Centre de réflexion économique de la CCI Paris-Ile-de-France, l’Institut Friedland, a exploré les enjeux de la compétitivité de l’enseignement supérieur français. Constat et préconisations, les experts ont rendu leurs conclusions le 22 février 2017. Pour Bernard Ramanantsoa, Directeur Général honoraire d’HEC Paris, se poser la question, c’est admettre qu’il y a un problème. Par Ambroise Le Corre
Qu’est-ce que la compétitivité de l’ESR en 2017 ?
L’ensemble de la salle acquiesce lorsque Franck Bournois, Directeur Général de ESCP Europe, affirme que la compétitivité est « la recherche conjointe, par plusieurs acteurs d’un même projet, de solutions pour aligner une stratégie de gestion sur la transformation d’un environnement. » Le tout en envisageant les moyens à mettre en œuvre pour s’adapter à ces nouveaux enjeux.
En 2017, la compétitivité est teintée d’international, même si, au niveau national, des disparités existent, notamment entre grandes écoles et universités. Les enjeux de cette compétitivité sont économiques, sociaux, mais aussi numériques.
Pour suivre les mouvements internationaux et rester compétitif, il convient de se poser les bonnes questions : qu’est-ce qui est nouveau, différent, mieux ? « Cela passe par un dialogue avec nos pairs, des échanges sur nos pratiques, pour s’inspirer des problématiques des autres », poursuit le DG de ESCP Europe. Les alliances sont une nécessité pour ne pas rester isolé dans un contexte difficile.
Offre d’enseignement supérieur française à l’étranger, doit mieux faire…
Un retard inquiétant
Le constat général est sévère : l’enseignement supérieur français est en perte de vitesse. La France s’appuie sur de très bons classements, notamment pour les écoles de commerce, mais les établissements supérieurs français sont de moins en moins bien classés. Conséquence : les étudiants étrangers sont moins attirés par la France, qui ne peut rivaliser avec les champions de l’attractivité, à commencer par les Etats-Unis.
Certains outsiders viennent concurrencer la France : Singapour, par exemple, mène une politique performante d’investissements pour attirer professeurs et étudiants. On constate par ailleurs un trop faible export d’étudiants français, que certaines écoles comme ESCP Europe s’efforcent de contrecarrer avec des programmes incluant systématiquement un cursus à l’international. Sans parler du virage du digital, où les années à venir seront capitales pour rester accrochés aux wagons de tête.
Soft power
Pour Franck Bournois, ce retard doit être comblé : l’enseignement supérieur incarne une diplomatie économique, un soft power, une démocratie éducative : « La gratification vient des étudiants, de leur épanouissement et de leur intégration dans les entreprises. C’est aussi ça, la compétitivité. »
Un enjeu d’Etat
Là encore, tous à l’IF Lab s’accordent à dire que l’Etat n’est pas étranger aux problèmes de compétitivité de l’enseignement supérieur français. Eric Cornuel, directeur général de l’EFMD, l’affirme : stratégie rime avec pérennité. Or, il évoque des « bêtises politiques sur la gestion des établissements supérieurs. ». Il y a des promesses, mais la concrétisation pêche souvent.
Plus encore, l’Etat ne va parfois pas au bout de ses efforts et investit de manière incohérente : la salle de l’Institut Friedland rit jaune en entendant Bernard Ramanantsoa parler du « sketch de Saclay » où le projet de ParisTech reste avant tout un dialogue de sourds. Il faudrait donner aux acteurs de l’enseignement supérieur l’opportunité de construire des pôles d’excellence avec une agilité suffisante pour être compétitifs.
La recherche, locomotive de l’ESR … et du pays !
Les discours des intervenants de l’IF Lab convergent sur l’importance cardinale de la recherche. « Il nous faut des champions de la recherche, qui tireraient vers le haut nos teaching institutions plutôt performantes. », avance Bernard Ramanantsoa. Franck Bournois va plus loin, érigeant en modèles des institutions comme le MIT de Boston ou l’EPF Lausanne : « La France ne suit pas le jeu mondial où les leaders sont des dieux de la recherche. » Si la recherche fait avancer l’enseignement supérieur, à plus grande échelle, elle contribue aussi et surtout à la compétitivité du pays et à sa croissance.
L’argent, nerf de la guerre
Un sujet revient sans cesse : comment se financer pour assurer la compétitivité de l’enseignement supérieur dans la durée ?
L’Etat se doit d’investir, mais semble réticent, comme en attestent la complexité et la lenteur des démarches pour obtenir des fonds publics pour la recherche. Bernard Ramanantsoa préconise une incitation positive où les fonds seraient en partie attribués au mérite.
Les frais de scolarité posent également problème. Si Bernard Ramanantsoa se méfie de leur baisse qui mène à une compétitivité malsaine par les coûts, Eric Cornuel souhaiterait faire payer ceux qui le pourraient et ne s’en offusqueraient pas : « Quand on voit MINES ParisTech où il y a presque un professeur pour deux étudiants, alors que les frais de scolarité sont quasi nuls, il y a un problème. D’autant plus que la quasi-totalité des élèves sont issus de classes sociales élevées. »
Enfin, les investisseurs extérieurs sont de plus en plus présents : « Le fund raising est une solution, mais il faut de vrais investissements : pas de simples opérations de communication », avance le DG honoraire d’HEC. Mais Eric Cornuel s’en méfie : externaliser les investissements, c’est prendre le risque de mercantiliser l’enseignement supérieur.