Existe-t-il un cinéma chinois contemporain ? Ou comment le dernier film de Wong Kar-Wai nous aide à porter un regard distancié sur un kaléidoscope cinématographique.
Le cinéma chinois ? Combien de divisions ? Tout d’abord, il semble impropre de parler de « cinéma chinois ». En effet, l’expression désigne tout à la fois les cinémas hongkongais et taïwanais, mais aussi, plus classiquement, le cinéma de Chine continentale. Bref, soit le style artistique et les références communes se jouent des frontières politiques, soit l’approche française du cinéma asiatique est caricaturale. Les deux hypothèses ne s’excluent évidemment pas d’emblée. Mais, au risque de froisser les susceptibilités, conservons ici le terme de « cinéma chinois » dans son acception la plus large.
Alors, quel est l’état du cinéma chinois actuellement ? Il est possible de faire un double constat.
D’abord, la diffusion d’un certain modèle de salles en Chine continentale. En effet, la nouvelle norme semble être le gigantisme : les multiplexes démesurés fleurissent et s’épanouissent. La conséquence logique d’un tel maillage du territoire devrait être la course aux blockbusters. D’un certain côté, c’est exact, et les films d’auteur semblent comparativement peu nombreux. Cela d’autant plus qu’ils doivent échapper à la censure. D’où des situations étranges, comme des films chinois parfois bien accueillis par la critique occidentale, mais savamment ignorés en Chine. Ensuite, nulle apparition d’un Bollywood chinois. Ni dans la forme, bien que les films indiens rencontrent un grand succès en Chine : pas de danses extravagantes par exemple. Ni dans le fond, puisqu’on n’a pas assisté à la création d’un modèle spécifique de production des films. Cela n’a pas empêché certains films chinois de bien fonctionner à l’exportation : souvenonsnous de Tigre et Dragon du taïwanais Ang Lee, qui réunit des acteurs taïwanais, chinois et hongkongais, ou du Secret des poignards volants avec ses nombreuses stars chinoises, qui ont su remporter un beau succès sur le marché occidental. Ainsi, observons le dernier film de Wong Kar-Wai, The Grandmaster, qui montre bien toutes ces forces à l’oeuvre. Wong Kar-Wai lui-même illustre bien cela : né à Shanghai en 1956, il a émigré à Hong Kong à l’âge de 5 ans. Depuis ses premiers films, malgré la réintégration de Hong Kong à la Chine, il est donc bel et bien considéré comme un réalisateur hongkongais. Rappelons rapidement que The Grandmaster relate la vie d’Ip Man, maître de l’école de wing chun, une des branches du kung-fu chinois (les puristes me pardonneront les probables approximations) et professeur de Bruce Lee. Or ce film est un bel exemple du métissage des divers types de cinéma chinois. Le film où les arts martiaux occupent une place centrale est un classique du genre : combats stylisés, discipline infernale, sentences énigmatiques, tout semble réuni pour faire un bon blockbuster. De là à dire que Wong Kar-Wai ne fait pas de cinéma d’auteur, il y a un pas de géant. Et rien que cette scène de combat devant d’un train qui démarre et s’allonge démesurément interdit ce pas. Dans le même temps, il sait en faire un film nostalgique, tissé de liens entre des mondes qui changent et fluctuent, ce qui représente aussi une certaine continuité par rapport à son oeuvre antérieure. Il convient donc d’être prudent en appréhendant le cinéma chinois contemporain. D’une part parce que son unité tient plus à des conditions de tournage semblables (censure, marché tourné vers les blockbusters) qu’à une ligne artistique commune. D’autre part, parce qu’il relève de différentes cultures qui, bien que proches, ne sont pas identiques. La généralisation semble donc difficile, sinon dangereuse.
VERSION ORIGINALE
Antoine Inglebert-Frydman (promo 2016)