A l’heure où les étudiants n’ont jamais été aussi nombreux à vouloir devenir leur propre patron, l’image de ce dernier a considérablement évolué dans notre pays. Aujourd’hui devenu « dirigeant » ou « entrepreneur », ses rapports avec les salariés évoluent rapidement ; à l’aune d’une mutation numérique qui n’épargne aucun modèle : économique, social, psychologique… Coup d’œil sur une relation riche de sens.
Trois salariés français sur quatre jugent favorablement l’action de leurs dirigeants. Une évolution considérable de l’image du « patron » qui s’est opérée dans notre pays en moins de deux décennies. « Le déclic s’est produit au milieu des années 90, se souvient Alain Fayolle, directeur du Centre de recherches en Entreprenariat d’emlyon business school. A l’occasion de la première vague internet et de ses étonnantes success-stories. Pour la première fois dans notre pays, on a fortement médiatisé l’entrepreneuriat. Et de manière positive ! Les jeunes ont aussitôt suivi. »
Nouvelle donne
Un glissement lexical révélateur a alors peu à peu transformé les « patrons » en « dirigeants » et en « entrepreneurs », personnages prenant des risques, s’investissant corps et âme et œuvrant pour leur pays, l’emploi, les autres… Résultat : 20 ans plus tard, les étudiants français sont devenus champions d’Europe de la création d’entreprise (cf encadré 1). Mais la mutation numérique a fait bien plus que modifier l’image du « patron », elle a impacté en profondeur tous les codes du monde du travail. « En installant le client au centre du nouveau modèle économique, elle en a fait l’alpha et l’omega, explique Bruno Boussion, vice-président de Selligent, leader européen du marketing relationnel. Chaque salarié est aujourd’hui un consommateur qui décide où, quand et comment il consomme. Comment une telle révolution des mentalités s’arrêterait-elle aux portes de l’entreprise ?! »
De jeunes salariés en demande
Installés dans la posture « consumer-centric » de l’époque, les jeunes salariés manifestent donc aujourd’hui de fortes attentes. Au premier rang desquelles ils souhaitent voir l’entreprise être pour eux un lieu d’épanouissement. Et d’apprentissage ! Seule façon de renforcer son employabilité quand tout change si vite (cf encadré 2). Mais ce qu’ils désirent avant tout, c’est qu’on leur fasse… confiance ! 71 % des jeunes reprochent à leurs dirigeants de ne pas leur faire suffisamment confiance (Opinion Way, juin 2015). Alors, quand ils ne sont pas entendus, ils changent de job.
« A l’image des « avis du client », les palmarès d’entreprises établis par les salariés ont pris le pas sur tous les autres »
Un turn-over d’autant plus important que la génération Y est la première à avoir opéré cette «résilience collective » mise en lumière par le psychologue Serge Tisseron : insécurité de l’emploi ? chômage ? reconversions ? vies multiples ?… même plus peur !
Alors les dirigeants entendent, et les entreprises changent. En mieux. La « bienveillance » a ainsi fait son apparition dans le vocabulaire économique. Logique, ce critère étant désormais pris en compte dans les classements du type « Best place to work » et autres « Top entreprises ». Encore anecdotiques il y a 5 ans, ces palmarès sont devenus des outils clés de la communication d’entreprise. Toujours logique puisqu’ils reflètent cette « expérience ou avis du client » devenus la seule source d’information conservant quelque crédit aux yeux du consommateur.
Des managers qui évoluent
Et côté dirigeants, quelles attentes ? Face à la volatilisation des talents, c’est souvent d’« implication » que l’on vous parle en premier. Avant d’évoquer cet « esprit d’équipe » indispensable pour faire face à la complexité du business et ce « sens de l’initiative » tout aussi capital pour relever les enjeux de l’innovation. Autant de qualités impliquant pour s’exprimer, un fonctionnement moins hiérarchique et plus spontané, en un mot : participatif. « Peu importe d’où vient l’idée du moment qu’elle triomphe » s’est choisi pour devise Jonathan Del Pin, jeune directeur de Business Unit chez Siemens.
