Pierre Gattaz, président du MEDEF, nous montre, avec sa pugnacité et sa détermination habituelles, les failles du système économique français, tout en précisant quelles sont, pour le MEDEF, les voies pouvant conduire à la réussite en matière de croissance et de création d’emplois.
La mise en oeuvre du Pacte de responsabilité est-elle en bonne voie ? Est-ce un échec comme l’affirme Emmanuel Macron ?
Non, ce n’est pas du tout un échec. Que prévoit le Pacte de responsabilité ? Une baisse ciblée du coût du travail, une réduction de la fiscalité, une simplification de la vie des entreprises. Mais avant même de connaitre le contenu précis du Pacte, qui ne sera mis en oeuvre qu’en 2015, je le rappelle, les branches professionnelles ont entamé des négociations avec les organisations syndicales afin d’anticiper, d’évaluer et d’optimiser les effets de ce Pacte sur la création d’emplois. Aujourd’hui, 7 branches professionnelles ont signé avec les syndicats un accord qui concerne 3,5 millions de salariés. Et 51 branches professionnelles, représentant plus de 10 millions de salariés, poursuivent leurs discussions et/ou leurs négociations. De quel échec parle-t-on ? Que neuf mois se soient écoulés entre l’annonce du gouvernement et le vote des premières mesures n’émeut personne mais que les branches professionnelles prennent quelques semaines supplémentaires pour négocier et on sonne l’hallali !
« Faire gagner
la France »
La déclaration de Manuel Valls – « j’aime l’entreprise » – lors de votre université d’été marque-t-elle un changement de comportement vis-à-vis des entreprises ?
Ce n’est visiblement pas le cas. Ces grandes déclarations d’amour nous les entendons mais nous n’en demandons pas tant, nous voulons simplement pouvoir faire notre métier de chef d’entreprise c’est-à-dire créer de la richesse et de l’emploi pour tous. Pour cela, nous voulons que les actes soient cohérents avec les discours et les promesses tenues. On nous parle de « choc de simplification » et on crée un dispositif – le compte pénibilité – qui est l’archétype de l’absurdité administrative. Le pacte de responsabilité a pour objectif de baisser la fiscalité et le coût du travail et dans le même temps, on multiplie et/ou on augmente les taxes et les charges sur les entreprises : les 4,5 milliards d’euros d’impôts supplémentaires votés pour 2015 annuleront l’effet de la baisse des cotisations salariales et du CICE. On crée le CICE pour, entre autres choses, développer l’emploi et on vote en catimini à l’Assemblée une augmentation de 50 % de la taxe sur les grandes surfaces pour justement « compenser » les effets du CICE dont bénéficie la grande distribution au motif que les emplois qu’elle crée ne sont pas délocalisables. On est en pleine incohérence. Il faut cesser de faire de l’entreprise un enjeu politique, l’entreprise ne doit pas être une variable d’ajustement au déficit budgétaire, l’entreprise est une entité qui crée de la croissance et de l’emploi, il faut la préserver.
Flexibilité du travail, suppression de deux jours fériés, smic adapté aux personnes éloignées de l’emploi, ouverture des magasins le dimanche pour les touristes… vous n’hésitez pas à briser les tabous pour moderniser notre économie.
Flexibilité, temps de travail, Smic adapté, ouverture dominicale… Toutes ces propositions que nous faisons ne sont taboues qu’en France ! Chez tous nos voisins, cela relève de la marche normale de l’économie. Nous ne sommes pas seuls au monde, nous sommes en concurrence aujourd’hui avec 150 pays, ils étaient 5 en 1970. Mais il n’y a qu’en France que nos gouvernants n’ont toujours pas pris la mesure du changement qui oblige les entreprises à s’adapter et à se transformer pour affronter en bonne place la nouvelle donne qu’impose la mondialisation. C’est la seule façon de créer de l’emploi. Ces propositions s’inscrivent d’ailleurs dans notre projet global « 1 million d’emplois… c’est possible ! ». Notre conviction, c’est que nous n’avons pas « tout essayé contre le chômage », on a simplement oublié que l’emploi, ce sont les entreprises qui le créent. Il faut changer de logique, mettre en place une politique dynamique de création d’emplois, c’est la seule façon de lutter efficacement contre le chômage. Nous, nous voulons recréer de l’emploi mais il faut nous donner les moyens de le faire en rendant nos entreprises plus compétitives, en faisant le choix de la mondialisation et de l’économie de marché.
Pensez-vous que les Français, notamment les jeunes, sont prêts à évoluer dans votre direction ?
