Plus qu’un état des lieux, c’est une urgence que souligne le rapport sur « L’enseignement supérieur français par-delà les frontières » remis par Bernard Ramanantsoa le 26 septembre 2016 au ministre Ayrault, au secrétaire d’Etat Mandon et au Commissaire général de France Stratégie, Jean Pisani Ferry. Pour s’imposer dans l’économie de la connaissance, il y a urgence à établir une réelle stratégie de déploiement de l’offre française à l’étranger. Par Ariane Despierres-Féry
Bien que forte de 37 000 étudiants, plus de 600 programmes et 140 implantations, l’offre française reste bien en deçà de son potentiel de déploiement.
De nouveaux marchés à capter localement
Les experts ont souligné un déficit dans la prise de conscience de l’urgence et de l’enjeu que représente notre projection internationale alors que la demande mondiale en formation bondit. Et ce n’est qu’un début. « ll y a déjà 200 millions d’étudiants dans le monde et ces effectifs vont doubler en 10 ans, précise Bernard Ramanantsoa. Mais l’immense majorité n’est pas mobile, il faut capter ces marchés localement. » L’avènement de classes moyennes couplé à leur développement économique, scientifique et industriel, induit une forte demande en personnel qualifié.
Offre française à l’étranger, les chiffres clés 2014-2015
37 00 étudiants
Dont 38 % en Asie, 28 % en Afrique et 18 % au Proche et Moyen-Orient
1 étudiant sur 5 vise l’acquisition d’un diplôme d’ingénieur
604 programmes proposés à l’étranger
140 implantations physiques délocalisées
138 formations à distance
+320 diplômes délocalisés
La réalisation de ce rapport a mobilisé Bernard Ramanantsoa et ses deux co-auteurs, Quentin Delpech et Marième Diagne ainsi que les équipes de France Stratégie durant près d’un an. 20 experts ont auditionné une centaine de personnes dans les établissements et les postes diplomatiques.
Deux ans après la parution d’un premier opus sur « l’internationalisation de notre enseignement supérieur sous l’angle de l’accueil des étudiants étrangers », Jean Pisani Ferry, Commissaire général de France Stratégie a souligné qu’il était temps de s’atteler à « déterminer comment valoriser et développer l’offre française d’enseignement supérieur à l’étranger. Pour cela, il fallait d’abord réaliser un état des lieux du déploiement de l’enseignement supérieur français à l’international. »
Un champion de l’international pour faire ses préconisations
Ce n’est pas un hasard si France Stratégie a fait appel à Bernard Ramanantsoa, l’homme qui a mené HEC Paris à un rang international, pour auditer le déploiement de l’enseignement supérieur français à l’étranger ; et surtout faire ses préconisations.
Un appel à l’action entendu
Agir, c’est également le mot utilisé par Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères et du Développement international et Thierry Mandon, secrétaire d’Etat chargé de l’Enseignement supérieur et de la recherche, tous deux présents à la remise de ce rapport, soulignant par là-même l’importance du sujet.
Pour le ministre, « ce rapport est un appel à l’action, car nous en avons les moyens. La France possède de nombreux atouts pour répondre aux mutations géographiques de l’économie du savoir. »
La France est la 3ème destination mondiale pour les étudiants étrangers dans le monde. « Nous avons passé le cap des 200 000 étudiants accueillis cette année » poursuit le ministre en ajoutant que lors de ses déplacements il « ressent une attente forte à l’égard de la France pour faire essaimer ses formations et établissements. » Pour le secrétaire d’Etat il en va même « de l’intérêt supérieur de la Nation. »
Les experts ont identifié 5 formes de l’offre française à l’étranger
2 offres collaboratives via un diplôme délocalisé ou avec un établissement associé
2 offres indépendantes par le biais d’un campus satellite ou d’une franchise
1 offre numérique via l’enseignement à distance (entièrement ou en blended learning/mixte).
