Il y a 10 ans, avec IDTGV, le groupe SNCF affichait son ambition de rentrer de pied ferme dans l’air digitale avec une nouvelle offre à Grande Vitesse radicalement innovante. A l’heure de l’incontournable défi du low coast, c’est pratiquement réinventer ce mode de transport qui fut demandé, l’an passé, à l’équipe chargée du projet OUIGO. Rencontre avec la maîtresse d’oeuvre ce cette petite révolution, Valérie Dehlinger (Ensiame 92, DEA de Mécanique Dynamique 92), Directrice Générale d’IDTGV et de OUIGO…
Pouvez-vous nous présenter l’entreprise IDTGV, son positionnement au sein du groupe SNCF ainsi que ses objectifs pour les années à venir ?
iDTGV est une filiale du groupe SNCF. Grâce à un modèle économique un peu différent de TGV, iDTGV propose des voyages « bon-plan » vendus uniquement sur internet. L’offre dessert 30 destinations et le marché ciblé est celui du déplacement loisir. La proposition est axée sur le voyage, plus que sur le trajet en train seulement. Grâce iDTGV.com, une plateforme digitale performante, une gamme de services étoffée est proposée : porte à porte (iDcab, iDneige, ID plage), 2 ambiances à bord (iDZEN et iDZAP), restauration en prévente dès le booking pour éviter les file d’attente et bénéficier d’un prix attractif, locations de tablettes tactiles, choix du numéro de place etc. En résumé, l’offre est conçue autour du client, afin qu’il puisse designer son voyage en quelques click. iDTGV transporte plus de 4 milions de voyageurs par an. Ces derniers se déclarent satisfaits à 90 %. La filiale qui affiche plus de 200 M€ par an de CA, va continuer à se développer, essentiellement sur la longue distance. L’objectif est simple : créer la préférence modale vis-à-vis de l’aérien, en innovant continuellement pour le client.
« Il faut toujours – toujours ! – sortir de
sa zone de confort et s’engager, prendre des risques. Cela paye »
Le « Low cost » est une des tendances actuelles majeures de l’économie des transports. Vous avez conduit le projet de « TGV low cost » OUIGO depuis le départ. Un programme qui vient de fêter son premier anniversaire. Pourriez-vous nous conter cette grande aventure et en dresser un premier bilan ?
Début 2011, face à la crise économique et l’hypersensibilité au prix, il est devenu indispensable de répondre aux attentes de la clientèle en réfléchissant à une offre low cost sur le seul secteur des transports qui n’en disposait pas encore : le ferroviaire. Un immense défi dans la mesure où il fallait tout repenser pour fabriquer et commercialiser un mode de transport Grande Vitesse coûtant 40 % moins cher (!), seul moyen d’être économiquement viable. Il fallait parallèlement inventer une offre marketing en rupture avec tout ce que l’on avait fait jusque-là et enfin que la solution proposée soit robuste, viable et fiable sur la durée. Un an plus tard, non seulement, nous sommes parvenus à produire une offre cohérente en abaissant les coûts de… 50 % ! mais notre clientèle est nouvelle pour moitié, notre ponctualité identique à celle des TGV, sa maintenance plus performante encore et nous avons déjà dépassé les 2 millions de passagers. Bref, c’est une vraie réussite.
Avec la mise en oeuvre d’un programme comme OUIGO, le recours à la créativité et l’innovation devenait indispensable. Comment avez-vous managé ce saut collectif dans l’inconnu et quels étaient les risques encourus ?
Mon parti-pris de départ était simple : l’objectif à atteindre est un peu fou ? Admettons. Il faut de plus boucler ce projet hyper ambitieux en 18 mois ? Jouons le jeu. Sans aucune prétention, mais sans oublier non plus qu’on a un certain bagage de ce côté : la Grande Vitesse, c’est nous qui l’avons inventé ! J’ai donc constitué une petite équipe, très diversifiée, à laquelle j’ai rapidement fait partager mon enthousiasme. Par bonheur, on a tout de suite obtenu une ou deux petites victoires et tout le monde s’est mis à y croire, à donner le maximum de son talent et le projet est devenu une superbe aventure collective, dépassant l’équipe projet. Le plus difficile fut de convaincre les experts de nous suivre sur des objectifs aussi élevés, mais nous y sommes parvenus ; ils ont montré le potentiel de compétences incroyable qu’on a. Et la chance immense que nous avons eue, c’est que face à un projet représentant des investissements aussi importants avec de telles ruptures industrielles et commerciales, dans un groupe de l’ampleur de la SNCF, nous aurions très facilement pu être placés sous surveillance, être hyper contrôlés, bref ralentis … Pas du tout ; on nous a laissé une marge de manoeuvre considérable, exemplaire. La confiance que SNCF nous a accordée, nous a boostés. On se sentait épaulé aussi.
