DOSSIER SPECIAL CROSSWORLDS
Des “sauterelles”. C’est ainsi que les Hongkongais désignent les Chinois. Des gens sales, impolis, cupides, qui n’ont pas leur place sur l’île de Hong Kong. Entendons- nous bien : un Hongkongais n’est pas un Chinois, un Chinois n’est pas un Hongkongais – surtout pas.
L’arrivée massive des chinois à Hong Kong
La publicité parue en février 2012 est suffisamment explicite. À côté de la sauterelle chinoise qui, menaçante, toise l’île de loin, on peut lire : Voulez-vous vraiment dépenser 1 million de Hong Kong dollars toutes les 18 minutes pour élever les enfants des Chinois du continent ? Les locaux voient d’un mauvais oeil l’afflux d’immigrants du continent vers l’île de Hong Kong. Avec la nouvelle invasion chinoise, un certain nombre d’anecdotes et de scandales ont éclaté. Beaucoup de femmes chinoises viennent accoucher à Hong Kong afin que leur bébé soit un résident légal de cette SAR (Special Administrative Region) et puisse alors profiter de multiples avantages : une sécurité sociale subventionnée, une éducation gratuite, le passeport qui permet de se déplacer beaucoup plus facilement qu’un passeport chinois etc. Les Hongkongais ont l’impression qu’ils paient pour tout, tandis que ces familles chinoises sont là pour recueillir les bénéfices. Les Chinois à Hong Kong sont-ils des insectes cupides déterminés à piller l’île ?
Les points positifs de ce phénomène migratoire
Il y a une chose qui ne fait aucun doute : l’afflux massif des « mainlanders » (ndlr, les Chinois venus du continent) sur l’île. Ils étaient 35 millions en 2012. À la même date, ils étaient 30 000 dans les universités de Hong Kong, où ils se démarquent par leurs notes plus élevées que la moyenne. Depuis la fin de la tutelle britannique en 1997, il y a en a chaque année environ 50 000 de plus. Pourtant, la présence chinoise a des avantages. Elle représente une source de revenus monumentale. Dans les boutiques de luxe, on n’entend quasiment plus parler cantonais (le dialecte de Hong Kong) mais plutôt le mandarin qu’on parle en Chine. Le phénomène permet au marché du luxe de connaître une expansion sans précédent, avec de nouvelles ouvertures en permanence. Remercions donc ces Chinois décriés qui rapportent tant d’argent.
Pourquoi les Hongkongais perçoivent les Chinois d’un mauvais oeil ?
Bien sûr, le mauvais côté de ce cash flow enivrant concerne l’augmentation des prix. L’immobilier n’a jamais été aussi haut, au point qu’une bulle est en train de se créer. Le prix moyen d’un logement représente 15 fois le revenu moyen à Hong Kong. C’est pourquoi il y a quelques jours, la ville a été nommée la moins abordable au monde en termes de logement (Demographia International Housing Affordability Survey). Les Chinois du continent poussent le marché à prendre encore de l’ampleur et à se déconnecter de la réalité économique des locaux. Et ce n’est pas tout, car les mainlanders exercent une pression sur tous les types de ressources, des places de crèche aux lits d’hôpitaux en passant par le lait en poudre pour bébé. Depuis que plusieurs cas d’infection du lait en poudre ont eu lieu en Chine, les mamans viennent se ravitailler sur l’île. Hong Kong, une vache à lait. Du reste, aux yeux des Hongkongais, ces Chinois sont de nouveaux riches mal éduqués. Ils ne comprennent pas l’étiquette British de l’ancienne colonie. Ils ne font pas la queue, ils parlent fort, ils crachent, ils sont corrompus en affaires. L’administration chinoise a heureusement publié un “Guide pour un Tourisme Civilisé” afin d’apprendre à sa population comment se tenir à l’étranger. Avec leurs gros sabots, les Chinois deviennent petit à petit les rois de Hong Kong. On comprend en fait qu’il s’agit avant tout d’une blessure narcissique pour les locaux. Tandis que les Hongkongais se considèrent uniques, les mainlanders voient Hong Kong comme une ville parmi d’autres en Chine. Quoi de plus révoltant pour les Hongkongais ? Jusqu’à 1997 (date à laquelle Hong Kong est retombée sous la tutelle chinoise), ils voyaient les Chinois du continent comme des espèces de paysans grossiers; maintenant ils les voient acheter des biens qu’euxmêmes ne peuvent pas se permettre. La présence chinoise est finalement une humiliation.
Camille Azoulai (promo 2016)