoup de personnalités m’ont inspirée et m’inspirent encore aujourd’hui. Je pense à Simone Veil, à Nelson Mandela, à Gisèle Halimi ou à Denis Mukwege, le gynécologue-obstétricien congolais, Prix Nobel de la paix, qui consacre sa vie à soigner les femmes victimes de violences. Et je me réjouis que le Président de la République ait décidé de faire entrer au Panthéon Joséphine Baker. Elle a eu mille vies et elle a choisi la France au point de tout risquer pour elle en s’engageant dans les Forces Françaises Libres. Elle a ensuite consacré sa vie à la joie, la générosité, la lutte contre le racisme et l’humanisme absolu. Grâce à son art, elle a réussi à faire passer des messages importants, à déconstruire les stéréotypes coloniaux. Joséphine Baker, qui incarne l’universalisme républicain, est véritablement une grande source d’inspiration pour toutes les générations.