Une étude qualitative constituée de 85 questionnaires ainsi que les entrées d’un journal de 20 personnes pendant les trois premières du confinement révèle que cette période inédite dans la vie des Français a autant boosté que nuit à l’égalité hommes-femmes.
Les résultats démontrent que le COVID-19 a été un catalyseur dans l’élaboration d’interprétations genre-spécifiques pour faire face à la crise. Deux tendances distinctes se sont dégagées des données. D’une part, les comportements influencés par les stéréotypes de genres s’intensifient. Les femmes et les hommes interrogés ont en effet adopté les rôles de genres conventionnels. D’un autre côté, la crise du COVID-19 a également accru la conscience de soi et l’attention portée au système traditionnel de rôle de genre et, dans certains cas, a offert une opportunité pour sa reconstruction ou son démantèlement. Les deux sexes ont souligné que la crise leur a permis d’agir selon des croyances de longue date et souhaite changer leur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, ainsi qu’adopter des modes de cohabitation plus égalitaires.
Le confort du modèle
Dans notre étude, nous avons observé qu’au début du confinement domestique obligatoire, les stratégies pour faire face à des circonstances extraordinaires s’inscrivaient dans la ligne des stéréotypes de genres, où la prise de conscience des attentes sociales centrées sur le genre fournissait un cadre d’action dans une situation qui était par ailleurs inconcevable. Par conséquent, nous soutenons que lorsque survient une catastrophe, la performativité des genres peut offrir une orientation initiale au milieu du chaos ; elle compense et rassure en même temps qu’elle offre une perspective temporaire d’ordre. Cependant, au fur et à mesure que la pandémie progressait et s’approfondissait, le besoin de stratégies d’adaptation résilientes est apparu. Certaines personnes ont obstinément cherché à conserver leur caractère de genre, même si cela les rendait malheureux, tandis que d’autres ont choisi d’abandonner les jeux de rôle en faveur de quelque chose de « plus significatif » que le confinement leur a révélé.
L’émergence d’un nouvel ordre
Dans le cas de la crise du COVID-19, en l’absence de règles sur le comportement et les outils de performativité mis de côté, l’autonomie gouvernementale improvisée a émergé lorsque les membres du ménage sont entrés en territoire inconnu. À l’instar de l’improvisation musicale, ils ne savaient pas où la crise mènerait ou prendrait fin, mais comme les directives et les prescriptions en matière de genre étaient suspendues ou devenaient sans objet, quelque chose de significatif, unique et inimitable pouvait se matérialiser.
Lorsqu’une structure de rôle traditionnelle cesse d’avoir du sens, le système normalisé et pris pour acquis de définir les prérogatives et de diviser l’autorité devient obsolète, et la construction d’une nouvelle organisation des relations est nécessaire.
Tout recommencer
Nos résultats démontrent que la libération et l’aspiration au changement ne commencent pas lorsque les individus essaient de réconcilier leur ancien et leur nouveau moi, leurs expériences passées et présentes, leurs identités privées et professionnelles, mais lorsqu’ils abandonnent entièrement la possibilité d’une telle réconciliation et refusent résolument d’être guidés par les normes de leurs comportements d’avant la crise. Pour explorer de nouveaux imaginaires, faire de nouveaux vœux et atteindre de nouveaux idéaux découverts lors de la pandémie, il fallait que les individus aient le courage d’aller au-delà de la complaisance du genre. Ce n’est qu’à partir de là que les commandements de l’équité à la maison peuvent être envisagés et mis en œuvre.
Par Sophie Hennekam et Yuliya Shymko, Professeures à Audencia