L’architecte Françoise-Hélène Jourda, élue Femme en Or en 2010, consacre toute son énergie à initier et promouvoir des projets de développements urbains écologiques. Consultée par Jean-Louis Borloo pour le Grenelle de l’environnement elle a rendu un rapport, riche en préconisations, sur le développement durable dans la construction. Et pour communiquer ses convictions, elle dirige aussi le département d’architecture et développement durable de l’université technique de Vienne.
Vous avez été l’une des premières à construire des bâtiments éco responsables, d’où vient cette prise de conscience et cet engagement écologique ?
J’ai fait mes études à l’école d’architecture de Lyon au moment des premiers chocs pétroliers, de la chasse aux gaspis et du fameux slogan « on n’a pas de pétrole mais on a des idées » ; une époque qui ne reniait pas les idéologies de liberté et, parfois aussi, « vertes ».
Aujourd’hui, vous construisez à Saint-Denis un immeuble à énergie passive, le premier en France, que signifie exactement ce terme ? Comment fonctionnera-t-il ?
Pour ce bâtiment conçu en 2006, avant le Grenelle de l’environnement, il s’agit non d’énergie passive, mais d’énergie zéro ou « positive », prévue dans le Grenelle comme le standard de 2020. Il qualifie des bâtiments dont la consommation énergétique pour assurer le confort des habitants (chauffage, climatisation, ventilation et éclairage) est couverte par la production d’énergie renouvelable.
Comment appliquer le développement durable à la construction d’un bâtiment ?
Il s’agit avant tout d’économiser les ressources (en air, en eau, en matériau, en sol et en énergie) et d’assurer le confort et la santé des habitants, tout en prenant en compte la préservation de la biodiversité.
Au-delà d’un seul immeuble, comment concevez-vous la ville de demain ?
La ville de demain est celle d’aujourd’hui pour l’essentiel, qu’il nous faut d’urgence réparer, soigner. Nos villes sont malades. Elles consomment beaucoup d’énergie, émettent beaucoup de gaz à effet de serre et sont des milieux néfastes à la santé. La question n’est pas de créer des villes nouvelles qui seraient vertueuses. C’est possible bien sûr, mais l’existant représente 96 % du problème !
« La flexibilité est la notion la plus importante. Les villes doivent être flexibles c’est-à-dire transformables facilement, et leurs aménagements réversibles pour s’adapter aux besoins inconnus des générations futures »
Vous avez édicté trois règles en matière d’urbanisme, la densité, la mixité et la flexibilité. Pouvez-vous détailler ces notions ?
La flexibilité est la notion la plus importante. Les villes doivent être flexibles c’est-à-dire transformables facilement, et leurs aménagements réversibles pour s’adapter aux besoins inconnus des générations futures. La mixité, qu’elle soit fonctionnelle ou sociale cherche à réétablir l’équité et le droit à chacun, quels que soient ses revenus, aux services qui constituent le bien collectif. La densité, qui est différente pour chaque ville, et donc adaptée à chaque site, permet de rentabiliser les espaces et les infrastructures et réduit la consommation sans fin des espaces naturels et agricoles par les infrastructures et l’urbanisme.
Accroître la densité de chaque parcelle urbaine tout en développant les espaces verts, est-ce une façon de promouvoir les tours ?
Il faut trouver d’autres solutions, d’autres architectures qui permettent de mieux vivre en relation plus étroite avec les espaces naturels, les saisons. La maison individuelle au centre de sa parcelle est une source énorme de gaspillage des espaces à bâtir. Il existe des solutions de maisons en bande, d’habitat intermédiaire qui offrent la même disponibilité d’espace extérieur, la même intimité et permettent d’économiser le sol, évitant ainsi l’extension des villes avec tous les problèmes de transport, d’infrastructure qui en découlent. Les tours sont une très mauvaise solution. Elles coûtent très cher, elles utilisent par m2 beaucoup plus de ressources que des bâtiments dits classiques et elles sont énergivores.
Quelles actions ont été menées suite à votre rapport sur le développement durable dans la construction, que vous aviez remis lors du Grenelle de l’environnement ?
Beaucoup d’actions que je préconisais ont été mises en place comme les nouvelles réglementations thermiques, le soutien aux énergies renouvelables, le développement de l’utilisation du bois dans la construction ou encore l’affichage de la performance thermique. Le travail à faire est tellement important ! Il s’agit d’une révolution technique et économique mais surtout d’une révolution des mentalités. Et ceci demande beaucoup de temps. Trop à mon goût mais nous revenons de si loin… la France était la lanterne rouge de l’Europe, elle prend un autre chemin aujourd’hui.
Êtes vous optimiste sur l’évolution des mentalités ? Et des actions concrètes ?
Je suis persuadée qu’on ne reviendra pas en arrière. La prise de conscience a eu lieu. Cela ne suffit pas. Il faut passer aux actes, mais il est beaucoup plus facile d’agir, de proposer de nouvelles manières de construire, d’élaborer de nouveaux standards lorsque, au minimum, il y a prise de conscience de la nécessité d’agir, et ceci même si les réticences, les vieilles habitudes, la pression de lobbies freinent cette transformation, urgente pourtant, au niveau technique économique et social.
Pensez-vous que les femmes et hommes politiques vont réellement intégrer ces préoccupations écologiques en matière de choix urbanistes ?
Ils n’ont pas, plus, le choix. L’Europe les pousse d’un côté (disons par le haut) et les habitants, nos concitoyens, par le bas. Les questions de santé, du coût de l’énergie, de la disponibilité des transports etc. les obligent à aller de l’avant. Ceux qui freinent sont déjà en retard.
Françoise Félice
A lire de Françoise-Hélène Jourda
« Petit manuel de la construction durable », et, à paraître prochainement « Les 101 mots du développement durable », chez Archibooks