Silent hill
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Bienvenue à SILENT HILL…

L’évolution du monde et les frustrations qu’elle provoque demandent des temps de décompression, de réflexion ou encore d’exaltation. A l’instar du sport, l’univers vidéoludique y répond par différents moyens et notamment par la scénarisation de la violence ou encore de l’horreur. Ces défouloirs digitaux, parfois d’une extrême complexité, sont bien souvent vivement combattus par une récente mouvance bienpensante portée majoritairement par les réseaux sociaux. Mais à vouloir les combattre avant même d’y avoir joué, ne risque-t-on pas de perdre la nécessaire liberté qu’ils confèrent ? Entre monde réel et monde digital, l’exutoire le plus malsain n’est peut-être pas celui que l’on croit

La digitalisation de notre monde implique l’émergence de nombreux autres, particulièrement dans le domaine du gaming. Sans se perdre en digressions philosophiques ou scientifiques allant de la question de l’au-delà à l’existence des mondes parallèles, force est de constater que ces évasions numériques sont de plus en plus ancrées dans notre quotidien. Les années et révolutions technologiques passant, qu’ils soient humanoïdes ou non, nos avatars vidéoludiques nous extirpent de notre condition humaine terrestre et font émerger un véritable Moi digital mettant à mal un Surmoi dont les barrières de la conscience morale n’ont plus cours dès le temps de chargement passé. Plus de règle, plus de tabou, plus de défense… seuls les codes du jeu défiants la nature, la société, la religion, ou encore la morale, révèlent des instincts réfrénés et pensées enfouies ne disparaissant pas simplement à l’heure d’éteindre l’écran. Dès lors, notre société actuelle est-elle toujours en mesure de laisser libre cours à ce plaisir coupable sans en altérer les codes ? Peut-elle encore respecter l’essence originelle d’un univers né et plébiscité à une époque où réseaux sociaux, cancel culture et # en tout genre n’existaient pas ? La question mérite d’être posée à l’heure où le remake de l’une des plus belles œuvres vidéoludiques du début du siècle est annoncé : Silent Hill 2 de Masashi Tsuboyama. La ville de Silent Hill rouvre ses portes, mais nous laissera-t-on seulement y entrer ?

Jouer pour fuir la réalité… 

La saga Silent Hill, produite par Konami, débute en 1999. Elle vient tout autant concurrencer que proposer une expérience différente par rapport au leader des survival horror de l’époque : la saga Resident Evil de Capcom. A Silent Hill, pas de zombie, pas d’avatar militaire maîtrisant armes et médications ni de PNJ guidant gentiment votre progression. Le joueur ne se débat pas dans un monde post-apocalyptique digne de la filmographie de Georges Romero. Non. A Silent Hill, c’est une plongée à l’intérieur de son propre subconscient qui est proposée face aux frustrantes limites de la réalité. Silent Hill 2, sorti en 2001, en est le parfait exutoire. Ici, ni le héros ni le joueur ne sont capables de voir la froide vérité, pourtant si clairement exposée au début du jeu. Tous deux sont obnubilés par leur recherche de réponses ésotériques, guidés par l’obscure lumière d’une ville éteinte. Une véritable fuite vers les profondeurs de l’âme du héros s’engage alors, impactant de fait celle du joueur. Avancer confronte peu à peu le protagoniste aux conséquences de ses choix, ou ceux des PNJ croisés. Meurtre, euthanasie, inceste, viol, mensonge, déni… les pires vices de notre société sont traités avec une poésie aussi malsaine qu’envoûtante interrogeant constamment les choix opérés, pas seulement ceux du héros mais bien ceux du joueur qui le contrôle.

… ou fuir la réalité pour jouer ?

Les perversions humaines précédemment citées sont bien réelles et constamment médiatisées via la multitude de moyens de communication forgeant la société telle que nous la connaissons aujourd’hui. Pas besoin des jeux vidéo pour cela. Paradoxalement, en sus des médias, les structures indiquant combattre ces problèmes (associations, gouvernements…) participent parfois, volontairement ou non, à cette accessibilité informationnelle débridée source d’un voyeurisme malsain, et parfois encore, détournée. L’ultracrépidarianisme fait de chacun un juge et les réseaux sociaux un ersatz de tribunal populaire immortel et incandescent. Dans le cadre des jeux vidéo dits violents tel Silent Hill 2, nombre de ces cours composés de spécialistes auto-proclamés crient à l’échafaud, portés par la bienpensante société ultra-réseautée dont la force se chiffre au nombre de comptes à défaut de savoir si un individu se trouve bien derrière. Tantôt dangereux pour nos enfants, trop violents, trop crus… les qualificatifs ne manquent pas pour accuser le monde digital de donner le mauvais exemple au monde réel, en oubliant sciemment lequel de ces univers inspire l’autre et qui contrôle la manette. L’exutoire le plus malsain n’est peut-être pas celui que l’on croit.

En 2023, les portes de Silent Hill seront peut-être à nouveau ouvertes, laissant à tous la possibilité de découvrir, redécouvrir ou faire découvrir l’une des plus belles œuvres vidéoludiques de tous les temps. Chacun est libre d’y entrer mais cette liberté sera-t-elle laissée à chacun ? Bienvenue sur Terre !

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Julien Jouny-Rivier

L’auteur est Julien Jouny-Rivier, Professeur et Doyen associé à la Faculté, ESSCA Campus d’Angers.

Vous pouvez retrouver ici la tribune de Dejan Glavas, professeur associé en finance à l’ESSCA Business School