Quel a été votre parcours jusqu’ici ? Au départ ingénieure mécanique, qu’est-ce qui vous a donné envie d’évoluer vers des postes de management et poussée à vous investir dans une dimension clairement plus entrepreneuriale que purement gestionnaire ?
J’avais fait mon mémoire sur de la modélisation de chocs lors de crashs ferroviaires. Après un an de contrat de chercheur, j’ai réalisé que ce métier n’était finalement pas pour moi. Je suis rentrée à la SNCF dans le métier de l’exploitation. Après quasiment un an de formation j’ai pris un poste de chef de gare – c’était le parcours traditionnel des jeunes cadres à l’époque. J’ai ensuite occupé différents postes dans le domaine de la production et de la sécurité ferroviaire, puis le fret car je voulais toucher la dimension « business » et élargir mon champ de compétences. Puis j’ai pris la direction d’une grosse gare, puis diriger les ventes sur l’Île-de-France… C’est alors que l’on m’a proposé ce projet, sans doute parce que je représentais un bon couteau suisse, une certaine polyvalence. On croise un projet comme celui-là tous les 20 ans, j’ai donc dit « oui » tout de suite. Puis je me suis retrouvée seule dans une pièce avec une feuille blanche… un grand moment de solitude, puis la magnifique aventure a commencé. Une fois OUIGO lancé, on m’a proposé la direction d’IDTGV.
Le management d’équipes occupe une part de plus en plus importante dans votre vie professionnelle. Quelle est aujourd’hui votre conception du management ? A-t-elle évolué avec l’expérience acquise ?
Dès ma première mission, je manageais 40 personnes. Les compétences managériales se construisent au fil de l’expérience, j’ai appris et évolué, forcément ; sauf sur certaines valeurs fondamentales, « naturelles ». Si j’ai toujours été attentive aux membres de mon équipe, cela ne veut pas dire protectrice ; le courage managérial est essentiel et consiste d’abord à savoir dire à chacun, dans les yeux, ce qui fonctionne et ce qui ne va pas. Je crois également qu’il est très important pour projeter son équipe dans le mouvement d’avoir des convictions et de donner des repères, un sens à son action. Quant à la créativité, elle ne se commande pas, c’est comme si on disait à quelqu’un : « Sois drôle ! ». Inutile d’en parler ; on fixe le cap, on donne les moyens, on laisse la marge manoeuvre, on transmet surtout l’envie et chacun propose. En termes d’innovation, une idée n’est pas bonne ou mauvaise. Puisque c’est une idée. Par contre elles sont plus ou moins adaptées aux objectifs et enjeux stratégiques ; mon rôle de manager est de dire « stop » à celles qui ne le sont pas ou « Oui, on essaie » à celles qui le sont. Partant de là, l’innovation est envisageable partout, même, je vous l’assure, lorsque l’on est « responsable de la sécurité ferroviaire » !…
Quels profils la SNCF recherche-t-elle aujourd’hui pour renforcer ses équipes et quels sont, selon vous, les atouts offerts par l’entreprise qui puissent donner envie aux jeunes talents de la rejoindre ?
Dans un tel groupe, les profils recherchés sont très divers, de la compétence digitale à la maintenance, en passant par le marketing, l’ingénierie, les mathématiques appliqués etc ; sachant que le premier atout du groupe est justement la diversité offerte dans les parcours, à un moment où, de plus, on se développe beaucoup à l’international. Pour peu que l’on aime ce secteur d’activité et les gens qu’on transporte, qu’on soit décidé à s’engager pour relever le défi très challengeant de la mobilité de demain, de superbes parcours professionnels s’ouvrent à vous.
« Conseils aux jeunes diplômés »
« Comme moi qui suis sortie d’une école d’ingénieurs qui n’est pas parmi les plus connues, certains auront l’impression de ne pas avoir tous les atouts en poche pour réussir leur parcours professionnel. La France est en retard avec cette vieille tradition des hauts diplômes. Cela changera. Mais en attendant, il revient à chacun de se détacher de ce marqueur initial. Dès que l’on est à l’oeuvre, en entreprise, le diplôme n’importe plus ; dans la durée on est jugé sur son seul travail : on performe ou pas. Le « juge de paix », c’est uniquement la valeur que l’on crée. Il convient donc de choisir ses postes à l’instinct, d’aller vers ce qui nous convient, nous attire, car ce qui compte, c’est de bien faire son job, de s’y engager à fond. Il faut être décomplexé, savoir sortir de sa zone de confort, prendre des risques. Rien n’est pire que de ne pas savoir prendre des risques. »
JB
Contact :
valerie.dehlinger@idtgv.com