A découvrir : la startup InSpek. Intégrée à la pépinière X-Tech de la Direction de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation de l’Ecole polytechnique, elle est spécialisée dans la biotech. Interview de Jérôme Michon, son cofondateur et CEO.
Jérôme Michon, pouvez-vous commencer par nous raconter votre cheminement vers l’entrepreneuriat ?
Pendant ma scolarité à l’École Polytechnique (X11), j’ai commencé à m’intéresser à tout ce qui concernait les puces électroniques et optiques. Au cours de mon doctorat au MIT, mon sujet de thèse portait sur la photonique intégrée et la manière de faire des circuits optiques sur puce, après être tombé sur cette technologie avec un collègue de laboratoire. C’est ainsi que nous avons eu l’idée d’InSpek. J’ai ensuite été post-doctorant pendant deux ans afin de travailler à plein temps sur notre technologie, réfléchir au business et trouver des financements. En septembre 2021, nous avons rejoint le programme de maturation technologique X-Tech du Centre Entrepreneuriat et Innovation de l’École polytechnique. A l’époque, j’avais contacté énormément de structures d’accompagnement, et la DEI était la seule à cocher toutes les cases (locaux, proximité avec les laboratoires, matériels optiques…).
A quel besoin répond votre startup InSpek ?
InSpek s’inscrit dans le mouvement de l’industrie 4.0 qui apporte des pistes d’amélioration à l’environnement global de production. Dans le cas d’InSpek, nous nous adressons surtout aux industriels utilisant des réactions chimiques ou biochimiques. En particulier la pharmaceutique et les biotechs, notamment parce qu’elles développent des molécules très chères, nécessitant une optimisation de leurs processus de production. Ces réactions, au cœur de plusieurs procédés, nécessitent d’être mieux caractérisées, de mieux les comprendre pour mieux les maitriser : c’est ici qu’InSpek intervient. Grâce à sa puce de détection biochimique, Inspek permet à ses clients de diminuer les erreurs et d’optimiser leurs rendements et leurs processus de production. L’innovation se trouve pour l’instant sur le hardware, mais l’interprétation des données recueillies par nos capteurs est essentielle. Nous misons dessus à terme.
L’atout différenciant d’InSpek par rapport aux capteurs existants ?
Il existe effectivement une pluralité de capteurs à détection chimique. Plus précisément, il y a aujourd’hui deux grandes catégories de capteurs : les capteurs peu coûteux et faciles à utiliser mais analysant un seul paramètre chimique, et d’autres capteurs très performants mais très coûteux (parfois plusieurs centaines de milliers d’euros !), difficiles à intégrer dans la chaîne de production. Chez InSpek, nous essayons de proposer une solution polyvalente à mi-chemin entre ces deux grandes catégories. Une solution versatile répondant à la vaste majorité des besoins, tout en étant facile à intégrer et peu coûteuse.
Quelles technologies constituent votre solution ? Que se cache-t-il notamment derrière le terme de « photonique intégrée » ?
La « photonique intégrée » correspond à la fabrication et l’intégration de puces optiques, du même type que les puces traditionnelles que l’on retrouve dans nos ordinateurs ou nos téléphones, mais celles-ci utilisent la lumière plutôt que l’électricité. La photonique intégrée nous intéresse du fait de la miniaturisation qu’elle rend possible et du bas coût de la production industrielle de ce genre de puces. De plus, la lumière est bien plus concentrée à la surface de la puce et interagit donc mieux avec la matière, permettant une meilleure détection chimique. Plus précisément, la lumière est guidée à la surface de la puce dans un fil optique, et au fur et à mesure que la lumière est guidée, elle réagit petit à petit avec la surface extérieure où le produit chimique est présent. On peut alors créer un chemin optique d’interaction de plusieurs dizaines de centimètres entre la lumière et les produits chimiques à la surface d’une puce millimétrique, permettant de détecter et d’analyser toute sorte de réaction chimique avec beaucoup de précision.
Comment s’est déroulée votre R&D ?
La startup InSpek n’est évidemment pas la seule à travailler sur ce genre de technologies photoniques. Nous nous sommes basés sur des travaux existants. Nous avons en revanche démocratisé la spectroscopie Raman sur des puces produites de façon industrielle. Ce brevet en question appartient au MIT, dont nous avons une licence exclusive. Le reste de la R&D s’est principalement concentrée sur l’optimisation des puces et des composants pour avoir la meilleure efficacité possible.