Le rapport souligne également les nombreux atouts d’un développement prononcé de l’offre française à l’étranger
Pour les établissements cette offre est un levier pour
- Renforcer leurs marques et leur réputation
- Détecter de très bons étudiants, les attirer pour des cursus ultérieurs en France
- Renforcer les partenariats de recherche
- Capter une demande solvable/augmenter leurs ressources propres
- Faire connaitre notre système développe en retour la mobilité entrante
Pour l’Etat aussi l’effet de levier existe
- En tant qu’outil de diplomatie économique pour soutenir les firmes françaises engagées dans la concurrence mondiale
- En tant qu’outil de rayonnement scientifique et culturel (attractivité des enseignants et chercheurs de haut niveau / développement de liens avec les futurs leaders du monde)
- Une opportunité de répondre à une demande d’expertise en valorisant le système français
- Le ministre Ayrault a souligné un enjeu « de stabilité pour les pays du Sud en leur permettant d’enrichir leur offre de formation et de lutter contre la fuite des cerveaux. »
Comment faire mieux ?
« C’est d’abord une question d’opportunité, de savoir les identifier et les saisir de manière stratégique et systématique, répond Bernard Ramanantsoa. La clé c’est de voir se transformer une offre jusqu’ici guidée par l’opportunisme de nos établissements en véritable stratégie. » Pour passer de l’opportunité à la stratégie, il faudra dégager des moyens, professionnaliser les personnes qui gèrent ces déploiements dans les établissements et mettre en place un pilotage rigoureux de la stratégie globale.
Au-delà des opportunités il faut aller là où la demande est très forte. Ce que fait déjà la France en Chine (15 % de l’offre à l’étranger en effectifs d’étudiants). « Il faut aussi aller plus massivement en Inde, en Amérique Latine, en Afrique. Il ne faut pas non plus oublier les régions où la France a des intérêts stratégiques d’ordre diplomatiques ou industriels et scientifiques. »
Les freins à lever
- 70 % des diplômes français délivrés à l’étranger sont au niveau master et second cycle versus une offre majoritairement axée vers les bachelors pour ses concurrents. « Nous devons rendre notre offre conforme aux standards internationaux, insiste le directeur. L’enjeu n’est plus de savoir si l’on parle de licence ou de bachelor mais de se positionner sur un marché en forte demande de diplômes de bachelor professionnalisant. Nous ne devons plus uniquementnous focaliser sur la poursuite d’études. »
- Autre difficulté : les concurrents proposent des masters en un an, la France en deux ans. « Comment justifier que nous sommes les meilleurs, que nous recrutons les meilleurs étudiants et qu’il leur faut deux ans pour faire ce que d’autres font en un an ? » demande Bernard Ramanantsoa.
- L’offre concurrente est dispensée en anglais contre 2/3 seulement de nos programmes. Il faudra accepter de développer plus d’enseignements en anglais.
- La France accuse par ailleurs un retard dans l’enseignement à distance, largement déployé par ses concurrents (44 % de l’offre britannique).
- Les concurrents détiennent aussi les rênes des systèmes d’accréditation qui font référence dans le monde. « Nous devons nous positionner sur ce marché car il est fondamental de pouvoir justifier de manière reconnue et formelle de la qualité de nos programmes pour réussir à l’international » souligne Bernard Ramanantsoa.
- Le directeur préconise une autre mesure qui sera sans nul doute plus difficile à faire accepter. « Il faut enfin appliquer le décret qui permet aux établissements d’appliquer des frais de scolarité déconnectés de ceux qu’ils pratiquent en France dès lors qu’ils concernent des formations dispensées à l’étranger. » Une proposition sur laquelle le secrétaire d’Etat Mandon n’a pas manqué de réagir mais il a aussi souligné qu’il était prêt à engager la réflexion sur « les sujets qui dérangent comme les frais de scolarité, les bachelors, le master en un an, les cours en anglais.»
Etablir une stratégie de manière urgente certes, mais Thierry Mandon a tenu à préciser qu’il « faudra trouver un équilibre entre alignement aux normes internationales et préservation de l’identité du système français en tant qu’attrait et outil de différenciation. »