Vers des managers-coachs ?
Pour la jeune génération des dirigeants actuels, le « management collaboratif » ne fait d’ailleurs même plus débat, il est devenu « incontournable ». C’est sur le fait d’endosser ou non les habits de coach que l’on se sépare. Certains, tels Christian Vignaud, DG de Terrena, estimant que « la notion de management sur mesure est devenue capitale. S’il convient d’être équitable, certains réclamant davantage d’attention, il faut la leur accorder, et les coacher ». « Pas d’accord ! C’était et cela demeure le rôle des RH », répond-on en face.
Tout le monde se retrouvant sur le fait que le manager est aujourd’hui devenu un « passeur », « celui qui permet ». Aux deux sens du terme. Il autorise, certes, mais surtout, il donne les moyens. « Mon premier travail est de créer les conditions de réussite pour mes équipes, explique Mikael Thépaut, DG chez Talan, élu deux fois Manager de l’année. On n’est plus dans un modèle pyramidal mais matriciel, les expertises se multiplient et ont tendance à séparer les gens. Faciliter et créer du lien pour aider les équipes à travailler ensemble représente ma première mission ».
Relation à double sens
Et encore n’en est-on qu’aux premiers bouleversements initiés par l’actuelle mutation. Le premier emploi des ingénieurs néophytes œuvrant dans la transformation numérique (LE secteur actuel le plus florissant) consiste précisément à expliquer la nouvelle donne aux dirigeants de TOUS les autres secteurs : services, industrie, commerce… Au point que ce sont désormais les plus jeunes recrues qui initient les plus grands directeurs au mode de vie digital ! Un reverse coaching officialisé dans nombre de grandes entreprises : Total, Citroën, etc.
Qui dira encore que les jeunes ne sont pas entendus !-)
Encadré 1 : Tous patrons !
« L’entrepreneuriat est devenu un programme incontournable de l’enseignement supérieur, explique Naïla Tabli de l’OPPE (Observatoire des Pratiques Pédagogiques en Entrepreunariat). Plus de 700 établissements le proposent ». Tandis que le mythe de la garantie de l’emploi achevait de se consumer, incubateurs, loi de finances et entrepreneurs militants boostaient la création d’entreprise et la génération Y, avide d’autonomie, s’emparait du levier. Résultat : une « vague entrepreneuriale » à nulle autre pareille : plus de 2 % des étudiants se risquant aujourd’hui à créer leur entreprise, record d’Europe. Un engouement tel que l’état a créé en 2014 un statut spécial d’étudiant-entrepreneur. « Qui permet aux étudiants de conserver la sécurité sociale une fois diplômés, le temps de créer leur entreprise au sein d’un PEPITE, explique Jean-Pierre Boissin, professeur d’entreprenariat à l’IAE de Grenoble et coordinateur du programme national PEPITE. Ils peuvent enfin créer sans être pénalisés et remplacer leur stage de fin d’études par leur projet de création ».
Encadré 2 : Vers l’entreprise-école ?
L’une des demandes majeures des jeunes diplômés est aujourd’hui de « continuer d’apprendre ». A l’heure où savoirs et métiers évoluent si vite que certaines pratiques enseignées en première année sont obsolètes à la fin des études, la formation est devenue un gage essentiel d’employabilité. Amenées à combattre en première ligne l’obsolescence des compétences, les entreprises deviennent donc de « nouveaux lieux d’apprentissage ». Au-delà de la classique intégration visant à adapter les acquis scolaires à la réalité du terrain, les entreprises se dotent d’universités internes et multiplient formations, dispositifs, parcours et passeports dédiés aux nouveaux arrivants. Tutorat et mentoring prospèrent tandis que dans le numérique, toujours en pointe, c’est le principe de la « leçon d’avance » qui émerge : quand on ne sait pas, on demande à un collègue sensé savoir. S’il ne sait pas non plus, on se tourne vers le « collège d’experts » mis en place en interne. Et ce, au quotidien, de manière aussi spontanée qu’informelle…
Frédéric Le Guen, PDG inspirant pour Belambra Clubs
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