Les atouts de Sciences Po sont-ils en train de s’effacer derrière l’instabilité et les polémiques ? Peut-on encore recruter un profil Sciences Po sans se poser de questions sur son recul critique ? C’est le débat que nous avons ouvert avec Luis Vassy, à la tête de l’institution de la rue Saint Guillaume depuis septembre 2024.
Faisons d’abord un point sur le climat à Sciences Po depuis votre arrivée. Sur quoi repose la méthode Vassy ?
La méthode et le cadre sont simples : liberté d’expression oui, intimidation non. A Sciences Po, la liberté d’expression est garantie, la vie associative, intellectuelle, culturelle et sportive y est foisonnante, et ça fonctionne très bien. Mais il est parfois nécessaire de rappeler le cadre de cette liberté : on ne peut pas imposer son point de vue par la force du nombre ou l’intimidation, au détriment de la liberté d’expression des autres. C’est un cadre démocratique compris par une écrasante majorité de nos étudiants car Sciences Po, c’est l’école de la démocratie. Je suis convaincu qu’on ne peut faire des SHS de manière authentique que si la liberté d’expression et la liberté académique sont garanties à tous.
Quels sont les essentiels de votre feuille de route cette année ?
Sciences Po est un établissement qui combine profondeur intellectuelle, créativité et excellence. De par son nombre de partenaires internationaux, elle a un impact mondial inégalé parmi les universités françaises. Ses 28 % de boursiers, font d’elle une institution sans équivalent pour un établissement aussi sélectif. Voilà le socle de stabilité sur lequel nous voulons construire et repenser la matrice intellectuelle de Sciences Po au regard des enjeux du présent. Car Sciences Po est une école de la contemporanéité qui forme les futurs dirigeants à affronter ces enjeux. De fait, nous allons intégrer dans nos enseignements plus de climat, plus de sécurité internationale et de conflictualité, plus d’Europe, plus de numérique… Nous lancerons ainsi par exemple un groupe de travail sur la thématique IA et pédagogie avec Columbia en septembre prochain et nous venons de rejoindre un consortium avec OpenAI pour mener des projets de recherche sur les impacts de l’IA sur la démocratie.
Sciences Po forme-t-elle toujours les élites ?
42 % de nos étudiants de Bachelor ont eu mention Très bien avec Félicitations du jury au bac, et font donc partie des 1.8 % meilleurs bacheliers généraux. Par ailleurs, la première étape de la réforme des admissions – qui réduit le poids du contrôle continu et augmente le coefficient du bac écrit de français – va sans doute nous amener à resserrer encore ce recrutement. De fait, un employeur raisonnable ne peut pas se dire qu’il va se couper d’étudiants puisés dans les tous meilleurs talents du pays ! Nos dernières enquêtes confirment d’ailleurs la bonne insertion de nos étudiants sur le marché du travail, que ce soit en termes de temps de recherche ou de rémunération par exemple.
L’ouverture d’esprit et l’esprit critique sont-ils toujours les atouts des Sciences Po ?
A l’esprit critique, je préfère la notion de distance critique, qui définit mieux cette capacité à interroger les sujets à 360° par des approches différentes et non par une critique ponctuelle. Cette distance critique est une qualité positive chez les leaders mais elle requiert, d’abord, un socle intellectuel solide. Et c’est justement ça que nous apportons à nos étudiants. C’est un chemin extrêmement exigeant sur lequel Sciences Po entend mener ses étudiants. En un mot, recruter un diplômé de Sciences Po c’est la garantie d’accueillir une personnalité à la fois experte et capable de naviguer sur de très nombreux sujets. Des qualités rendues indispensables dans un monde de plus en plus complexe.