Pierre Gadonneix
Pierre Gadonneix

Le manager du 21e siècle

« Le fait que des ingénieurs dirigent à nouveau de grandes entreprises me satisfait car je m’inquiétais de voir le plus souvent à leur tête des financiers quelle que soit l’activité. »
Pierre Gadonneix, Président du Conseil de surveillance de Latécoére et Président d’honneur du Conseil mondial de l’Énergie

Pierre Gadonneix
Pierre Gadonneix

Aujourd’hui, manage-t-on une société publique de la même façon qu’une entreprise privée ?
Si les entreprises publiques ou privées peuvent être plus ou moins bien dirigées, elles sont toutes gérées de la même manière. Une bonne gouvernance doit trouver un équilibre entre les intérêts de trois catégories de population : l’actionnaire, les clients et le personnel. Dans les entreprises privées, l’actionnaire me paraît souvent trop privilégié alors que les entreprises publiques prennent plus facilement en compte le long terme. Lorsque j’ai ouvert le capital d’EDF au public, j’ai considéré qu’il s’agissait d’un bon équilibre, l’actionnaire privé rappelant qu’une entreprise doit générer des profits alors que l’État oriente sa stratégie conformément à l’intérêt public. La personnalité d’un dirigeant est également très importante pour l’entreprise car elle impacte toutes les grandes décisions stratégiques et permet de motiver les équipes.

 

Les responsables des Etats ont-ils pris conscience de la transition énergétique inéluctable qu’il faut envisager aujourd’hui ?
Le secteur de l’énergie connaît des bouleversements et des avancées significatifs. La loi sur la transition énergétique a été votée par le Parlement. Les objectifs ambitieux du Paquet climat-énergie 2030 ont été fixés par le sommet des chefs d’État et de gouvernement européens le 23 octobre 2014. La conférence Paris Climat 2015 qui se tiendra en décembre, représente un enjeu majeur, car tous les sujets climatiques globaux portent sur le long terme. Si l’Europe ne pèse que 10 % des émissions de gaz à effet de serre de la Planète car elle met en oeuvre des plans d’économie d’énergie drastiques, on peut espérer que les Chinois, avec les problèmes de pollution qu’ils connaissent, apporteront une contribution positive lors de cette conférence.

 

Le manager d’une grande entreprise est-il prioritairement un citoyen du monde?
Les grandes entreprises françaises qui font la majeure partie de leur chiffre d’affaires à l’étranger (80 % pour Total, 50 % pour EDF, 70 % pour Suez, 90 %…), doivent s’informer de ce qui se passe dans le monde et prendre en compte certaines préoccupations sociétales dans le cadre de la transition énergétique : la sécurité de l’approvisionnement ; l’environnement ; le prix de l’énergie. Si l’énergie coûte trois fois moins cher aux États-Unis grâce à l’utilisation du gaz de schiste, on sait que les Chinois construisent une centrale nucléaire par mois, une centrale à charbon chaque semaine et une éolienne toutes les heures, ce qui implique des gains de performance sur lesquels aucun pays ne peut s’aligner.

 

En tenant compte de la complexité des évolutions technologiques, les diplômés des écoles d’ingénieurs comme vous l’êtes (École poly – technique et École nationale supérieure du pétrole et des moteurs), ont-ils des atouts supplémentaires pour diriger les entreprises de demain ?
Je constate que le personnel dirigeant des grandes entreprises énergétiques françaises est en train de se renouveler (EDF, Areva, GDF SUEZ et Total). Pour EDF, GDF SUEZ et Total, le fait que les nouveaux dirigeants soient des ingénieurs constitue un signal positif pour le personnel et pour les ingénieurs qui souhaiteraient intégrer ces entreprises. Il montre également que l’on se tourne vers l’avenir. Nous avons besoin de nouvelles compétences pour consolider et diversifier notre mix énergétique : renouveler le parc nucléaire, innover dans les énergies renouvelables, découvrir de nouvelles ressources d’hydrocarbures exploitées en respectant l’environnement. Au niveau de la concurrence mondiale, les batailles se gagnent avec les technologies et l’innovation, les ingénieurs étant les plus qualifiés pour relever ces défis. En effet, ils ont toujours eu confiance dans les technologies avec une tendance à prendre des risques sur l’avenir, tout en privilégiant le long terme. À l’inverse, ils peuvent faire des paris risqués, ce qui nécessite des forces de rappel. Le métier d’ingénieur va redevenir une priorité dans ce contexte global et concurrentiel où l’on se dit que l’innovation constitue la seule réponse aux défis du XXIe siècle, le progrès technique n’ayant pas de limites.

 

Patrick Simon