DOSSIER SPECIAL CROSSWORLDS
On entend peu parler de la Chine en Inde. Seulement une fois dans une publicité pour une moto où deux militaires viennent planter un drapeau Indien en terre Chinoise. A l’université, le ton est donné, parmi les contingents d’étudiants étrangers ; Afghans, Iraniens, Coréens ; la Chine est la grande absente si l’on exempte les étudiants tibétains, plus réfugiés qu’étudiants. Pourtant ces deux piliers d’Asie sont liés par une histoire et un destin commun.
Une frontière et une histoire commune
L’amertume, ce fut probablement le goût laissé côté chinois par la nouvelle d’une mission spatiale indienne partie pour Mars il y a de cela deux mois. En effet entre ces deux pays émergents, la compétition fait rage. On a souvent tendance à considérer l’Inde et la Chine comme deux civilisations entièrement indépendantes, en oubliant la longue frontière commune qu’ils partagent, s’étendant de l’Assam à l’extrême Est de l’Inde jusqu’au Cachemire à l’extrême Nord. Une frontière discontinue due à la présence du Bhoutan et du Népal, pays nains encerclés par deux mastodontes. Dresser le portrait long. Les premiers contacts dont nous pouvons attester remontent au IIIe siècle avant notre ère et sont d’ordre commercial. Sur la millénaire route de la soie, qui trace une diagonale des civilisations de la Chine à l’Europe, l’Inde est le premier relais. Hormis ces contacts commerciaux, le bouddhisme a créé un second lien entre ces deux civilisations. Les pèlerins Chinois vinrent en Inde du IIIe au Xe siècle après J-C. Christ afin d’étudier. A partir du XVe siècle et les voyages du grand Zheng-He à dessein diplomatique, la Chine s’isola de son voisin.
« Hindu-Chine bye bye »
Plus tard, dans les années 1950, Nehru, cherchant lui aussi le soutien de l’URSS, admire Mao et ce qu’il croyait avoir accompli en Chine. Dans l’esprit du Pandit, les deux pays sont liés par leur résistance à l’oppression étrangère. A partir de 1962 pourtant, à l’admiration succède la détestation au son de « Hindu-Chine bye bye ». La guerre de 1962, déclenchée par la Chine afin d’encercler le Tibet se solda par une humiliation de l’Inde qui, en réponse, accueillit le Dalaï-Lama au nom de la protection et promotion de toutes les religions. Aujourd’hui encore, la Chine laisse faire, ravie que son voisin la déleste de ce fardeau et garde en réserve un moyen de pression de poids : trois barrages construits sur les affluents du Brahmapoutre qui lui donne tout pouvoir sur les réserves d’eau de l’Est de l’Inde ainsi que du Bangladesh.
La compétition économique, une question de fierté nationale
L’agression militaire n’est plus la menace première pesant sur l’un ou l’autre, mais c’est au G20 ou aux réunions des BRIC que les deux pays, derrière la façade protocolaire, s’observent en chien de faïence. La compétition économique est au centre de cette rivalité. En cela elle détermine la puissance politique du pays – mais prétendre qu’il y a concurrence sur le marché du low-cost n’est qu’une demi-vérité. Lorsque l’on pose la question à des Indiens, ceux-ci répondent, goguenards China, cheaper price, poor quality. Outre le coût de la main d’oeuvre, cinq fois plus élevés en Inde, les secteurs de prédilection sont différents : la puissance industrielle chinoise est sans commune mesure, mais l’Inde puise sa force dans les services, avec notamment des milliers d’ingénieurs. La pénétration du marché indien par les entreprises chinoises sur un grand nombre de produits de consommation a conduit certains chefs d’entreprises indiens a demander une ouverture progressive des frontières, mais reste que le sentiment général est à la peur et une pareille ouverture signerait pour beaucoup la fin de l’Inde. Est-il jamais arrivé dans l’Histoire que deux entités aussi puissantes résident côte à côte prenant ainsi en tenaille le reste de l’Asie ? La Chine communiste et autoritaire effraye, l’Inde démocratique rassure. Mais derrière cette guerre d’influence logiquement due à leur position respective, se cache un enjeu national. En tant qu’anciens pays soumis, la fierté de la Nation est un facteur à ne pas sous estimer dans la lutte feutrée que se livrent ces deux géants rivaux.
Paul Henry Schiepan (promo 2016)