Les dernières années ont vu éclore de nombreux sujets sur le bien-être au travail. Mais une question reste en suspens à laquelle les DRH ne savent pas toujours répondre : « Est-ce à l’entreprise de s’occuper du bien-être de ses salariés » ?
Le bien-être au travail : l’aéronautique un exemple à suivre
Osons un parallèle. L’aéronautique civile dans les années 90 parvenait à un constat fondamental pour la pérennité économique du transport aérien. Les trente années précédentes avaient permis une réduction très importante des accidents et une amélioration forte de la sécurité grâce à des évolutions techniques et légales. Il semblait alors qu’un seuil était atteint au-dessous duquel il était impossible de passer, voir que certains pics d’accidents apparaissaient à cause des nouvelles technologies. Les conclusions étaient systématiques : l’erreur humaine était la cause de 80 % des accidents. Un ensemble de professionnels a osé à cette époque une simple proposition : « et si nous inversions ce point de vue. Si au lieu de voir les personnes comme la cause principale des problèmes, nous portions notre attention avant tout sur elles comme une possibilité d’évolution ? ». Le chemin s’est fait dans ce sens, les personnels aéronautiques volants et au sol ont été formés, accompagnés aux aspects humains au travail. Les autorités ont décidé un changement radical : prendre soin des hommes et des femmes et faire le pari que cet investissement serait payant.
Oser investir sur l’humain
Il nous semble que dans le monde du travail nous avons là un parallèle intéressant. Cela fait plus de trente ans que pour améliorer la performance, les entreprises comme les chercheurs se sont penchés sur des évolutions systématiques de structures : processus, règles, nouveaux modèles à suivre. Les plans de formations ont été élaborés plus comme des transformations organisationnelles que comme un accompagnement spécifique tenant compte des besoins de la personne. Mais que se passerait-il si dans l’entreprise nous arrêtions de vouloir changer les structures et de contrôler une performance qui ne l’est pas ? Qu’en serait-il si nous osions tenter de changer les coeurs ? Ceci, non pas parce que le bien-être serait un moyen de la performance, mais parce qu’il concourt au but même de l’entreprise, au même titre que la pérennité financière, qui est de s’inscrire au centre de la cité pour rendre possible le « mieux vivre ensemble » et au-delà l’accès à la joie ! Il nous faudrait alors sûrement réapprendre la prise de risques, oser investir sur l’humain et accepter une performance à plus long terme.
Oui, l’entreprise doit s’occuper du bien-être des salariés
Est-ce que l’entreprise doit s’occuper du bien-être de ses salariés ? Oui, bien entendu. Cependant, ce n’est pas au bien-être intérieur de chaque salarié qu’elle doit s’intéresser, il relève de la liberté et de la responsabilité individuelle, mais aux conditions externes qui pourront lui permettre de survenir. Par ailleurs, de quel bien-être parlons-nous ? Il ne s’agit pas d’un état béat dans lequel aucun des événements de la vie ne viendrait plus nous perturber, mais bien plus d’une capacité à accueillir et traverser au mieux toutes ses couleurs et circonstances ; de la plus joyeuse, sachant qu›il n’est pas si simple d’être heureux, à la plus difficile. L’entreprise doit donc s’occuper des conditions matérielles du bien-être (ergonomie, conditions de travail), des possibilités culturelles de son éclosion (légitimation, liberté d’expression) et de son expression (reconnaissances et feedbacks). Les conditions de travail, la liberté d’expression et la reconnaissance ne sont pas à prendre comme un contenu brut, mais représentent la sécurité et le confort nécessaires au « bien faire ensemble ». Ce confort existentiel, comme le nommait le philosophe Robert Misrahi, s’alimentera alors de la formation proposée par l’entreprise qui facilitera en retour la transformation de son rapport au travail et l’aidera à redonner du sens à sa vie professionnelle. Cependant, cette formation n’en est pas une uniquement parce qu’elle s’affiche comme telle. Au-delà des aspects très techniques, elle doit conduire chacun sans ambiguïté à faire le pont entre la vie concrète et le sens qu’on lui attribue. Découvrir son désir profond et pouvoir l’exprimer, trouver un métier, une fonction, une mission qui permette au mieux son expression, bien faire ce que l’on sait faire, être ensemble et faire effort côte à côte et enfin trouver sa place sont certainement des challenges révolutionnaires pour les personnels RH.
Par Dominique Steiler, Titulaire de la Chaire Mindfulness, Bien être au travail et paix économique de GEM
et Directeur du Centre de Développement Personnel et Managérial de GEM