La place particulière que la contribution au site e-sens occupe dans la formation en a fait un véritable laboratoire d’expérimentation et d’élaboration de nouvelles pratiques d’enseignement adaptées aux enjeux du management à l’heure du web, c’est-à-dire couplant approches stratégiques, vision socio-économique des usages et du marché et appréhension des enjeux techniques. Tout en restant un support fondamental de la pédagogie, e-sens s’est ainsi construit une identité spécifique comme site collaboratif de contenu sur les dynamiques du Web.
Le numérique est omniprésent dans la société et la pédagogie n’y échappe pas. Elle est en effet directement touchée par l’apparition de nouvelles ressources en ligne, l’efficacité de nouveaux outils, l’établissement de relations éducatives inédites et l’émergence de modes d’apprentissage adaptés aux digital natives.
Cette révolution de l’enseignement est souvent abordée sous l’angle des MOOCs, comme une possibilité de démultiplier l’impact et le public des enseignements traditionnels grâce aux connexions à distance : ce que les économistes appelleraient des économies d’envergure. Cette manière de penser l’apport des technologies digitales est pourtant réductrice, car le défi ne consiste pas à apprendre et enseigner « avec le numérique », mais plutôt de former « par le numérique ». Car le web modifie le sens même de la transmission et l’acquisition du savoir aujourd’hui : nouvelles articulations entre face-à-face et interactions en ligne, modalités d’apprentissage individuelles et collectives, sens de la connaissance à l’heure d’informations foisonnantes. C’est le sens de l’innovation pédagogique que nous avons mise en place à l’Université de Genève, conçue autour du traitement collectif des questionnements concrets soulevés par l’économie numérique : après l’acquisition d’un cadre analytique formel en management et marketing, les étudiants doivent élaborer une connaissance pratique mise à l’épreuve de la publication en ligne, en se démarquant à la fois de la simple « curation » d’informations présentes sur la toile et du mémoire universitaire à destination des seuls enseignants.
Tous les mois, les étudiants réalisent ainsi un dossier publié sur le site Internet de référence « e-sens » (1), dans une thématique sélectionnée par un club de « mentors » (industriels associés à la formation et assurant la pertinence des problématiques) et sous la supervision des enseignants. Ils s’inscrivent dans un travail collaboratif reposant sur une méthodologie éprouvée, un format et un processus rédactionnel adaptés au fonctionnement en réseau. L’élaboration des questionnements et le cadrage des objets traités révèlent aux étudiants les compétences analytiques qu’ils doivent acquérir pour comprendre leur environnement. Ils leur apprennent à produire en coopération dans des groupes mobilisant des cultures et expériences personnelles diverses. Ils les sensibilisent enfin aux nouveaux modes de production et de communication à l’oeuvre sur Internet : nature spécifique des contenus hypertextes et de leur validation, modalités de diffusion et promotion des contenus publiés. Une fois élaborés et mis en ligne, les dossiers sont ainsi envoyés à environ 4 000 abonnés spécialistes du Web qui peuvent réagir sur les contenus et enrichir le débat, faisant du site une ressource constamment enrichie et particulièrement bien référencée.
« Casser » le traditionnel apprentissage universitaire pour apprendre aux étudiants à devenir « producteurs de savoir » et pas seulement « consommateurs de connaissances » se révèle pour eux déstabilisant. Mais cette pédagogie novatrice trouve son aboutissement lorsque le travail universitaire est publié et régulièrement consulté sur la toile, parfois repris par d’autres médias et, pour les meilleurs, quand il figure dans des ouvrages publiés chez un grand éditeur.
Par Pierre-Jean Benghozi,
Professeur à l’Ecole polytechnique : pierre-jean.benghozi@polytechnique.edu
et Michelle Bergadaà, Professeur à l’Université de Genève : michelle.bergadaa@unige.ch