J’en suis convaincu, il suffit de regarder les derniers sondages. Les Français plébiscitent nos propositions : selon le dernier sondage Odoxa, 61 % approuvent la demande du Medef de relever les seuils sociaux, 64 % rejettent le compte pénibilité et 62 % la loi Hamon. Et 77 % – 77 % !- se disent favorables à un allègement de la fiscalité des entreprises. Quant aux jeunes, avec un taux de chômage de 25 % et une dette publique qui dépasse 2 000 milliards d’euros, soit 30 000 euros par personne, ce sont les premières victimes de notre système actuel. Les Français sont pragmatiques, ils comprennent mieux les enjeux de la mondialisation, les réalités économiques, ils font preuve de plus de maturité économique que les hommes politiques fossilisés dans leurs certitudes idéologiques. Contrairement à ce que ces derniers affirment, les Français ne craignent pas les réformes, ce qu’ils craignent c’est l’indécision et l’immobilisme de la classe politique, ils ont le sentiment de ne pas être défendus dans la course mondiale, pire d’être condamnés au déclassement. C’est cet immobilisme qui alimente le pessimisme et la défiance. Avec des effets politiques délétères, on le voit à chaque élection.
Alors que les socialistes semblent s’être convertis à l’entreprise, ne devrait-on pas, enfin, de faire davantage d’efforts pour développer l’entrepreneuriat ?
Vous avez tout à fait raison car les chefs d’entreprise français font preuve d’une capacité de résilience qui force l’admiration. Malgré un environnement fiscal et réglementaire défavorable, ils continuent contre vents et marées d’investir, de créer de l’emploi. Il y a en France une créativité et une énergie tout à fait exceptionnelles comme le montre le nombre impressionnant de start-up créées par les jeunes. J’en ai pris la mesure l’an dernier lors de ma visite au Consumer Electronics Show de Las Vegas, où je me rends cette année encore : sur 200 exposants internationaux de start-up, 40 étaient français et se distinguaient par la qualité et la diversité de leurs produits innovants. Une spécialité française est en train d’émerger dans les objets connectés, promise à un bel avenir avec la fameuse « french touch » très appréciée, notamment des Asiatiques, et qui permet de faire la différence. Et cette année encore la France sera très bien représentée puisque 120 entreprises, dont 66 start-up, seront présentes à Las Vegas, c’est 73 % de plus que l’an dernier. Mais tout ce dynamisme des entrepreneurs est victime de l’imagination folle de notre administration et de la fureur législative de nos élus. Au lieu d’être encouragé et salué, il s’étiole sous le poids des réglementations et des prélèvements obligatoires. En dépit des annonces du gouvernement, les prélèvements obligatoires sur les entreprises françaises continuent d’augmenter – + 36 milliards entre 2011 et 2013, par rapport à 2010, année où la France était déjà championne de la pression fiscale. Même si cette hausse a été ramenée à 31,1 milliards en 2014 grâce au CICE, le différentiel avec l’Allemagne reste de 132 milliards d’euros, taxes fiscales et sociales confondues. Ce n’est pas tenable. Il faut réduire les dépenses publiques. Qu’estce qui justifie qu’en 2013 les effectifs de la fonction publique aient encore augmenté en 2013 alors que nous avons déjà 1,7 million de fonctionnaires que plus que les Allemands qui sont plus nombreux que nous ? Tant que la sphère publique absorbera 57 % de la richesse produite, on ne s’en sortira pas, on continuera de s’endetter et d’augmenter les impôts. Au détriment de la croissance et au final de l’emploi.
Vous venez de publier « Français, bougeons-nous ! ». C’est un ordre ? À qui s’adresse ce livre ?
Non, je n’ai pas le pouvoir de donner des ordres. En revanche, en tant que président du Medef j’estime que j’ai un devoir de vérité. Et la vérité m’oblige à dire que oui, il faut « se bouger » si nous voulons que notre pays se redresse. Et se redresser veut dire changer de modèle économique et social en remettant l’entreprise au coeur du dispositif, engager les réformes structurelles incontournables pour rendre notre économie et nos entreprises plus compétitives. Le succès de notre pays passe par le succès de ses entreprises. En ce sens, oui, ce livre est une injonction car nous n’avons pas le choix si nous voulons renouer durablement avec la croissance et l’emploi. C’est aussi un encouragement à l’adresse de tous les Français car notre pays a des atouts innombrables, regorge de talents qui ne demandent qu’à être développés pourvu qu’on leur donne les moyens. C’est enfin une exhortation à l’adresse des hommes politiques afin qu’ils prennent en compte les enjeux d’aujourd’hui et aient le courage de faire les réformes nécessaires que tout le monde attend. En ce qui nous concerne, nous n’avons qu’un mot d’ordre d’ici 2020 : croissance et emploi. Avec une seule ambition « Faire gagner la France. »
Patrick Simon