Une pause s’impose… Zoom sur l’année de césure

Découvrir le monde de l’entreprise, confirmer ou infirmer une vocation, réaliser un projet personnel… L’année de césure est parfois tout cela à la fois. A l’heure où chacun s’interroge sur son orientation, on ne s’étonnera pas qu’un tel programme attire de plus en plus de candidats ! Entre surprises, doutes et ajustements, que peut-on attendre de cette année souvent « entre-deux » ? Retour sur cette période par ceux qui l’ont vécue.

Premier catapultage dans le monde du travail
« Quand tu arrives en césure, tu ne sais pas trop où tu mets les pieds », confie Pierre, étudiant à ESCP Europe : derrière soi, une à deux années étudiantes, souvent festives et riches en occupations. En perspective, une période libre et sur-mesure, pour faire ce que bon nous semble… Avec en tête, une question récurrente : qu’ai-je vraiment envie de faire ? Dans ce contexte, la plupart des étudiants débutent naturellement leur césure par une première expérience longue en entreprise. Cette immersion réserve déjà quelques surprises : « En césure, j’ai eu l’impression de revenir un peu sur terre, raconte Charlotte, étudiante en dernière année à Centrale Paris. En école, on nous monte un peu la tête en nous racontant qu’on est l’élite de la nation : quand tu arrives en entreprise, tu te rends compte que tu ne connais rien et tu te retrouves à la base. » Envoyée en Italie pour améliorer les flux de production dans une usine de chaussures, Charlotte ne s’attendait pas à un tel décalage entre la théorie et la pratique. « Tout ce que j’avais appris à l’école, je ne pouvais pas l’appliquer à la situation réelle. Il fallait faire beaucoup de relationnel, et j’ai davantage appris en management que ce à quoi ma mission me destinait. »

Autre champ de mines : les us et les coutumes régissant les relations professionnelles. Etudiant à Telecom ParisTech, Quentin confie avoir ressenti un certain malaise au début de son stage : « En cours, quand tu passes du temps avec quelqu’un, ça devient naturellement un ami, explique-t-il. Alors qu’on peut passer la journée avec ses collègues, sans qu’aucun lien ne se crée… » Pour lui, ce décalage tient aussi à l’étendue des âges et à la diversité des profils représentés en entreprise. Un environnement qu’il juge finalement enrichissant aujourd’hui, mais auquel il avoue avoir mis du temps à s’adapter… « En entreprise, on découvre un certain nombre de codes de conduite qui modifient un peu notre rapport au travail », confirme Nicolas, étudiant à ESCP Europe.

 

L’orientation en question
Ces premiers mois en entreprise peuvent parfois laisser place à une certaine désillusion : tel secteur ou telle activité, idéalisés pendant nos études, ne nous correspondent en fait pas du tout. « Au départ, je voulais faire du génie industriel, atteste Charlotte. Mais ma première expérience en usine m’a fait réaliser que je préférais avoir une vraie expertise technique à apporter dans mon travail. » Ce constat lui a notamment permis de se réorienter vers les Mathématiques appliquées pendant sa deuxième partie de césure, et de choisir son option de spécialisation en connaissance de cause pour sa dernière année d’étude. Même expérience pour Nicolas, qui souhaitait en début de césure se spécialiser dans le milieu du cinéma : « Mon premier stage m’a ouvert les yeux sur les réalités du milieu en France. Je ne voyais plus de débouchés pour moi dans ce monde-là, politisé, bureaucratique, où le réseau compte finalement plus que l’expérience. »

Essayer un métier puis en tenter un autre, sans enjeux stratégique sur sa future carrière : voilà donc l’énorme avantage de l’année de césure, qui accorde le droit à l’erreur et permet d’explorer plusieurs métiers pour affiner ses choix d’orientation. « Une fois que tu es sur le marché du travail, tu ne peux plus changer de job tous les 6 mois ! Résume Pierre. Cette césure m’a sûrement évité une future crise de la quarantaine… » Dans une situation moins confortable, davantage livré à soi-même et plus sensible aux questions d’orientation, cette période permet donc une prise de recul qui influence considérablement sa dernière année d’étude. L’occasion, d’après Charlotte, de devenir davantage acteur de son projet : « Je trouve que les cours en France nous infantilisent beaucoup, on nous encadre tellement que l’on n’a pas à se poser de questions…» Même constat pour Quentin, qui aborde sereinement son retour à Télécom ParisTech : « En première année, tu te demandes pourquoi tu es là, tu subis un peu les choses. En dernière année, tu sais ce que tu souhaites retirer de tes cours, que tu relies beaucoup plus facilement à des situations pratiques. »

 

