Si comme le défend Daniel Goleman, la réalisation d’un travail d’excellence est bien plus liée à l’intelligence émotionnelle (IE) qu’à l’intellect ou l’expertise, nous devrions alors consacrer beaucoup plus d’énergie à développer notre quotient émotionnel (QE). Mais l’empathie, la conscience de soi ou l’intelligence interpersonnelle ne relèveraient-elles pas de l’innée ? Même si les bases de notre personnalité se construisent durant la prime enfance, nos capacités émotionnelles se développent en interaction avec notre environnement. Bonne nouvelle, ces capacités peuvent donc s’améliorer tout au long de notre vie, ce qui peut être utile dans un monde du travail en perpétuelle évolution.
Un leader se doit d’être émotionnellement stable et d’humeur constante
L’IE peut se définir comme la capacité à reconnaître les émotions – les siennes et celles d’autrui – afin de les utiliser à des fins positives comme l’amélioration de la communication ou de la relation. L’IE se classe dans une catégorie de compétences qualifiées de soft skills, soit ces compétences relationnelles devenues un enjeu dans le monde du travail. Dans un contexte d’incertitude exacerbée, la maîtrise des émotions est gage de bonne santé mentale pour les travailleurs et de meilleure gestion du changement pour les organisations. Pour affronter les transformations sans précédents auxquelles ces dernières font face, il faut trouver d’autres repères que les plans stratégiques sur plusieurs années et les budgets prévisionnels en permanence révisés. La stabilité émotionnelle des managers ou une meilleure gestion des émotions offrent de nouveaux ancrages. Ainsi, un leader se doit d’être émotionnellement stable et d’humeur constante, à l’écoute, et bon communiquant dans le but de fédérer autour d’une raison d’être partagée. L’expertise et les compétences techniques ne seront plus le socle de la légitimité managériale. Les managers sombrent encore trop dans les tâches opérationnelles qui constituent leur zone de confort, mais aussi par manque de délégation, du fait d’un sous-effectif structurel ou par déficit de compétences managériales qui les conduisent à de l’évitement de fonction.
L’hybridation du travail nécessite un renforcement du management de type émotionnel
Les principaux effets de l’IE sont donc une amélioration de la qualité d’écoute et de la communication, une diminution du stress ainsi qu’une meilleure prise de décision. Ajoutons également que l’entreprise est un monde de rationalité, ou tout du moins offrant plus d’opportunités pour les individus à sang froid, inhibant souvent les personnalités plus sensibles aux émotions ou à la qualité des relations. La crise du Covid-19 nous a pourtant révélé que cette sensibilité managériale s’avère capitale dans un monde en constante perturbation et replace la considération pour autrui au cœur du management. De plus, dans un contexte d’hybridation du travail, l’éloignement physique entraine paradoxalement un besoin de renforcement du management de proximité, même si ce dernier s’opère à distance. In fine, plus la distance physique s’étire, plus se renforce la nécessité d’un management centré sur l’humain et les émotions.
La dimension émotionnelle devrait figurer dans la fiche de poste du manager
Développer son QE c’est possible, simplement par la formation. Ainsi, les programmes de formation doivent actionner les piliers de l’IE dont les principaux sont la connaissance des émotions et leur maitrise. Plus l’on est capable de granularité émotionnelle, c’est-à-dire de distinguer la finesse des émotions, mieux on parvient à les gérer. En effet, il y a une grande différence entre la colère, la rage ou la frustration, malgré des manifestations parfois proches. En formation, l’utilisation d’inventaires de personnalité ou de tests d’identification des émotions accélèrent ce processus de distinction. Derrière les « mots » se cachent une prise de conscience des ressentis voire l’ouverture à une expérience émotionnelle complète. Comme le défend La Rochefoucauld, que serait véritablement l’expérience de l’amour si on n’en avait jamais entendu parler ? La maitrise de ses émotions passe par une bonne connaissance de ses réactions sous stress et l’acquisition de techniques simples de gestion comme la respiration ventrale, la pleine conscience ou la régulation cardiaque. Enfin, savoir entretenir de bonnes relations conduit à façonner un environnement propice à l’accueil des émotions, à leur écoute attentive et à l’émergence de processus d’accompagnement bienveillants œuvrant à pacifier les tensions. Les qualités d’observation, d’écoute, de régulation, de médiation, de création d’atmosphères favorables à la réduction du stress ou la résolution des conflits, sont les principales capacités que nous devrions retrouver dans les fiches de poste des managers.
Quid de l’intelligence émotionnelle à l’ère de l’hyperconnexion ?
Si le changement est permanent, sa résistance est un véritable fléau en contexte de crises qui augmentent en régularité et en intensité. Engager des individus dans un processus de formation n’est pas une mince affaire à l’ère de l’hyperconnexion. En salle, il faut se démener pour faire sortir les têtes des portables et mobiles. La gamification offre peut-être une nouvelle piste pour l’intégration des soft skills. Son caractère ludique et digitalisé peut favoriser l’engagement des plus jeunes tout en s’adaptant aux contraintes d’emploi du temps par la construction de dispositifs asynchrones distanciels. Paradoxalement, cet excès d’écran n’est pas toujours opportun au développement de l’empathie et favorise le multitasking par les sollicitations permanentes des notifications pop-up des multiples réseaux sociaux. L’avenir passera certainement par une pédagogie plus inclusive, offrant des modalités d’apprentissages multiples et sur-mesure, avec une meilleure prise en considération des effets néfastes des écrans sur notre IE. Sur ce dernier point, les réflexions sont encore trop peu embryonnaires.
Par Julien Granata, Full Professeur, Coach et Superviseur certifié, Montpellier School of Business
Il est également l’auteur de : La révolution digitale a plus d’influence sur les comportements au travail que l’effet générationnel