Le sujet de l’équilibre entre les temps de vie a émergé avec l’arrivée des couples bi-actifs (monsieur et madame travaillent) et plus précisément avec l’arrivée de couples de jeunes cadres sur le marché du travail. Et si de nombreux couples travaillent conjointement depuis longtemps, la question n’avait pas été posée en termes d’enjeu d’organisation pour l’entreprise.
Dans un contexte de fidélisation des jeunes talents -femmes et hommes- le sujet est devenu incontournable. En 2002, le service des droits des femmes et de l’égalité rédige un rapport « pour une meilleure articulation des temps de vie » ; en 2004, le Centre des Jeunes Dirigeant publie « décalages horaires : du temps contraint au temps maîtrisé, la mutation des temps sociaux » ; en 2007 un rapport est remis au premier ministre « mieux articuler vie familiale et vie professionnelle » ; l’Europe en a fait l’objet de plusieurs résolutions et le Label Egalité un critère obligatoire. Autant dire que le consensus est là depuis longtemps.
Certaines solutions apportées sont concrètes et visibles immédiatement : modes de garde de jeunes enfants, SOS garde à domicile, conciergeries. Des distinctions, des classements, des guides de bonnes pratiques rappellent que nombre d’entreprises rivalisent de dispositifs pour venir en aide aux familles, aux couples, aux individus. Les bénéfices attendus de ces services aux salariés sont nombreux : signal aux jeunes parents de l’attention portée à leurs préoccupations du moment ; fidélisation ; image «family friendly» ou «women friendly» ; ou encore premier pas pour aborder le sujet de la mixité hommes/femmes.
C’est aussi un sujet qui se décline facilement au masculin : pas de discrimination positive, tous les salariés en sont potentiellement bénéficiaires. Et pourtant…
Conciliation et articulation appellent une réflexion plus en profondeur
Au quotidien, et pour entrer dans la vraie vie des salariés, la question est de savoir qui articule les temps et comment. La conciliation pèse particulièrement sur les femmes, victimes du «syndrome du post-it mental» selon l’expression de S. Giampino (psychiatre) : coordination familiale des emplois du temps, modes de garde, vacances scolaires, gestion des mercredis mais aussi linge, repas, santé des enfants… Chacun sait que malgré l’arrivée des «nouveaux pères», les aspirations de la génération Y, et malgré tous les espoirs de voir les hommes s’intéresser à des tâches qui ne sont pas valorisées, les femmes assument encore la majorité de ce qui rend la conciliation difficile dans une journée de 24h. Sans oublier que la question ne se pose pas avec la même acuité quand on est femme dans un couple de cadres ou seule avec des enfants ou encore employée avec de fortes contraintes horaires. Si ce déséquilibre dans la répartition des tâches est une question privée, cela a des conséquences pour les entreprises sur le temps et la disponibilité d’une partie de leurs salariés : les femmes. Les entreprises ne fonctionnent plus uniquement au masculin, elles cherchent à embaucher des femmes dans tous les métiers et souhaitent les retrouver aux différents niveaux de pouvoir et de décision. Le sujet de l’articulation de temps, en partie seulement résolu par des dispositifs de modes de garde, revient alors sur le tapis. La problématique de l’équilibre entre vie privée et professionnelle conduit à questionner la valeur donnée au temps dans l’entreprise et la place des femmes dans l’équilibre des temps de vie.
Temps et présentéisme dans l’entreprise
S’il est contraint pour nombre de salariés moins ou peu qualifiés, le temps de présence est a priori plus souple pour une grande partie des cadres. Mais qui dit souplesse ne veut pas dire confort : les charges de travail ont plutôt tendance à s’alourdir, les conflits et paradoxes à gérer à augmenter, la pression des résultats à s’intensifier. Or cette norme de présence longue sur le lieu de travail – le présentéisme – est considérée par les femmes comme un obstacle majeur contribuant fortement au plafond de verre (pour 60 % des femmes cadres selon une étude de l’APEC en 2008). Est-il opportun et bienvenu de réfléchir objectivement à ce qui incite les cadres au présentéisme ? Les enjeux sont multiples, qu’il s’agisse de la valorisation du temps passé versus les résultats et l’atteinte des objectifs, de l’impact sur la santé physique et psychique, de l’exemplarité pour autoriser des comportements différents.
Les interrogations portent alors sur la valeur attribuée au présentéisme par les salariés, leurs managers et l’entreprise. Mon temps de présence est-il un gage de sérieux, d’engagement, d’investissement ? Suis-je plus ou moins efficace qu’un-e autre ayant des contraintes de temps fortes ? Est-ce inconsciemment un marqueur de statut social ? Mais aussi comment être visible dans l’entreprise sans jouer les prolongations en fin de journée ? Quels sont les risques en termes d’évaluation personnelle ? Les critères d’évaluation sont-ils étanches au présentéisme ?
Vers un recentrage sur l’efficience, la transparence et la responsabilité
Si les questions posées paraissent simplistes ou illusoires, elles ont néanmoins le mérite d’ouvrir des espaces de dialogue. D’autres pistes peuvent être explorées : les femmes sont-elles tenues d’être parfaites en tous points ? D’où viennent les injonctions à réussir – en même temps et sans respirer – sa vie personnelle, familiale et professionnelle entre 25 et 35 ans ? Pourquoi tant d’application de la part des femmes à concilier l’inconciliable quand les hommes sont parents au même titre qu’elles ? Si les carrières ne sont plus linéaires et tracées d’avance, de nouveaux contrats entre les salariés et l’entreprise sont probablement à construire, avec plus de transparence, plus de responsabilité de part et d’autre pour que l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle ne devienne pas un privilège réservé à une élite.
Sophie Michon – Expert Mixité H/ F- Companieros