« Je suis un chercheur ; je ne suis pas capable de parler de tout et n’importe quoi. » – Jean Tirole, Prix Nobel de l’Economie, dans un entretien à Canal Plus

LE RECRUTEMENT DES MEILLEURS ENSEIGNANTS-CHERCHEURS EST UN DÉFI AUQUEL TOUTES LES ÉCOLES DE MANAGEMENT SONT CONFRONTÉES. LES RESSOURCES DE TEMPS ET D’ARGENT QUI Y SONT CONSACRÉES SONT SIGNIFICATIVES, ET LA CONCURRENCE EST FÉROCE. CEPENDANT, IL RESTE NÉCESSAIRE DE SE POSER LA QUESTION SUIVANTE :
Pourquoi recruter des jeunes doctorants issus des universités américaines mais qui, selon un mythe tenace, frémiraient de peur devant une classe de première année ou encore pourquoi recruter des chercheurs internationaux qui ont déjà une très bonne réputation académique mais qui – là encore selon une croyance répandue – vivraient enfermés dans leur « tour d’ivoire » ?

La réponse, même si elle nous semble évidente, mérite d’être rappelée. La création de savoirs par les enseignants-chercheurs constitue la première étape d’un cercle vertueux et certainement un prérequis pour atteindre l’excellence dans l’enseignement supérieur :

ETAPE 1 : Par biais de la recherche, ces enseignants- chercheurs dissèquent les faits derrière les opinions tenues pour absolues. Ils analysent le monde et proposent de nouvelles hypothèses qui l’expliquent. Ils considèrent à la fois les connaissances acquises et notre capacité à remettre ces connaissances en question.

ETAPE 2 : Appuyés de leur expérience, les bons chercheurs créent des enseignements de pointe, avec des matériaux pédagogiques actuels et pertinents, contribuant ainsi à créer un environnement d’apprentissage riche et toujours renouvelé.

ETAPE 3 : La réputation internationale de l’institution comme lieu d’expertise, de réflexion et de production de nouvelles connaissances attire les meilleurs élèves et de nouveaux enseignants chercheurs en quête d’un environnement intellectuel fait d’hommes et de femmes brillants et renommés dans leurs disciplines et champs d’expertise.

ETAPE 4 : L’excellence académique se reflète dans le placement des élèves dans le monde professionnel, avec de très bons élèves qui décrochent des emplois prestigieux dans les entreprises ou qui produisent leur marque dans la société civile.

ETAPE 5 : Au fil du temps, l’institution construit de l’expertise, de la crédibilité et de la réputation tant dans le milieu académique que dans le milieu professionnel. Ces attributs sont essentiels pour trouver les ressources nécessaires pour financer la recherche auprès des Alumni, des entreprises, de l’État et des organismes internationaux, fermant ainsi le cercle vertueux.

Plusieurs objections peuvent être mentionnées à l’égard de ce modèle
Un mythe coriace prétend que les « purs » enseignants-chercheurs sont moins performants dans la salle de cours que les professionnels « praticiens ». Notre analyse à l’ESSEC montre que cela est loin d’ être le cas, y compris dans les formations orientées vers des publics exigeants comme les cadres supérieurs.

La citation de Jean Tirole au début de cet article illustre pourquoi :
L’apport d’un chercheur s’appuie sur la conceptualisation et la généralisation. Pour caricaturer, il ou elle doit avoir le courage et la légitimité de dire aux étudiants « nous ne savons pas si le fait A est vrai ou pas ». L’apport du praticien s’appuie sur le vécu et la pratique, et donc nécessairement sur le contexte d’un ou plusieurs cas particuliers. Les deux visions sont complémentaires et nécessaires à une expérience éducative approfondie.

Il est aussi courant d’entendre que la recherche académique est publiée dans des revues obscures à usage exclusif d’un petit nombre de spécialistes. Elle est mal connue, « trop théorique », et donc inutile.
Même si les enseignants-chercheurs doivent aussi s’interroger sur leur capacité à être compris de tous, ce raisonnement ignore que la recherche est une affaire de long-terme : les résultats « incompréhensibles » d’aujourd’hui seront les bases pour les développements de demain.

Un exemple parmi d’autres :
la théorie des nombres (la branche des mathématiques qui s’occupe des propriétés des nombres entiers) a été longtemps considérée comme un champ de connaissances infructueux, car trop analytique et éloigné du monde réel. Mais aujourd’hui le commerce sur internet serait impossible sans ces connaissances, tellement la cryptographie (nécessaire pour faire des transactions sécurisées) et les algorithmes (essentiels dans tous les ordinateurs) en dépendent.

La recherche constitue un investissement sur le long terme. Nous sommes convaincus à l’ESSEC que cet investissement est inévitable si une école vise à rester pertinente dans le paysage éducatif dans les 20, 30 ou 50 années à venir au niveau tant national qu’international.

 

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© Les Chics Types

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Par Vincenzo Esposito Vinzi, Doyen des Professeurs de l’ESSEC Business School
et José-Miguel Gaspar, Directeur de la Recherche à l’ESSEC Business School