Repères historiques
Dès 1938, la photographie fut introduite en Chine par l’arrivée de photographes européens. Elle ne tarda pas à se répandre en Chine intérieur depuis les studios de la côte, et à la fin du XIXe siècle on trouvait des studios dans la plupart des grandes villes chinoises, où chacun pouvait se faire tirer le portrait. La photographie trouva rapidement une fonction informative, avec son utilisation dans les journaux, et historique, avec les photographies des grands personnages, des conflits, de la vie des villes. Considérée comme moyen de propagande par la révolution culturelle, elle prend ensuite une dimension documentaire très importante dès 1976, qui se fait souvent témoignage politique. Avec le développement de l’East Village dans les années 1990 à Pékin, la photographie prend une place de plus en plus importante comme complément des performances, et de l’art conceptuel. C’est en 1994 qu’est fondé le premier magazine de photographie d’art conceptuel, New Photo. Des motifs d’éléments  » choc « , et une influence kitsch-pop, hérités de cette période, reviennent désormais souvent dans les travaux photographiques, qui se sont cependant profondément diversifiés.

 

Un fossé générationnel
Il semble qu’il y ait un fossé entre la nouvelle génération des photographes chinois et les travaux des années 80 ou 90. Selon Berenice Angremy, directrice de Thinking Hands, les photographes contemporains s’inspirent essentiellement de la création étrangère, et ce pour deux raisons. La première est que leur culture les y pousse fortement, et la seconde que leur éducation ne leur a pas permis de bien appréhender l’histoire de leur propre photographie, ce qui change désormais. Ces photographes contemporains ne possèdent pas autant cette dimension documentaire mais sont proches des artistes plasticiens et de leurs principes esthétiques.

 

Pas d’unité mais un dynamisme
Il semble qu’il faille donc plus parler de photographies chinoises. Au pluriel. Au XXe siècle, on a catégorisé, donné des noms, tout mis dans des concepts. Il y avait comme une sensation de marque, et il est difficile de s’en libérer pour voir la multiplicité. Car que signifie en effet être un artiste chinois dans un monde où nous sommes tous connectés à internet, où chacun a des appareils munis de prises de photo, où la censure est quasiment impossible à établir ? Le lieu est certes toujours, voire plus important. Mais parler de  » photographie chinoise  » semble manquer de sens, de réalité concrète. Il y a cependant des spécificités à la Chine. Dans les années 2000, il n’y avait presque pas de photographies. Désormais, de nombreux jeunes choisissent ce médium, dès très jeunes. Il y a à la fois une vigueur, et à la fois une rapidité de changements, de tentatives nouvelles, qui fait peur. C’est ce danger qui est excitant au début, et les galeries sont engagées avec les artistes dans cette permanente remise en question, cette innovation périlleuse et créatrice.

 

Un dynamisme de marché : les enchères sur les « nouveaux médias « 
Comme l’indique le rapport Artnet de 2012, le marché se réveille en Chine grâce aux bons résultats Christie’s à Hong Kong et ChengXuan Auctions à Beijing. Ces lieux sont classés dans le top 50 des ventes, pour Nouveaux Médias dans le monde, avec Londres et New-York. Les trois meilleures enchères enregistrées en Asie pour des nouveaux media ont d’ailleurs récompensé T.L. Sakura de Tatsuo Miyajima (vendue l’équivalent de 232 000 € le 27 novembre 2010 chez Christie’s Hong Kong), Writing the orchid pavilion preface one thousand times de Qiu Zhijie (vendue près de 135 000 € le 29 mai 2011 toujours chez Christie’s Hong Kong) et Buddhist Alta-War and Peace de Li Hui (cédée 114 300 € le 29 avril 2008 chez Beijing ChengXuan). Ces chiffres, s’ils s’apparentent à une croissance mondiale du domaine, sont cependant remarquables. La montée des ventes est liée à une production nouvelle, et en même temps la favorise. Il y a une réciprocité des dynamismes, entre la création, les enchères, et enfin les institutions culturelles et les galeries.

 

Des initiatives individuelles en Chine ou à l’extérieur, de la part d’investisseurs ou de passionnés
Toutes les sources concordent sur ce point : la photographie manque cruellement en Chine de soutien institutionnel. Cependant, les initiatives privées sont nombreuses et commencent seulement à se mettre en place. Huang Yunhe, galeriste, exprime ainsi sa volonté de créer un musée dédié à la photographie en Chine :  » J’aimerais promouvoir l’idée d’un musée de la photographie. Cela fait cinq ans que je travaille comme galeriste et je pense qu’il y a encore beaucoup de travail à réaliser en Chine pour la promotion de la photographie. Le public a besoin de voir plus d’expositions, mais une galerie seule ne peut avoir d’impact majeur. C’est pourquoi cela nécessiterait une collaboration plus approfondie avec d’autres institutions.  » Ce sont de telles expositions qui peuvent développer l’audience, faire en sorte que les gens prennent conscience de l’art photographique. Bien sûr, chacun peut prendre des photographies avec son téléphone, mais cela n’a rien à voir. Il faut un projet éducatif, pour que l’audience comprenne et aime la photographie. Cela aussi permet aussi d’aider plus de jeunes créateurs, de créer des résidences, tout cela à long-terme. L’étranger fait aussi preuves de nombreuses dynamiques. Par exemple à Arles, où Bérénice Angrémy a exposé Dan Shanzi en 2007, à Paris, à Londres, etc. Ces expositions créent des mouvements de fond, peu discernables mais qui ont des conséquences à long terme et participent à la légitimation de la photographie d’origine chinoise. Les soutiens, plus ou moins institutionnels, de la part de musées ou de galeries, sont essentiels.

 

Effet dialectique marché/institutions, toujours opaque
L’achat récent par Charles Xue d’une série de photos du vieux Beijing par Felice Beato, a récemment été extrêmement médiatisé en Chine, mais aussi à l’international. Quelques années avant cette vente, de nombreuses photographies de Beato ont été vendues. Pourquoi cette vente a été médiatisée, là est la question. On parle des maisons de ventes, qui ont essayé de promouvoir  » l’exclusivité « , et puis la Bibliothèque Nationale de Chine a organisé une exposition il y a trois ans, qui inclut des panoramas des fonds de la British Library, et un catalogue a été publié. Il semble qu’il y ait un lobby des maisons de ventes qui aient contrôlé cette vente pour la faire apparaitre comme importante. Ce qui apparaît finalement, c’est un lien extrêmement fort entre les enchères, les institutions, et la création artistique. Le dynamisme de la création photographique contemporaine en Chine ne pourrait se comprendre sans prendre en compte ces trois domaines, dont les liens sont encore souvent peu discernables.

 

BUREAU DES ARTS
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