« Il n’y a pas de digital, ni de disruptif » Formulation tout à la fois provocatrice et complètement fausse. Précisons d’abord, la langue française étant bien faite, ce qui est digital se rapporte aux doigts. Alors, en parlant de digital, soit l’on fait référence aux interfaces que l’on contrôle avec les doigts, soit à la véritable évolution de nos modèles (d’affaires et de société). Alors, on parle de numérique, et notamment de l’informatique et son omniprésence dans nos sociétés modernes.
Disruptif, de son côté, a bien un sens en physique, sur la propriété d’un élément à casser son isolation. Le potentiel disruptif ferait donc référence au fait de casser des silos existants. Vraisemblablement, il s’agirait plutôt d’une mauvaise traduction de l’anglais disruptive, en français on parle dans ce cas d’innovation de rupture.
Comment en est-on arrivé là ?
Il est important de noter, je crois, trois choses sur l’omniprésence du numérique aujourd’hui, conséquence d’ingénierie et de développement ces 50 dernières années :
La loi de Moore et l’évolution de l’informatique
On a coutume de dire que tous les 2 ans le matériel est obsolète. Ce qui est faux, mais dérive de la loi de Moore. M. Moore, fondateur d’Intel, a constaté dans les années 60 que tous les 18 mois, sans changer le coût, on doublait la quantité de transistors (unité de base de tout appareil informatique) sur une puce informatique, pour le même coût. En tirant cela on peut dire qu’on peut aussi diviser par deux leur taille, en maintenant la puissance. Bref, si on imagine qu’une voiture faisait 100 chevaux en 1970 elle serait aujourd’hui une fusée intersidérale (environ 1 milliard de chevaux), mais coutant un prix similaire, et consommant une quantité de carburant pas très éloignée !
L’augmentation de la performance des batteries
Pour fonctionner, les ordinateurs ont besoin d’électricité, et pour fonctionner sans fil il faut une batterie. La densité énergétique des batteries, en volume ou en masse ainsi que leur capacité à être rechargées a été multipliée drastiquement. On peut ainsi avoir des ordinateurs puissants, mais aussi autonomes.
La baisse du prix du matériel
Le prix des outils informatiques a drastiquement baissé. Ainsi, malgré le prix exorbitant des derniers ordiphones, avec un peu de recul, leurs prix a été divisé par 17 en trente ans. Les outils numériques sont donc performants, autonomes et à bas prix.
Ainsi, aujourd’hui, il n’y a plus de voitures, de micro-ondes ou de téléphones. A la place vous avez des ordinateurs qui roulent, des ordinateurs qui génèrent des ondes pour réchauffer ou des ordinateurs qui peuvent téléphoner. Ces trois choses sont en effet désormais toutes contrôler par un ordinateur. Mais j’aimerais alors poser une question : qui contrôle l’ordinateur, le programme informatique qu’il exécute ?
Alors, innovation de rupture digitale ou pas ?
La réponse pourrait vous surprendre, mais, de plus en plus, ce n’est pas le client, ou l’utilisateur, mais bien le vendeur ou le fournisseur qui ont la main.
On comprend alors pourquoi le « cloud » n’est ni plus ni moins que l’ordinateur de quelqu’un d’autre. Par exemple, Apple ou Amazon choisissent les applications sur votre téléphone ou les livres sur votre tablette, que vous avez pourtant achetée. Si vous avez une voiture, elle peut être piratée et bloquée ou votre imprimante arrête de fonctionner au regard d’un programme informatique que vous ne pouvez pas aisément contrôler.
Alors, des innovations de ruptures ? Sans aucun doute oui. Nous avons eu Internet, les ordiphones, bientôt la voiture autonome. Mais d’un autre côté nous constatons la surveillance de masse, l’apparition de monopoles à cause des effets de réseaux ou la perte de contrôle sur les objets du quotidien. Ainsi, Il faut avant tout remettre le citoyen et un projet de société pour l’humanité au cœur du développement du numérique.
L’auteur est Pierre Dal Zotto, professeur et coordinateur de la Chaire Digital, Organization and Society (DOS) de Grenoble Ecole de Management & doctorant au CERAG à l’Université Grenoble Alpes.