Depuis quelques années, le design a fait son entrée par la grande porte dans les entreprises. Les sociétés de conseil dédiées sont légion, et le nombre d’agences indépendantes qui mettent en avant la pratique le sont tout autant. Cette appropriation massive est positive car elle a permis de considérer le design comme une fonction à valeur ajoutée notamment dans le cadre des pratiques d’innovation. Pour autant, le design thinking est déjà sous le feu de critiques virulentes.
Le premier enjeu réside dans les promesses parfois irréalistes qui étaient faites par certains praticiens, n’hésitant pas à présenter une forme de solution miracle aux questions d’innovation. Loin de cela, il s’agit d’une approche de conception centrée usager qui porte en son sein ses limitations : elle est centrée sur… les usagers. Imaginer qu’elle permette de penser l’innovation radicale et systématique est donc fallacieux, et il convient de prendre un peu de hauteur de ce point de vue.
La deuxième question, récurrente, est celle de savoir si l’on peut faire du design thinking sans designers. Pour des écoles de commerce ou d’ingénieurs, ce n’est pas un petit enjeu. La réponse dépend des attentes. Si l’on souhaite développer des concepts et ne pas pousser la conception, peut-être. Et encore. Mais si l’on souhaite développer réellement une offre, le recours aux designers est incontournable. Ils sont les seuls à avoir cette dimension sensible, si spécifique. Et surtout, la conception d’un produit industrialisable est complexe et c’est un métier… Que le design thinking n’enseigne pas.
Ceci nous amène à la troisième critique récurrente : en proposant de travailler sur des concepts ou des maquettes, le design thinking permet de soutenir la créativité au sein d’une organisation. Mais combien de produits sont ensuite réellement mis sur le marché ? Sur tous les workshops, hackathons et autres ateliers de co-création initiés au sein des organisations, quel est le pourcentage d’idées qui va un jour finir sur le marché ? De ce point de vue, il y a une forme d’incompréhension : la créativité sous-jacente au design thinking n’est pas équivalente à l’innovation, qui est l’exécution d’une idée (sa mise sur le marché). Or, entre ces idées et le marché, le design thinking ne fait souvent pas son travail de pont. Ce qui amène d’ailleurs de nombreuses ETI françaises à fermer leurs labs innovation, qui n’étaient en fait que des labs de créativité.
Finalement, la dimension centrée usager de l’approche se trouve trop souvent limitée à la création de personas « hors sols » et qui sont censés représenter les enjeux usagers. De ce point, le marketing a beaucoup à apprendre au design dans la rigueur de l’immersion, la définition des usages et la segmentation qui en suit. C’est finalement peut-être l’élément le plus important : comment légitimer l’intérêt d’une démarche d’innovation centrée usager lorsque l’élément central est si souvent traité à la va-vite. Derrière les exemples récurrents et médiatiques de personnes « vivant la vie de leurs usagers », combien d’étudiants ont réellement été mis en situation de se mettre à la place d’un pompier ou d’un ouvrier, sur une durée longue, et dans un cadre proche du réel ?
Le design thinking est une superbe approche, qui a un énorme potentiel, et qui a permis de hisser le design là où il n’était pas présent auparavant. Il risque cependant de se retrouver relégué à une démarche de seconde zone avec des promesses parfois trop élevées et une exigence dans la pratique qui est parfois bien faible.
Cette réflexion est menée par Nicolas Minvielle, Head of the MS in Marketing, Design and Creation of Audencia Business School