Sortie de crise, réduction des déficits, remise en ordre financière, croissance et présidence du G20… constituent les sujets brûlants d’une actualité que Christine Lagarde connaît parfaitement et maîtrise d’autant mieux… à souffler ses trois bougies. L’occasion d’examiner avec Virginie De Luca, CFO, la manière dont le pilotage financier accompagne l’envol d’un business-model aussi original qu’efficace.
La France présidant le G20, quelles sont vos attentes et vos propositions en la matière ?
La présidence française du G20 ne sera pas celle de la transition d’un « G20 de crise » à un «G20 de gestion». En décidant de fonder le G20 sur la coordination macro-économique, la réforme structurelle et la préservation des biens publics mondiaux, le Président de la République a fait le choix de l’ambition. Quelle est cette ambition qui s’inscrit au coeur des grands enjeux internationaux contemporains, mais aussi au coeur des attentes de nos concitoyens ?
• Il s’agit de la volatilité des changes, pierre angulaire de la réforme du système monétaire international, pénalisante pour nos entreprises, de la volatilité des matières premières dont souffrent nos agriculteurs et nos consommateurs et de la gouvernance internationale pour moraliser la vie internationale et promouvoir des normes et standards minimaux, de manière à mettre un terme au moins-disant social ou fiscal.
• Les résultats concrets attendus à l’issue de ces sommets seront donc jugés à cette aune et le Président de la République a défini tout d’abord une méthode, au sommet de Séoul : la France entend se donner le temps d’établir un constat commun avant de se fixer des résultats ambitieux à atteindre.
• Nous conduirons ainsi des temps de consultation avec la société civile, les milieux académiques, les partenaires sociaux, les entreprises, les organisations internationales et nos partenaires internationaux, du G20, comme en dehors. Il y aura des temps de coordination : à travers les réunions ministérielles du G20 à Paris, comme celle de février puis en octobre. Il y aura aussi les comités de printemps et assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale à Washington en septembre. Il y aura également des temps de décision avec les sommets du G8 à Deauville, le 23 mai et du G20 à Cannes, les 3 et 4 novembre.
• Nous n’arriverons pas avec des projets ficelés. Nous essaierons de dégager des consensus, mais avec bien sûr de grandes convictions parce que le monde ne peut plus attendre.
Comment parviendrez-vous à réduire les déficits publics de 2 points pour parvenir sinon à un équilibre du moins à respecter les critères de Maastricht ?
• En maîtrisant les dépenses publiques et en renforçant la croissance de long terme.
• Le budget 2011 tourne le dos à des années d’augmentation du budget de l’État. Hormis la dette et les pensions qui sont héritées du passé, les dépenses de l’État seront gelées. Les transferts de l’État aux collectivités territoriales seront aussi gelés en valeur.
• La réforme des retraites permettra de maîtriser les dépenses de pensions et aussi de redresser la croissance, en augmentant le nombre de bras qui travaillent dans l’économie. • Au total, le déficit public sera ramené à 6 % du PIB en 2011 (après 7,7% en 2010).
• Par ailleurs, nous poursuivons les réformes structurelles qui augmentent la croissance. En agissant sur le volume de travail dans l’économie : nous l’avons fait en rationalisant le service public de l’emploi avec Pôle Emploi, en réformant la formation professionnelle, en fixant des droits et devoirs aux demandeurs d’emploi, en créant le Revenu de Solidarité Active pour faciliter le retour à l’emploi, et, en 2011, en réformant les retraites.
• En agissant sur la compétitivité des entreprises : nous l’avons fait avec la suppression de la taxe professionnelle et le triplement du crédit impôt recherche. En 2011, nous le faisons avec des investissements d’avenir massifs dans la R&D, dans l’enseignement supérieur et les campus d’excellence.
• Enfin, en agissant sur le secteur financier et bancaire ; au plan national comme dans les enceintes internationales, nous faisons avancer les grands chantiers pour que la finance soit vraiment au service de l’économie : réglementation prudentielle, fonds alternatifs et CDS, mise en place d’une taxe bancaire pour limiter le risque systémique, loi de régulation bancaire, réformes des normes comptables, compétitivité de la place de Paris… et bien sûr la présidence française du G20 en cette année 2011.
La France qui a particulièrement réussi à limiter les effets de la crise négocie-t-elle la sortie de crise avec de bonnes chances de connaître une croissance soutenue dans les années qui suivent ?
