Le Grand Entretien : Loïck Roche, directeur de Grenoble Ecole de Management
Le numérique apparait à la fois comme un bouleversement et une opportunité inédite pour les établissements d’enseignement supérieur. S’en sont-ils emparés ? Pas encore pour Loïck Roche, directeur de Grenoble Ecole de Management et président du Chapitre des écoles de management de la CGL. Entretien.
Les établissements ont-il fait leur révolution numérique ?
La majorité regarde encore vers le passé et y reste ancré. Les écoles sont dans la phase d’expérimentation des outils numériques comme un écran interactif ou une plateforme, un MOOC ou un cours à distance.
« Les choses sérieuses n’ont pas commencé. La bascule adviendra inévitablement, demain, dans 5 ou 15 ans et elle passera par une réflexion de fond. »
Où en est la réflexion sur l’impact du numérique sur vos métiers et missions ?
Une réflexion avec suffisamment d’épaisseur et dépassant la simple réaction à la transformation numérique fait défaut. Jusqu’ici nous avons raisonné sur « que faire avec les outils du numérique ». Il faut une réflexion pour aller plus loin et plus vite. C’est indispensable car cela correspond aux attentes et enjeux des étudiants, de la société, de l’économie. Notre devoir est d’assurer la compétence de l’étudiant dans un contexte où il devra répondre à des problèmes qui n’existent pas encore. Nous devons imaginer quelque chose de nouveau pour pouvoir le garantir. Les technologies sont tellement développées que leurs potentialités sont en avance sur ce que nous pouvons imaginer en faire.
« Il n’existe pas d’école de pensée sur ce que serait un enseignement idéal, tirant tout le potentiel du numérique. »
Y a-t’il d’autres freins à lever ?
Les règles sont mal adaptées aux usages du 21e siècle. Par exemple, elles imposent qu’un étudiant en année de césure suive 200 heures de cours en présentiel ! Comment faire s’il est à Singapour ? Autre exemple, le cadre imposant un nombre d’heures en présentiel devant un professeur, de tel statut, pour délivrer un diplôme, est dépassé et bloque notre usage des MOOC. Un autre frein est humain. Certains professeurs ne souhaitent pas faire évoluer leurs méthodes pédagogiques. De la même manière, des étudiants veulent face à eux des professeurs.
Des exemples de ce que vous faites à GEM ?
Nous avons pris le virage des MOOCs, des enseignements de qualité à distance. Nos 5 MOOCs ne remplacent pas des cours, ils viennent en plus, sur des thèmes comme la géopolitique. Nous nous appuyons aussi sur des MOOCs que nous n’avons pas créés, par exemple pour aider nos AST à se renforcer en mathématiques ou marketing. Tout ce que nous proposons à distance pour nos sportifs de haut niveau étudiants (cours, vidéos, coaching par des professeurs) peut être utile à d’autres élèves (maladie, situation de handicap, séjours à l’étranger…) Tous nos enseignements de 3e année sont accessibles en ligne. Nous avons généralisé les cours de codage dans la lignée de notre partenariat avec Grenoble INP et notre positionnement sur le management technologique depuis 1984. Autre axe : 25 % de nos élèves ont envie de créer leur entreprise. Ils ont compris que les technologies sont un formidable levier pour cela. Nous les accompagnons dans leurs projets.
Quel impact a la perception des élèves du numérique sur l’école ?
Ils attendent toujours plus de vitesse, d’avoir accès à un maximum de ressources où qu’ils soient. Ils veulent tout pouvoir faire depuis leur portable. C’est un enjeu organisationnel, technologique et pédagogique pour nous. Plus que d’être face à un professeur, ils expriment un besoin d’être ensemble. A l’ère du numérique, nous avons ouvert l’école 7 jours sur 7 depuis 3 ans. Chaque dimanche 1 000 étudiants s’y retrouvent, pour travailler côte à côte ou sur un projet commun, quitte à être en même temps connectés aux réseaux sociaux ! Nous devons accepter de faire confiance à nos élèves pour aller plus loin en dehors de cours, grâce à un accès universel aux ressources et connaissances, et revenir avec des questions, des propositions et problématiques à nous soumettre.
« Les établissements doivent accepter une zone d’impuissance comblée par les gens qu’ils forment ! »
A.D-F