Céline Bardet : « les femmes ne sont pas des armes de guerre ! »

JURISTE AU TRIBUNAL DE LA HAYE, PUIS CHARGÉE D’ENQUÊTER SUR LES CRIMES DE GUERRE AU KOSSOVO ET EN BOSNIE, CÉLINE BARDET TÉMOIGNE DANS « ZONES SENSIBLES » (ÉDITIONS DU TOUCAN) DE SA QUÊTE DE JUSTICE ET DU COMBAT QU’ELLE MÈNE CONTRE LE VIOL EN TANT QU’ARME DE GUERRE. SA PREMIÈRE SUPPORTRICE ?… ANGELINA JOLIE. RENCONTRE…

Vous avez travaillé pour le tribunal de La Haye, puis l’avez quitté pour travailler « sur  le terrain », c’est bien cela ?
J’ai fait mon droit durant le conflit des Balkans et préparé mon mémoire de recherche sur un criminel de guerre « ordinaire ». Ce document fut lu par Claude Jorda, alors premier juge français au Tribunal de la Haye qui me proposa d’y venir en stage. Je suis ensuite devenue son assistante et suis restée deux ans au TPI. C’était passionnant mais j’ai alors été frappée par le fossé existant entre le « beau » tribunal international et une réalité du terrain qui demeurait ignorée, puisqu’au cours de cette période, personne ne s’est rendu sur place. « Comment juger ces gens sans rien connaître de leur quotidien ? » me demandais-je. Si le travail au TPI était essentiel, une étape manquait dans le processus et je pus ensuite constater la même chose exactement au Bureau des Crimes & Drogues de Vienne où je fus appelée : personne sur le terrain ! Il ne me restait donc plus qu’une seule chose à faire : y aller !

 

Quels dossiers vous ont le plus marquée ?
Je me suis d’abord vu confier une mission par l’OSCE sur les crimes de guerre commis au Kossovo où je devins la conseillère du ministre de la justice sur ce sujet ; puis en 2007, soit 12 ans après les faits, Raffi Gregorian m’appela en Bosnie pour travailler sur des crimes de guerre impunis. Sur place, voisinant à la terrasse d’un café avec des exécutants d’atrocités libres comme l’air, j’ai vérifié qu’en effet, rien n’était fait. Nous avons constitué une équipe et travaillé durant trois ans à monter des procès ; c’est là, lors de mon premier procès pour le viol commis sur une femme moralement détruite et qu’il m’avait fallu un an et demi à convaincre d’agir, en la voyant ressortir métamorphosée du tribunal et prononcer ces mots « ils m’ont crue ! » que j’ai compris toute l’importance de la justice rendue dans ce genre « d’affaires » : non pas la peine infligée, mais le sauvetage de la victime.

 

Votre vision idéaliste de La Justice a-t-elle résisté au choc de la rencontre avec ce que l’Humain est capable de produire de pire ?
Il y aurait tant à dire, mais soyons pragmatique : l’Humanité est capable du pire et je navigue dedans ; c’est un choix. De plus, quand on entre dans le détail, l’humain et les histoires personnelles, on constate que ces gens qui ont subi le pire sont souvent plus forts que le malheur et qu’ils font preuve, pour certains, d’une humanité et d’une dignité qui vous soufflent et vous donne une incroyable leçon de vie. Et puis, il y a des Justes partout. Alors, si mon idéal de la Justice s’en est trouvé relativisé, l’Humain, lui, en sort souvent grandi.

 

Pourquoi, à votre avis, les grands criminels sont-ils majoritairement des hommes ?
Je termine justement un livre sur les femmes criminelles de guerre et peux vous affirmer que celles-ci sont aussi ignobles et tordues que les hommes. Ensuite, c’est la même chose que pour les femmes dictateurs, les crimes de guerre sont mis en place à un niveau de pouvoir, politique, et ce sont donc – encore ! – les hommes qui sont majoritaires à ces « postes ».

 

ANGÉLINA JOLIE POUR MARRAINE !
Notaweaponofwar, (« Pas des armes de guerre »), telle est l’ONG créée par Céline Bardet au printemps dernier. Son but ? Récupérer des fonds pour travailler au niveau local, sur des projets personnalisés permettant de sortir du trauma et de leur statut de victime ces femmes violées lors des conflits. Appelée à la rescousse, Angelina Jolie a dit « oui, oui, oui » et aidé à lancer l’ONG à Londres, en juin dernier, répondant encore oui à Céline sur le projet de créer un réseau mondial des « survivantes » pour recueillir leurs témoignages. Envie de les aider ? rdv sur le site de l’ONG…

 

JB