L’effet des réformes structurelles du Gouvernement va monter en charge sur les prochaines années : investissement d’avenir (+0,3 % de croissance en moyenne sur l’horizon de la décennie), réforme du crédit d’impôt recherche, suppression de la TP, réforme des retraites (+0,3 % de croissance en moyenne sur l’horizon de la décennie), et aussi les effets de la loi de modernisation de l’économie votée en 2008. Même avec cette hypothèse, le retard de production issu de la crise ne sera pas résorbé ce qui constitue une hypothèse consensuelle pour les prévisionnistes et prouve le caractère raisonnable de nos prévisions. J’aimerais rappeler que beaucoup de Cassandre se sont trompées en alimentant la machine à broyer du noir depuis plusieurs trimestres. Il y a un an, certains parlaient encore d’un redémarrage de l’activité en trompe l’oeil pour 2010 ; voire de récession pour 2010 ; en tout cas d’une absence de reprise de l’investissement des entreprises et d’une baisse des dépenses des ménages. Or c’est tout le contraire qui est arrivé : la consommation n’a jamais baissé d’un trimestre à l’autre depuis le début de la crise ; les entreprises ont recommencé à investir dès le 2ème trimestre 2010 ; le taux de chômage calculé par l’INSEE selon les critères indiscutables du Bureau International du Travail diminue progressivement depuis le début de 2010.
Sur quoi repose votre popularité auprès de l’opinion française ?
Je pense que les Français, en dépit des sondages, demeurent lucides sur la situation : même si certaines mesures que nous avons pu prendre au plan économique sont sûrement impopulaires, les Français savent que les réformes sont nécessaires et que nous allons dans le bon sens. Seul l’immobilisme peut aujourd’hui être un facteur aggravant de l’injustice. J’ai toujours assumé et défendu la politique économique du Président de la République qui commence à porter ses fruits en termes d’emploi et de croissance…et ce malgré tous les prophètes de catastrophes ! Je m’efforce le plus possible de faire preuve de pédagogie quant à notre ambition pour ce ministère, tant au niveau national qu’international. Au delà des mesures prises et de la politique économique, je suis d’un naturel combatif et optimiste, et je pense également que les Français sentent que je me tiens le plus possible à l’écart des querelles politiciennes. Je pense avoir eu une vie « avant la politique » riche de rencontres et d’expériences, et que je mets à profit pour faire bouger les lignes.
Je suis persuadée que dans ce climat que les commentateurs présentent comme morose, il y a une vraie appétence de nos concitoyens pour voir leur pays se positionner sur le devant de la scène. C’est tout l’objet de la présidence française du G20 qui place les attentes de différentes opinions publiques au centre d’une réflexion ayant pour objectif d’améliorer le fonctionnement du capitalisme. Beaucoup d’entreprises se trouvent pénalisées par la volatilité des taux de change ou des matières premières. Le G20 sert aussi, et surtout, à améliorer le fonctionnement des affaires, des relations commerciales internationales. Et c’est à la France qu’il revient de relever ce défi formidable. Certes nos objectifs sont ambitieux, mais ils me paraissent réalistes. En relevant ces formidables défis, je suis convaincue que nous réconcilierons les Français avec l’action publique. Redonner de la fierté comme leur redonner confiance me semble essentiel.
Votre message aux élèves des Grandes écoles !
Pour les étudiants et les jeunes diplômés, il n’est pas toujours évident de voir combien de chemins différents l’avenir peut offrir. Le prestige d’une Grande Ecole offre un bagage exceptionnel, autant qu’un défi et une chance. Il doit être utilement complété par une première expérience professionnelle, et l’ouverture à de nouveaux horizons. Les miens ont été vingt-cinq durant dans un grand cabinet d’avocat américain, dont dix ans à Chicago. J’ai ensuite décidé de répondre à l’appel de la chose publique en France depuis un peu plus de cinq ans : la preuve qu’une carrière n’est jamais tracée d’avance, a fortiori quand on est une femme dans un grand cabinet d’avocat, française dans une organisation internationale et aujourd’hui au Gouvernement.
Il faut d’ailleurs savoir se garder des parcours linéaires. Le monde ne nous impose pas d’autre choix que celui de rester mobile, curieux, éveillé aux avant-postes et adaptable.
Au cours de ma vie professionnelle, j’ai retenu l’importance de l’efficacité des actions que nous engageons et appris l’attention portée à obtenir des résultats dans chacune des responsabilités qui sont les nôtres. C’est ainsi que j’ai toujours avancé, quelles que soient les positions que j’ai occupé, à Chicago, à Paris ou ailleurs.
Patrick Simon