A l’heure des multiples crises financières, du développement des risques environnementaux et de la montée des critiques envers un mode de management exclusivement orienté sur l’exigence de rentabilité, la question de l’éthique est devenue, plus que jamais, un enjeu majeur de la progression de notre société. Ainsi, les grandes écoles et les entreprises, acteurs clés de cette évolution, accordent une place de plus en plus conséquente à l’éthique dans leur développement et leur stratégie.
Former les étudiants à l’éthique
Les grandes écoles, en charge de la formation desmanagers et des ingénieurs de demain, possèdent un rôle sociétal clé à jouer sur ce terrain.
« L’ingénieur doit recevoir un enseignement technologique et scientifique, mais aussi une formation humaniste et éthique », déclare Eric Maurincomme, directeur de l’INSA de Lyon.
Selon Pierre Tapie, président de la Conférence des Grandes Ecoles (CGE),cette préoccupation a été saisie par les grandes écoles depuis une vingtaine d’années : « les écoles d’ingénieurs ont pris en charge les questions d’éthique appliquées à l’environnement et aux sciences alorsque les écoles de management se concentrent surles problématiques du leadership responsable ».
L’enseignement de l’éthique fait l’objet d’échanges entre les grandes écoles et de recherche en ingénierie pédagogique, afin de dispenser aux étudiants uneformation à la hauteur des enjeux globaux actuels. L’enseignement de l’éthique se déploie sous plusieurs formes : cours spécifiques d’éthique, intégration des questions déontologiques aux disciplines fondamentales (finance, marketing, etc.), mise en situation des étudiants par des confrontations directes et concrètes aux dilemmes éthiques, etc. Ainsi, en plus des cours obligatoires d’éthique et la possibilité d’opter pour le parcours transversal « Responsabilité Globale », Audencia Nantes s’est engagée d’ici 2013 à consacrer 10 % du contenu des cours fondamentaux à la dimension éthique de chaque matière.
Une recherche dédiée à l’éthique
L’éthique constitue également un courant intellectuel à part entière et fait l’objet de travaux de recherche. A titre d’exemple, une équipe de recherche d’une quinzaine de professeurs intervient sur ces thématiques au sein de l’Institut pour la Responsabilité Globale d’Audencia Nantes, dont la recherche académique est développée en lien avec les entreprises. De la même manière, les professeurs chercheurs de l’INSA de Lyon sont investis sur les questions scientifiques impliquant une composante éthique. A titre d’exemple, un de leurs professeurs participe en collaboration avec l’INRA (Institut National de Recherche Agronomique) à un projet de recherche mandaté par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) sur les poissons génétiquement modifiés. Aussi, dans le cadre du Labex « Intelligence des mondes urbains », l’INSA de Lyon se consacre à la question de l’impact environnemental et éthique des travaux d’urbanisme.
Exemplarité
La promotion d’un nouveau modèle sociétal passe aussi par une exigence d’exemplarité et d’intégration de l’éthique au fonctionnement et aux pratiques des écoles. La commission développement durable de la CGE a mis au point un référentiel développement durable pour les établissements d’enseignement supérieur, afin que ces derniers puissent faire l’état des lieux de leur impact environnemental et apprécier leur marge de progression en la matière. Dans cette optique, l’INSA de Lyon, déjà engagé dans plusieurs processus de certifications, participe activement aux travaux de recherche de bâtiments écologiques pour le campus d’avenir LyonTech-la Doua. Au-delà de son bilan carbone, Audencia Nantes s’est également engagée à améliorer sa performance environnementale, ligne de conduite officialisée par un partenariat stratégique signé avec WWF-France en 2010.
Les grandes écoles, conscientes de leur rôle auprès des entreprises, travaillent souvent main dans la main avec les acteurs professionnels. Ainsi, l’Institut pour la Responsabilité Globale d’Audencia Nantes se propose d’accompagner les entreprises dans leur activité via divers dispositifs : formation continue, mise en réseau, fédération des PME du Grand- Ouest autour des questions de responsabilité globale, etc.
UNE PRÉOCCUPATION DE PLUS EN PLUS PRÉGNANTE au sein des entreprises
L’enjeu d’une performance globale
La rentabilité économique a longtemps été le seul résultat visé par les entreprises, se préoccupant exclusivement des intérêts des actionnaires. Aujourd’hui, l’entreprise doit considérer l’ensemble des parties prenantes (fournisseur, client, personnel, etc.) et des composantes (sociale, économique, environnementale et internationale) de son activité dans l’évaluation de sa performance.
« A long terme, une entreprise ne pourra fonctionner que si elle intègre à sa stratégie les impératifs de performance sociale et environnementale », déclare André Sobczak, directeur de l’Institut pour la Responsabilité Globale d’Audencia Nantes.
C’est ce que Pierre Tapie désigne comme le développement d’une « performance multi-factorielle ». « Le retrait de la côte boursière d’un nombre croissant d’entreprises montre l’abandon progressif d’une vision court-termiste de la rentabilité, prémices d’un nouveau phénomène social et économique historique », déclare Pierre Tapie.