Vos puces ne sont-elles utilisables que par des industriels ?
Nous avons dans l’idée de faire utiliser nos puces par des particuliers. Non en les leur vendant directement mais plutôt en les intégrant dans de l’IoT d’objets quotidiens et dispositifs médicaux, comme les smartwatch ou encore les outils d’analyse dans les hôpitaux et laboratoires médicaux. Nous pensons qu’InSpek a une réelle carte à jouer dans la consommation de masse et dans la Medtech.
Il y a quelques semaines, vous annonciez un premier tour de table de pré-amorçage avec Quantonation, le fonds de soutien aux startups spécialisées dans les technologies quantiques.
La problématique derrière ce financement est évidente : développer du hardware coûte très cher ! Pour avoir un process industriel ayant du sens en tant que preuve de marché, il nous fallait des capitaux et des sous-traitants industriels. Quantonation, que j’ai connu huit mois avant la création d’InSpek, a une appétence toute particulière pour les nanotechnologies, l’optique et la micro-ingénierie. Il était donc évident pour nous de les approcher pour effectuer ce premier tour de table.
En plus du Drahi-X Novation Center avec X-Tech, vous avez des partenariats avec le MIT et Agoranov. Qu’est-ce que ces partenaires vous apportent ?
Nous travaillons avec le MIT avant tout parce qu’ils ont le brevet de la technologie ! Ils nous ont aussi beaucoup aidé avec du financement interne et des bourses de recherche à visée entrepreneuriale. Maintenant, le rôle du MIT, et aussi d’Agoranov, est davantage un rôle de conseil et de mise en contact. Pareil pour l’École polytechnique avec le programme X-Tech : ils nous aident à trouver les bons interlocuteurs industriels, des clients potentiels, mais aussi d’accéder à des outillages industriels de pointe… Ce genre d’accompagnement est crucial pour nous.
Quelles perspectives se dessinent pour la startup InSpek ?
Nous avons des clients intéressés par le produit. L’idée est de leur fournir un prototype fonctionnel dans les 6 mois à venir pour qu’ils puissent l’utiliser, nous faire des retours utilisateurs, afin d’itérer ensemble sur une version encore plus aboutie que l’on pourrait vendre à plus grande échelle dans les 18 à 24 mois. Nous comptons embaucher 10 à 15 personnes d’ici là : des ingénieurs en optique, des chimistes et biologistes, des mécaniciens, des développeurs, des commerciaux… Tout ce qu’il faut pour monter une vraie entreprise !
Où vous voyez-vous, InSpek et vous, dans 5 ans ?
J’espère que nous aurons réussi à nous établir en tant que partenaire de confiance auprès des acteurs industriels pour leurs besoins analytiques. Nous serons alors en position favorable pour s’adresser à des secteurs plus massifs. A l’avenir, nous allons nous développer horizontalement en attaquant d’autres marchés, mais aussi verticalement en étendant notre gamme de services et outils dédiés aux industriels. La polyvalence de notre puce annonce des perspectives très larges.
Selon vous, quels sont les enjeux de la biotechnologie dans les prochaines décennies ?
L’un des enjeux majeurs de la biotechnologie est la durée du développement des procédés biochimique : une contrainte mise en lumière par la période Covid. En moyenne, la mise sur le marché d’un médicament nécessite 3 milliards de dollars et 10 ans de développement. Grâce au nouveau genre de puce que nous développons, on peut imaginer une production médicamenteuse bien plus flexible, permettant la production de petites séries de médicaments, modifiées à la volée au plus près du patient pour une plus grande efficacité. J’imagine déjà des mini-unités de production de médicaments, plus adaptables et plus rapides que les grosses infrastructures que l’on connait. Je pense (et j’espère !) que notre startup InSpek participera à la révolution de la production biochimique des prochaines décennies.
En partenariat avec le centre d’entrepreneuriat de l’Ecole polytechnique, Monde des Grandes Ecoles et Universités donne la parole à des entrepreneur.e.s qui ont bénéficié de leurs programmes. Ces femmes et ces hommes, dont vous découvrirez les entreprises dans les prochains mois, auront carte blanche pour évoquer un sujet qu’ils souhaitent mettre en avant.