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Bien appréhender le facteur culturel : un enjeu de respect et d’efficacité

L’aptitude à gérer la dimension culturelle est indispensable à tous les responsables évoluant dans une économie mondialisée. Quelles sont les clés de compréhension, les postures déployées par les dirigeants pour appréhender les leviers managériaux pour gérer des équipes, des entreprises, des partenaires et des marchés multiculturels ? Les réponses de trois expertes.

 

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Maîtriser la dimension multiculturelle, « c’est comme maîtriser l’anglais ou l’outil informatique, une compétence fondamentale de tout dirigeant au 21e siècle, affirme Eléna Fourès, spécialiste du leadership et de la gouvernance multiculturelle. L’acquisition de cette compétence présente néanmoins une difficulté : « parce que ce n’est pas une compétence facile à appréhender de manière rationnelle. »

Considérer la culture de l’autre
Certaines erreurs qui témoignent ainsi d’une lacune dans l’appréhension du facteur culturel (et donc de sa potentialité à être un levier lorsque bien utilisé). Eléna Fourès explique que « dire good morning en conférence téléphonique alors que compte tenu du décalage horaire il est 16h00 chez vos interlocuteurs est immédiatement traduit comme « la personne ne se préoccupe pas de nous ». C’est à la fois désagréable et contreproductif. Autre exemple, appeler un contact étranger un jour férié a pour conséquence qu’il se sent bafoué dans sa culture. » La manière de décider d’un manager peut heurter la culture de son vis-à-vis. « Dans ce cas, tout le monde souffre, les salariés heurtés et le manager qui a commis une erreur », constate Eléna Fourès. Pour contrer ces erreurs, certaines entreprises fournissent à leurs responsables des résumés culturels expliquant comme on décide, communique ou manage selon les cultures.

« On ne peut pas changer les données de culture des individus »
Moins une entreprise est ouverte sur le monde, plus elle est en danger sur les marchés internationaux. « Développer des compétences internationales, c’est être capable d’être efficace avec des personnes qui ne fonctionnent pas comme soi » résume Eléna Fourès. L’experte va plus loin : « les managers français sont imprégnés de l’histoire coloniale française qui véhiculait la culture de l’intégration, qui voulait que d’autres adoptent notre façon de faire. L’inverse de la conception anglaise, portugaise ou hollandaise. Cela se ressent aujourd’hui dans la difficulté que rencontrent certains responsables dans leur capacité à accepter l’autre dans son altérité. » Ne pas être mesure de comprendre comment fonctionne l’autre a des effets délétères sur les affaires : négociations ratées, perte de contrat, perte d’énergie à gérer des difficultés dont on ne comprend pas la source.

Savoir pour s’adapter La connaissance des cultures est primordiale car la culture « sert » à un groupe à fonctionner ensemble, c’est un accord commun sur la manière d’opérer, elle donne une identité à chacun.
« L’objectif est de savoir, car le problème vient souvent d’un défaut de connaissance, afin d’être en mesure de décoder les comportements et réactions liés au facteur culturel, souligne Eléna Fourès. On ne peut pas changer les données de culture des individus, il faut donc absolument les appréhender pour fonctionner de manière optimum dans d’autres régions du monde. »

 

Une étude franco-allemande de ESCP Europe étudie le degré d’ouverture internationale des dirigeants

L’étude a été menée par Béatrice Collin, Doyenne de la faculté et professeur de stratégie et de management international à ESCP Europe et son collègue du campus allemand, Stefan Schmid. Ils ont évalué les membres des Comex, conseils de surveillance et conseils d’administration des sociétés du CAC 40 et du DAX 30 sur 10 ans, selon plusieurs variables :
• La nationalité
• L’exposition internationale durant l’enfance
• Le nombre d’années d’études à l’étranger
• Les expériences professionnelles à l’international
• Les mandats aux conseils d’entreprises étrangères

Une nette internationalisation des profils
Il ressort entre 2002 et 2012 « une évolution majeure du niveau d’internationalisation des dirigeants et multicritères, observe Béatrice Collin. Ils se sont ouverts à l’international et à l’interculturel. » L’étude soulève des nuances entre les deux pays considérés. « Il existe une relative diversité de nationalités dans les entreprises du CAC 40 (20 à 25 % des dirigeants ne sont pas Français), alors qu’il y a très peu de non-Allemands au DAX 30. » Une différence notamment liée au fait que les Allemands mènent des carrières plus longues dans la même entreprise.

Exposés plus jeunes et plus longtemps
« Ces dirigeants sont de plus en plus internationaux dans leur exposition durant l’enfance, les études et la carrière. » Ils sont généralement partis en milieu ou fin d’études supérieures, de 1 à 3 ans. supplémentaire ou en MBA. « Il est intéressant de constater que leurs destinations sont très variées. » La partie qualitative de l’enquête révèle que les dirigeants considèrent que l’ouverture culturelle ne peut se faire qu’un minimum d’un an à l‘étranger que ce soit pour les études ou la carrière ; « sinon on reste dans la superficialité, le changement d’état d’esprit et l’appréhension de la culture ne s’opèrent pas. »

 

« La clé est l’attention à l’autre »

Existe-t-il une manière universelle de faire du business ?
L’aspect universel du business est de créer de la valeur pour son client au travers de services ou produits et en étant à l’écoute de ses attentes et besoins. Il existe aussi des comportements humains universels comme le besoin de s’identifier à un groupe, être motivé par son développement personnel. Mais les leviers de la motivation diffèrent selon les cultures.

Comment le dirigeant doit-il appréhender la dimension culturelle ?
Il appréhende à la fois les aspects universels et doit comprendre en finesse l’impact sur son business des différences culturelles. Nos récentes recherches montrent que la personne qui vit dans un pays qui présente un haut niveau de diversité sait plus naturellement la gérer et l’accepter à titre professionnel. Il en va de même si elle a une expérience diverse dans sa famille, par ses voyages, ses études, sa carrière.

Comment en tirer avantage ?
Comprendre ces nuances est une source d’innovation. Le management culturel permet de tirer le meilleur de chaque pratique, chaque point de vue. Dans une multinationale, si les gens se sentent reconnus et respectés dans leur culture, ils coopèrent. A défaut, ils se braquent. La question culturelle prend ainsi une ampleur plus ou moins grande selon la manière dont elle est abordée. Or, l’objectif de l’entreprise est d’opérer efficacement. Le rôle du dirigeant est donc d’évaluer comment la dimension culturelle peut être un levier d’efficacité.

Quelle est la posture managériale pour appréhender le multiculturel ?
C’est l’état d’esprit et la posture dans lesquels vous êtes qui vous permettent ou non, de vous ouvrir à d’autres cultures. La clé est l’attention que l’on porte à celui avec lequel on travaille. La recherche nous dit que faire la cartographie d’une culture différente est efficace. On commence en identifiant les points de convergence, on évite ainsi le stéréotype et de tomber dans le jugement. Puis, on identifie et prend effectivement en compte ce que cela implique pour faire du business, on fait du rapprochement (bridging). La seconde chose essentielle est ce que j’appelle le « stop and pause ». Lorsque l’on ressent quelque chose que l’on ne peut expliquer, il faut stopper, demander pour clarifier la situation. Car le cerveau fait naturellement des suppositions, des raccourcis qui peuvent conduire à l’erreur.

 

A. D-F