A l’aube d’un nouveau modèle
Il y a incontestablement une prise de conscience générale des entreprises sur la question de leur responsabilité sociétale. Pierre Tapie note un réel mouvement de fond engagé par les sociétés, dont 8 000 sont signataires du United Nations Global Compact, pacte mondial d’entreprises citoyennes autour des principes des Droits de l’Homme, du respect de l’environnement, de la lutte contre la corruption, etc. Néanmoins, André Sobczak remarque des actions parfois menées de manière trop isolée et ponctuelle, et invite les entreprises à refondre leur business model en intégrant la dimension de responsabilité globale à chaque volet de leur stratégie. De la même manière, Eric Maurincomme, lui-même ancien dirigeant d’entreprise, évoque un manque de formation des cadres à cette réflexion. « Il faut apprendre aux professionnels à se poser systématiquement les bonnes questions, car l’éthique constitue un facteur d’innovation et de créativité, indispensables à la pérennité de l’entreprise », explique-t-il.
Génération Y, un élément « catalyseur »
L’arrivée de la génération Y et de ses nouvelles aspirations sur le marché du travail influence fortement les entreprises sur leur positionnement éthique. En effet, les jeunes ont aujourd’hui une exigence personnelle accrue sur le sens de leur métier et du projet d’entreprise, et revendiquent un besoin d’exemplarité de la part de leur hiérarchie. L’enjeu est donc de donner du sens à ce qu’ils font et de créer un environnement cohérent avec la stratégie prônée. Cette vision est largement promue par ETHIC, mouvement patronal se réclamant du « capitalisme à visage humain ». ETHIC joue avant tout un rôle pédagogique auprès des entreprises, et souhaite contribuer à remettre l’éthique au centre de notre société par un retour aux fondamentaux. « Nous sommes tous des salariés citoyens, chacun doit prendre ses responsabilités pour créer l’environnement de travail, où chacun puisse s’épanouir. La responsabilité sociétale, c’est aussi une responsabilité individuelle appliquée à l’entreprise et à la société en général. Cela passe d’abord par un apprentissage du savoir-vivre en entreprise, qui constitue un point d’entrée vers l’éthique. L’entreprise est le prolongement de la société et possède un vrai rôle dans son éducation », déclare Sophie de Menthon, présidente d’ETHIC.
La formation des hommes aux problématiques de l’éthique représente la clé du développement de la responsabilité sociétale. C’est pourquoi, avec l’arrivée des nouvelles générations éduquées aux enjeux de l’éthique, nous pouvons être optimistes quant à la future place de l’éthique au sein de notre collectivité.
L’INSA de Lyon, l’éthique au coeur du projet pédagogique
En plus des cours d’éthique et d’épistémologie, l’INSA de Lyon a créé en 2009 un centre Diversité et Réussite, afin de promouvoir l’égalité des chances et la relance de l’ascenseur social. Les étudiants sont totalement intégrés et mis à contribution au sein de ce programme pour la diversité, où ils sont confrontés à la différence sociale, ethnique et physique. Aussi, l’école organise depuis 8 ans une journée annuelle de l’éthique, lors de laquelle les professeurs, les étudiants et des personnalités de l’éthique échangent sur des sujets comme le diagnostic prénatal, la place des femmes dans les sciences, etc. En 2008, l’INSA de Lyon a fait intervenir Didier Sicard, président d’honneur du comité consultatif national de l’éthique et l’année dernière, Jean-Michel Bernier, philosophe et membre des comités d’éthique INRA et CNRS.
Audencia Nantes, une Grande Ecole d’éthique
Audencia Nantes a développé depuis 2003 une structure dédiée aux questions de l’éthique d’entreprise, ci-nommée l’Institut pour la Responsabilité Globale. A l’image de sa stratégie globale centrée sur l’éthique, Audencia Nantes cherche à exporter ce modèle auprès des entreprises souhaitant développer la dimension responsabilité globale de leur activité. Pour ce faire, l’Institut mène une recherche de fond sur le business model à adopter (quel type d’organisation interne privilégier ?, quels indicateurs de performance sélectionner ?, etc.), l’implication des parties prenantes dans la démarche de responsabilité globale, etc. L’Institut se concentre également sur le thème des achats responsables (quels critères sociaux et environnementaux retenir ?) et de la micro finance au sein d’une chaire spécifique.
GRLI et PRME
En 2004, l’EFMD (European Fondation for Management Development et UNGC (United Nation Global Compact) crée la Fondation pour le Leadership Globalement Responsable (GRLI), qui regroupe des entreprises et des business schools du monde entier pour dessiner les modèles pédagogiques préparant une nouvelle génération leaders globalement responsables. Ce mouvement donnait naissance en 2007 aux Principles for Responsible Management Education (PRME), un corpus intellectuel de six principes auxquels aujourd’hui environ 400 business schools dans le monde ont souscrit. La perception de l’importance ,stratégique de ces sujets va croissant dans le milieu international des business schools, que la crise financière de 2008 a considérablement secoué. Le Président de la CGE, Pierre Tapie, est l’actuel Président du GRLI.
ETHIC, un mouvement d’avenir
En dehors des actions pédagogiques menées auprès des professionnels, ETHIC organise depuis 9 ans à l’échelle nationale l’opération « J’aime ma boîte », fête annuelle où les salariés des entreprises françaises célèbrent leur bien-être et leur épanouissement au sein de leurs sociétés (chaque 3e jeudi d’octobre). Cette manifestation a pour objectif principal de valoriser la composante humaine, sociale, morale et éthique des entreprises, indispensable à l’accomplissement de chaque salarié : « bien dans sa boite, bien dans sa vie ! », résume Sophie de Menthon. Cette dernière est également membre du CESE (Conseil Economique, Social et Environnemental) à titre de personnalité qualifiée, et a remis en septembre dernier à Xavier Bertrand un rapport sur la Responsabilité Sociale d’Entreprise (RSE), qui identifie les freins opérationnels au développement de la RSE et les leviers de mobilisation des entreprises.
AB