Dans l’intimité de la prise de décision, dans l’analyse tendue des enjeux, dans la projection des conséquences, la culture générale ne sert à rien. Lors d’un cocktail, oui son utilité est évidente, elle brille et fait briller. Peut-on en rester là ? – Par Jean Philippot, Directeur des Classes Préparatoires de l’ISG
Inquiétante étrangeté
Culture Générale, voilà un bien étrange objet. C’est une matière dont le territoire est difficile à délimiter, on peut même dire que c’est une matière dont le contenu n’admet pas de limite. Impertinente, la Culture Générale s’autorise des incursions partout où elle s’estime en droit ou en devoir de le faire. Aussi peut-elle emprunter à l’économie, à la littérature, à l’histoire, à la philosophie, à la sociologie, à l’épistémologie, à la sémiologie, aussi bien leurs concepts que leurs enjeux pour les faire dialoguer les uns avec les autres, pour interroger et décrypter notre réalité. Plus rhizomes que racines elle s’immisce partout où il y a à questionner les pratiques et pensées humaines. Davantage une manière d’être qu’un savoir, davantage « L’homme qui marche » de Brancusi que « le Penseur » de Rodin.
Une attitude plus qu’une compétence, qu’a-t-elle à voir avec l’exercice des responsabilités ?
D’aucuns y trouveront un antagonisme radical puisque la responsabilité suppose la maîtrise des moyens pour atteindre une fin et cette matière en cela, ne sert littéralement à rien.
Ça s’enseigne dans les écoles de commerce !
Comment imaginer que des programmes destinés à former de futurs dirigeants d’entreprise responsables puissent intégrer une telle matière ? Il y aurait une vertu à l’inutile ? De quoi nos journées sont faites ? Combien de désirs, d’envies, de rêves, combien de pensées étrangères à l’efficacité et aux calculs d’intérêts ? Notre quotidien est fait d’aspirations à l’impossible, de projections insensées dans une réalité rêvée, dans un monde jadis imaginé.
Allons regarder la neige jusqu’à en tomber Bashô « à Kyoto rêvant de Kyoto »
Mais, n’est-ce pas plutôt dans la maîtrise raisonnée des moyens, dans l’objectivité des rapports de force que réside notre épanouissement ? Cette question embarrasse car elle réduit cet enseignement à une utilité en reléguant la question morale. La Culture Générale installe la prise de décisions dans une globalité « mondaine ». Sans nier les contraintes et la responsabilité inhérentes à l’action, les connaissances qu’elle développe accompagnent chaque conscience dans la prise en compte d’une totalité dont elle est indissociable. Dans le soir, en silence une luciole accompagne une autre luciole, muette Oriko Nishikawa Parole libre, disponible et ouverte, elle implique les sujets afin qu’ils réfléchissent le sens qu’ils donnent à leurs actions. Elle est la matière de ceux qui, dans le silence de la nuit, entendent le bruissement du monde. Dans les « blancs » du discours comme dans le chant des syllabes, il faut apprendre à se taire, à s’effacer pour mieux entendre, pour mieux comprendre. La Culture Générale est la conscience en acte de notre responsabilité. Territoire de l’esprit, des savoirs et des pratiques qui lui sont liés, elle permet à l’exercice des responsabilités de s’ouvrir à l’altérité.
Dès lors la question n’est pas de savoir si la Culture Générale sert à exercer des responsabilités mais plutôt de savoir quel type d’homme on souhaite être dans l’exercice de ses responsabilités. Ainsi lecteurs avides de savoirs et d’aventures, plongez ou replongez-vous dans vos manuels et autres cours pour partir à la découverte de vous-même et de l’étrange altérité qui vous accompagne. Mais aussi, promenezvous, laissez-vous porter par le vent, emplissez-vous de l’humeur des villes comme du chant des oiseaux.
Soyez et restez éveillés au monde…
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