Anne Pépin, directrice de la Mission pour la place des femmes au CNRS

[Grand entretien]

Le CNRS se montre pionnier sur le sujet avec la création dès 2001 de la Mission pour la place des Femmes. Les chiffres mettent en avant la faible représentativité des femmes au sein des fonctions clés du centre mais aussi du monde de la recherche et d’autres secteurs. La loi sur la parité en politique avait alors été votée en 2000 et la pression de la Commission européenne imposait des décisions. La directrice générale du CNRS à l’époque pousse donc à la création de la Mission directement reliée à la direction générale. Une première au sein d’un organisme de recherche !

L’année 2005 célèbre la physique. L’occasion pour Anne Pépin, spécialiste des nanotechnologies, d’être approchée par le CNRS dans le cadre d’une exposition sur les femmes et la physique. Un succès en France et à l’étranger qui lui donne envie de s’engager davantage sur le sujet. Elle devient alors chargée de mission puis directrice de la Mission pour la place des Femmes. Son objectif : aider à changer les règles et les pratiques par le biais de plans d’actions structurels.

Une réalité s’impose : en 2014, la France comptait environ 35 % de femmes parmi les personnels chercheurs du secteur public et moins de 20 % dans la recherche privée. Au CNRS, les femmes représentaient 42 % des personnels permanents – chercheurs, ingénieurs, techniciens et administratifs –, mais moins du tiers des seuls personnels chercheurs. Un constat qui peut s’appliquer à de nombreuses organisations de recherche !

40 % de personnes de chaque sexe dans les jurys de recrutement et de promotion

La Mission travaille donc à la mise en œuvre d’un projet égalité hommes – femmes au sein des directions Maths et Physique dans un premier temps. Objectif : établir un diagnostic plus affiné et déployer ensuite le plan à grande échelle. Aujourd’hui, nous regardons les programmes nationaux qui poussent à l’égalité dans la recherche et nous travaillons en étroite collaboration avec nos confrères européens pour tendre à améliorer la situation en Europe.

Certaines dispositions relatives à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la recherche publique ont ainsi vu le jour en France à l’image de la loi du 12 mars 2012 dite ¬Sauvadet, qui exige une proportion d’au moins 40 % de personnes de chaque sexe dans les jurys de recrutement et de promotion, les nominations aux conseils d’administration et les commissions administratives paritaires.

Des initiatives qui portent leurs fruits petit à petit

Aujourd’hui, toutes les universités françaises disposent de groupes de mission égalité ! La France se montre d’ailleurs assez proactive au niveau européen – même si les pays du Nord restent la référence – avec une vraie législation, notamment au niveau de l’Enseignement supérieur : la loi dite « Fioraso », promulguée en 2013, promeut l’égalité entre les hommes et les femmes à l’université à travers également la charte pour l’égalité femmes hommes. D’autres pays européens tels que l’Allemagne, le Royaume Uni ou l’Espagne, mettent à leur tour en place diverses mesures favorables à l’égalité.

Comment agir ?

L’idée est de faire prendre conscience aux femmes et aux hommes de cette réalité et de modifier les mentalités. Nous travaillons pour ce faire avec plus d’un millier de laboratoires en France, ainsi qu’avec des associations telles que Femmes & Sciences, nous organisons des formations… J’ai aussi créé un groupe de travail qui se penche sur l’évolution des recherches.

Résultat : nous sommes parvenus depuis trois ans à l’égalité entre hommes et femmes en termes de médailles d’argent du CNRS. Concernant les médailles de bronze, nous en sommes même à 60 % de femmes.

Le programme INTEGER – INstitutional Transformation for Effecting Gender Equality in Research –financé par la Commission européenne dans le cadre du programme Science dans la société du 7e PCRD a également mis en place un accompagnement au retour de congés maternité. Nous avons organisé une journée nationale de sensibilisation de nos équipes au harcèlement sexuel avec des juristes, des mises en situation sous forme théâtrale… Le CNRS va encore plus loin : désormais, tous les bilans sociaux seront sexués !

Le plan d’action Agir ensemble pour l’égalité professionnelle implique alors quatre volets :

  • Impliquer les dirigeants
  • Agir sur la structure organisationnelle
  • Agir sur les progressions de carrière
  • Favoriser l’équilibre vie professionnelle – vie personnelle

Pourtant, le plafond de verre existe toujours !
Oui, c’est vrai et pas qu’en France. Une étude menée ainsi par la Harvard Business School a démontré qu’il existe une réelle différence entre leurs diplômés et leurs diplômées : de nombreuses femmes restent insatisfaites quant à leur carrière et ressentent une certaine frustration. Les salaires et les opportunités d’évolution demeurent eux aussi inférieurs à ceux des hommes. Mais les mentalités changent, surtout auprès de la jeune génération. Certes le plafond de verre existe réellement mais plusieurs facteurs peuvent l’expliquer. Parmi lesquels, l’environnement sociétal, l’éducation, la construction sociale et ses modèles… mais aussi une certaine autocensure.

message POUR cette jeune génération qui intègre les futurs dirigeants de demain

En situation de crise, on a tendance à occulter ces questions de genre, pourtant fondamentales. La société évolue, notamment sur ce sujet du genre. C’est essentiel car la mixité est un véritable levier de performance et les dirigeants s’impliquent de plus en plus. Nous travaillons ainsi avec l’Association pour les femmes dirigeantes de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (AFDESRI) qui souhaite faire des propositions et avancer sur le sujet. Il est important également d’impliquer les hommes et bien entendu de ne pas dénigrer le travail qui a déjà été fait il y a quelques années par les mouvements féministes.

Notre rôle est d’analyser la situation en permanence pour connaître tous les effets négatifs que peuvent avoir les décisions, les actions… Cette connaissance s’avère indispensable pour ensuite changer le système. Par exemple, aujourd’hui encore, ce sont les femmes qui majoritairement s’occupent des enfants et même des parents ! Si les avancées sont notables, il existe aussi certains points sur lesquels on recule : il n’est désormais plus obligatoire pour les entreprises d’établir de rapports de situation comparée entre hommes et femmes. Nous avons donc besoin de vous, les jeunes, pour nous aider à changer la situation.

La mixité est un véritable levier de performance

J’entends trop souvent encore de la part de jeunes femmes : « Il y a très peu de postes disponibles donc ce n’est pas la peine de postuler ! » Eh bien si justement, postulez, persistez, continuez. C’est ensemble que nous ferons évoluer les mentalités.

Et demain ?

Nous allons appliquer le plan d’action lancé en 2012 dans son intégralité, le réévaluer chaque année pour l’adapter et changer de direction si besoin. Nous avons des correspondants égalité dans chacune de nos délégations régionales : tout le monde, à tous les niveaux, doit s’impliquer ! Il est important de s’investir humainement avec des équipes dédiées qui peuvent effectuer les relais au niveau local. La prise de conscience est réelle mais il ne faut rien relâcher.

Violaine Cherrier

En savoir plus

Pour tout savoir des initiatives prises par la Mission pour la place des femmes au CNRS, rendez-vous sur leur site dédié.