Sortir des sentiers battus
N’oublions pas ceux-là pour qui la césure est l’occasion d’aller plus loin encore, de concrétiser un projet fou ou un rêve de longue date. Peut-être ne sont-ils pas les plus nombreux : mais la détermination de leur démarche inspirera plus d’un à sauter pas à son tour.
Ainsi Gilles et Guillaume ont-ils décidé d’entreprendre pendant un an un voyage à la rencontre des pêcheurs traditionnels autour du monde : « J’ai toujours été un bon élève qui suivait des chemins tous tracés, raconte Gilles, étudiant en double diplôme à l’X et HEC. Partir voyager était une manière de me prouver que je pouvais faire les choses différemment. » Aussi n’ontils pas lésiné sur les moyens : sponsorisés par quelques entreprises et suivis par un magazine de pêche spécialisé pendant leur périple, les deux étudiants travaillent depuis leur retour sur un livre relatant leurs aventures. Même parcours pour Cyrille, président de l’association Vidéaux : en compagnie de deux camarades, c’est avec le projet de réaliser des films institutionnels pour plusieurs ONG à travers le monde que cet étudiant d’HEC s’en est allé avec son sac à dos. « Partir voyager devrait être mille fois plus conseillé et soutenu pendant les études, atteste-t-il. Sortir de sa zone de confort, prendre à bras-le-corps un projet et le défendre devant les entreprises, s’adapter au contexte et aux besoins dans chaque pays, est extrêmement formateur. »
Ces voyages supposent par ailleurs un énorme travail de préparation en amont, de la définition de son projet à la recherche de sponsors : Cyrille s’est ainsi formé à la vidéo pendant un an et demi, avant de se lancer dans une telle entreprise… Mais pour lui, le jeu en vaut largement la chandelle : « Au bout de deux mois, tu as vu et appris tant de choses que ta précédente vie semble être à des années lumière ! », confie-t-il. Son rêve aujourd’hui ? Développer l’association en France puis à l’étranger, qu’il continue à diriger en parallèle de ses études.

Si le voyage est une option, de beaux projets voient également le jour en France, portés par d’autres étudiants partageant ce goût du challenge. Pierre s’est ainsi exclusivement consacré à la rédaction et à la promotion de son livre Secret d’Admis les premiers mois de sa césure, un défi qu’il lui tenait à coeur de relever : « J’ai été assez surpris par tous les aspects polyvalents qu’il y a dans l’édition d’un bouquin, des enjeux juridiques à sa distribution, explique- t-il. Je ne me croyais pas capable d’écrire et de commercialiser un livre, et j’ai été surpris que ça marche aussi bien. » L’ouvrage, destiné aux élèves de classes préparatoires, se veut être un recueil de conseils et d’astuces pour les étudiants. Un an après, Pierre reçoit encore, non sans émotions, les messages de remerciement des élèves ayant acheté son livre… « Il y a beaucoup d’autocensure, des choses qu’on imagine impossibles ne sont pas si difficiles si on s’en donne les moyens », témoigne-t-il avec recul.

Quentin a quant à lui décidé de consacrer la deuxième partie de sa césure à un projet musical qu’il souhaite concrétiser depuis longtemps : avec quatre autres musiciens semi-professionnels, il développera pendant cinq mois son groupe de fanfare électro-balkanique : « Il me reste 6 mois pour faire ce que j’ai envie, raconte-t-il. Grâce à l’argent que j’ai mis de côté pendant mon premier stage, je n’ai pas de contraintes financières, ni de famille, ni de doutes sur l’avenir : c’est une liberté assez exceptionnelle, qui n’arrive pas si souvent dans une vie… »

Vous l’aurez compris : il existe autant de possibilités de césure qu’il y a d’étudiants. Difficile donc de tirer quelques généralités sur cette année, donc la spécificité tient justement au fait qu’elle soit sur-mesure… Après autant de témoignages aussi personnels et variés, vient pourtant le moment de conclure : moi-même étudiante sur ma fin de césure, que puis-je ajouter qui n’ait pas été dit ?

Cette année de liberté, nous la façonnons d’une certaine manière à notre image. Après deux années d’études hors du temps, on y confronte ses attentes à la réalité, qui nous renvoie naturellement quelques surprises. Mais le plus important, en fin de compte, est peut-être la manière dont nous nous ajustons à ces moments de doutes inattendus. Certainement, notre façon de réagir nous aiguille, et en dit long sur nous : nous apprenons à ces occasions quels sont les compromis que nous sommes prêts à faire, et les choses que nous ne souhaitons pas sacrifier ; ce dont nous avons véritablement besoin pour donner du sens à notre travail, et les priorités à établir en conséquences… Evidemment, certaines questions restent encore en suspens. Mais la conscience plus tranquille, nous pouvons laisser partir les trains qui ne sont pas faits pour nous.

 

Quelques conseils des étudiants pour bien aborder la césure :
Ne pas se mettre la pression : c’est le moment de poser toutes les questions, et de commettre certaines erreurs si nécessaire, pour en apprendre le plus possible !
Charlotte, Centrale Paris
Rester super positif quoi qu’il arrive : garder en tête qu’il y a quelque chose à tirer de toute expérience, et que les plus difficiles sont souvent celles qui nous apprennent le plus.
Charles, IESEG School of Management
En stage, ne pas laisser traîner un problème : oser s’affirmer et solliciter ses collègues si nécessaire. Quentin, Telecom Paris Tech
Ne pas hésiter à tenter des choses très différentes !
Pierre, ESCP Europe

 

Alizée Gau